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« Le physique est un critère déterminant de recrutement »

Enjeux | publié le : 27.03.2012 |

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« Le physique est un critère déterminant de recrutement »

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Être doté d’un physique agréable augmente ses chances d’être embauché. Les stéréotypes – la beauté reflète la personnalité – pourraient expliquer cette préférence. Discriminatoire vis-à-vis des candidats moins séduisants, cette pratique peut régresser avec une meilleure définition des postes.

E & C : Un candidat au physique agréable a-t-il plus de chances de se faire recruter qu’un autre ?

Hélène Garner-Moyer : Oui et j’ai pu le mesurer dans un testing réalisé au cours de ma thèse. Des CV, comparables sur le fond – en termes de diplôme, d’expérience professionnelle, de caractéristiques socio-démographiques – ont été envoyés pour pourvoir 3 postes : commerciale, assistante de direction, comptable. Seule la photo changeait. Pour chaque poste, le taux de convocation était beaucoup plus élevé pour la candidate au physique agréable. Plus étonnant encore : c’est sur le poste de comptable que l’écart était le plus important. Cela montre l’influence du critère esthétique, bien au-delà des seuls postes en relation avec la clientèle.

E & C : Pourquoi l’apparence physique des candidats est-elle un critère si discriminant ?

H. G.-M. : Un testing mesure la discrimination mais ne l’explique pas. Néanmoins, on peut formuler quelques hypothèses. La première pourrait être ce qu’on appelle en économie le “goût pour la discrimination”. À compétences égales, les employeurs préfèrent recruter quelqu’un au physique agréable. C’est un peu l’idée du “tant qu’à faire” : tant qu’à choisir entre 2 candidats compétents, l’employeur préfère une personne au physique séduisant. Et cette préférence semble s’appliquer à n’importe quel type de poste. Une autre explication tient à l’évolution du contenu des emplois. Le savoir-être et les compétences relationnelles sont des qualités de plus en plus recherchées par les employeurs. Or, ces compétences sont extrêmement difficiles à évaluer. L’apparence physique peut être interprétée par l’employeur comme le reflet de la personnalité de l’individu. On le voit dans la littérature : le bien-être et la beauté sont souvent associés. Un corps beau est supposé être un corps “maîtrisé” et cela serait synonyme de force mentale, de volonté : autant de qualités valorisées sur le marché du travail. Un physique agréable peut donc être interprété par un employeur comme le signal de ces qualités comportementales. Prendre en compte ce critère va donc être un moyen pour lui de réduire l’incertitude qui entoure l’évaluation de ces variables de personnalité et de comportement.

E & C : Au-delà du recrutement, cette discrimination continue-t-elle d’être opérante durant la carrière dans l’entreprise ?

H. G.-M. : La question de l’impact de la beauté sur les trajectoires professionnelles est beaucoup plus difficile à évaluer, car il est très compliqué d’isoler ce critère sur une carrière, en dynamique. Des économistes américains ont mis en évidence que les salariés beaux sont mieux rémunérés que les moins beaux, ces écarts n’étant pas seulement liés à des différences de productivité, mais aussi à un goût pour la discrimination. Ce n’est pas très étonnant : si l’employeur a été sensible au moment du recrutement à l’apparence physique du candidat, on ne voit pas pourquoi il ne le serait pas au moment de l’évaluation de ses performances. Des études montrent ainsi que les employeurs sont plus indulgents à leur égard s’ils ont de moins bons résultats que leurs collègues. Cette indulgence commence d’ailleurs dès l’école, comme d’autres travaux l’ont montré. Des attributs positifs sont a priori associés à la beauté : cela débute à l’école et continue dans le milieu professionnel !

E & C : Cela concerne-t-il aussi bien les hommes que les femmes ?

H. G.-M. : Les normes esthétiques ont toujours été plus strictes à l’égard des femmes. Néanmoins, elles ont tendance, dans le monde occidental, à se durcir et à s’appliquer de plus en plus aux hommes. On le constate par exemple avec le marché de l’esthétique pour hommes, en pleine croissance.

Concernant les femmes, l’influence de la beauté semble positive pour des postes d’employés. Cette influence est plus complexe en ce qui concerne les postes de cadres et cela rejoint la question du plafond de verre. Pour les fonctions d’encadrement, le fait d’être une femme séduisante n’est pas forcément un avantage et peut même parfois se retourner contre elle.

E & C : Est-ce un phénomène en hausse ?

H. G.-M. : La discrimination par l’apparence ne représente en 2010 que 2 % des réclamations enregistrées par la Halde. Mais le poids de l’apparence physique est plus important lorsqu’on interroge les salariés sur leur perception des discriminations. Dans l’édition 2011 du baromètre Organisation internationale du travail-Halde, l7 % des agents de la fonction publique et 20 % des salariés du privé estiment avoir été discriminés à cause de leur apparence physique. Ce motif est en quatrième position derrière le sexe, l’âge et la grossesse. Et, parmi ceux qui disent avoir été témoins de discriminations, ce motif est le premier cité !

E & C : La discrimination par l’apparence physique est condamnée par la loi, même si elle reste difficile à prouver. Quelle conduite doivent tenir les responsables RH face à cette question ?

H. G.-M. : Prendre conscience de l’influence des stéréotypes rattachés à la beauté dans l’acte de recrutement et des discriminations qu’ils entraînent serait déjà une avancée. Cela permettrait aussi de se poser les bonnes questions sur les compétences nécessaires au poste et de faire évoluer les pratiques. Plus on est clair et précis en amont sur les compétences nécessaires pour occuper un poste, moins il y aura place pour les stéréotypes. C’est d’ailleurs un conseil que l’on peut appliquer pour lutter contre toutes les formes de discrimination. Si l’apparence physique est considérée comme un signal de compétences relationnelles, il faut réfléchir à outiller les recruteurs de méthodes leur permettant d’évaluer ces compétences de manière plus objective.

L’apparence physique est encore considérée comme un sujet mineur, voire un sujet de plaisanterie. Mais son influence reste importante dans le milieu professionnel. La Dares a mené une enquête statistique en 2006 sur les procédures de recrutement. Elle a montré que l’apparence des candidats était un critère central : 80 % des employeurs en tiennent compte pour sélectionner leurs futurs collaborateurs.

SON PARCOURS

• Hélène Garner-Moyer, normalienne et agrégée d’économie et de gestion, est chercheuse associée au laboratoire Cergors (Centre d’études et de recherches sur la gestion des organisations et des relations sociales) de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

• Elle a soutenu sa thèse, en 2007, sur “L’apparence physique en GRH – l’impact de la beauté sur les itinéraires professionnels”, sous la direction de J.-F. Amadieu.

• Elle est l’auteure de nombreux articles sur le sujet, dont “L’apparence physique, motif de discrimination” (in Actes du colloque de Sciences Po Lille en novembre 2009 ; téléchargeable sur <www.clubfacenet.com>).

SES LECTURES

• Beauty Pays, Daniel S. Hamermesch, Princeton University Press, 2011.

• Le Poids des apparences, Jean-François Amadieu, Odile Jacob, 2005.

• L’Écriture ou la Vie, Jorge Semprun, Gallimard, 1996.