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Intégrer un doctorant, une opportunité sous-estimée ?

Pratiques | publié le : 20.03.2012 | MARIETTE KAMMERER

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Intégrer un doctorant, une opportunité sous-estimée ?

Crédit photo MARIETTE KAMMERER

Par méfiance ou par ignorance, les entreprises ne sont pas très attirées par les profils de chercheurs. Pourtant, le fait de les recruter pendant leur thèse ouvre droit à des aides financières. Et leurs compétences sont souvent très utiles aux entreprises. Certaines, qui l’ont bien compris, en font un levier de développement et d’innovation.

Recruter un doctorant ? Patrick Brunier n’y avait même pas pensé. « Et même si j’en avais eu l’idée, je n’aurais pas su à qui m’adresser, comment trouver les bons interlocuteurs au sein de l’université », ajoute ce dirigeant de TPI spécialisée dans la conception de solutions d’éclairage LED pour les entreprises. « Cette méconnaissance du milieu universitaire et cette absence d’interface sont un frein important au recrutement des doctorants, surtout pour les PME », confirme Bruno Verney, directeur des services aux adhérents du Medef Lyon. D’où l’initiative, qu’il a menée fin février conjointement avec l’université de Lyon, pour informer les entreprises, recueillir et valider leurs projets de recherche, identifier le bon laboratoire et sélectionner des étudiants.

Des possibilités d’aides financières

« Lors de la première réunion d’information, nous avons présenté aux entreprises les possibilités d’aides financières au recrutement d’un doctorant – Cifre (lire l’encadré p. 13) –, reprend Bruno Verney, et nous avons expliqué en quoi un profil de docteur peut intéresser l’entreprise. » L’occasion de faire tomber un certain nombre de craintes et d’idées reçues sur les chercheurs. « Trop pointus, pas polyvalents, déconnectés des réalités de l’entreprise. Avant cette réunion au Medef, j’avais tous ces préjugés sur les docteurs », confie Norma Serra, directrice d’Arwen Technologies, TPE de conseil informatique aux entreprises.

Une image dévalorisée

Et son cas n’est pas isolé. L’image du chercheur dans sa tour d’ivoire a la vie dure, comme le constate une étude sur les compétences et l’employabilité des docteurs, réalisée par le cabinet Adoc Talent Management, parue en janvier 2012. Dans cette enquête, les entreprises réticentes à recruter un docteur le perçoivent comme incompétent, non opérationnel, peu ouvert à l’entreprise, difficile à manager et trop orienté vers la recherche.

Avec une telle réputation, pas étonnant que les docteurs aient du mal à s’insérer sur le marché du travail, malgré leur diplôme bac + 8. Selon une note du CAS de juillet 2010, 10 % d’entre eux étaient au chômage en 2007, contre seulement 7 % des titulaires d’un master, une situation qui serait due au sous-investissement en R & D du secteur privé, et à la préférence donnée aux ingénieurs pour les postes de recherche. « Le diplôme de docteur est beaucoup plus reconnu à l’étranger qu’en France, confirme Bernard Jean, coordinateur de la formation doctorale à l’université de Lyon. Il est vrai aussi que les doctorants ne savent pas toujours valoriser leur travail en dehors du milieu académique. » Pourtant, selon l’étude Adoc Talent Management, leurs compétences correspondent bien aux attentes des employeurs : une vision à long terme, une capacité à innover, à gérer des projets complexes, une forte autonomie, des compétences transversales, une expertise… Autant de qualités précieuses pour une entreprise.

Réalisation de thèses en lien avec des entreprises

Le recrutement de doctorants progresse tout de même. Le nombre de demandes de Cifre n’a jamais été aussi élevé. Mines ParisTech rassemble 12 écoles où la majorité des thèses sont réalisées en lien avec une entreprise : « Les mentalités évoluent, constate Régine Molins, responsable de la formation doctorale. En 2010, 60 % de nos docteurs ont été recrutés avant leur soutenance, et avec des salaires d’embauche plus élevés, car les trois années de thèse sont désormais prises en compte comme une expérience professionnelle, ajoute-t-elle. Le doctorat est mieux perçu par les DRH et, depuis peu, des entreprises nous envoient leurs cadres de R&D qui souhaitent avoir un doctorat. » Mines ParisTech a créé le Cercle des docteurs en entreprise, où des responsables de formations doctorales rencontrent tous les trois mois des dirigeants d’entreprise pour connaître leurs besoins et présenter les différents laboratoires de recherche.

Certaines entreprises ont bien compris tout le bénéfice qu’il y avait à recruter des doctorants et n’auraient pu le faire sans le financement Cifre. C’est le cas d’Anticipeo, TPE de 3 salariés, qui propose un service de prévisions détaillées des ventes pour les entreprises, avec des projections en prix, quantités et valeur. « Nous avions besoin de traiter 1 000 fois plus de données informatiques pour nos calculs, rappelle Richard Domps, qui a recruté 2 doctorants, un en informatique et un en méthodes statistiques. Je ne regrette pas mon choix car leurs travaux ont déjà porté leurs fruits. Nos temps de réponse sont 5 fois plus rapides et ce n’est qu’un début. »

Retour sur investissement à long terme

Même chose pour Lingua et Machina, PME de 10 salariés spécialisée dans la linguistique et la conception de logiciels de traduction automatique, qui a recruté 4 doctorants. « L’un d’eux a développé des logiciels qui ont permis de multiplier notre chiffre d’affaires deux mois après son arrivée. Mais, sur d’autres sujets, le retour sur investissement prend plusieurs années, précise François Brown de Colstoun, son directeur. Dans notre activité, investir dans la recherche est une nécessité. » Selon une enquête de l’ANRT auprès de PME, les principales retombées du travail des doctorants sont l’émergence de nouveaux sujets de recherche, d’un nouveau domaine de compétences, la crédibilité à l’international, la création ou l’amélioration d’un produit industriel ou d’un service.

Qu’il passe plus de temps dans le laboratoire de recherche ou dans l’entreprise, le doctorant doit avoir un référent dans celle-ci. « Cela ne demande pas plus de suivi qu’avec un autre salarié, car je m’adjoins les services du directeur de thèse, qui, quand la collaboration se passe bien, contrôle une grande partie du travail », note François Brown de Colstoun. Ce dernier fait part néanmoins de ses difficultés à trouver des étudiants d’un bon niveau, à percevoir leurs faiblesses au moment du recrutement, et, parfois, à collaborer avec certains directeurs de recherche peu coopératifs. Richard Domps, pour sa part, précise qu’il aurait eu du mal à choisir et à suivre le travail de ses doctorants s’il n’avait pas lui-même un diplôme d’ingénieur dans le même domaine.

Une composante essentielle des capacités d’innovation

Dans les grandes entreprises, le recrutement et le management des doctorants est bien rodé. « Au centre de recherche de Lafarge, nous les sélectionnons parmi les meilleurs stagiaires de master ou d’école d’ingénieurs qui ont déjà passé six mois dans l’entreprise, explique Xavier Gros, directeur du pôle technologique de L’Isle-d’Abeau (38). Puis nous leur trouvons un laboratoire de recherche en fonction des sujets que nous avons définis. » Chez STMicroelectronics, qui emploie 200 thésards dans toute la France, une personne du service RH est chargée de définir les sujets de thèse avec le manager, de faire le lien avec l’ANRT et le laboratoire de recherche. Le candidat passe un entretien d’embauche, suit le parcours d’intégration de tout nouveau salarié et est suivi par un tuteur. « En fin de thèse, les étudiants présentent les résultats de leur travail devant un jury interne et nous en recrutons entre un tiers et 40 %, indique François Suquet, DRH R & D technologies. Les doctorants sont une composante essentielle de notre capacité d’innovation. » Même chose chez Lafarge qui embauche une bonne partie de ses doctorants. « Pour nous, c’est un plus, ajoute Xavier Gros, car ils connaissent l’entreprise et le marché. Ils apportent de la créativité et peuvent évoluer vers des postes à responsabilités. »

L’ESSENTIEL

1 Les doctorants sont souvent perçus comme peu opérationnels par les employeurs, qui leur préfèrent les diplômés d’école d’ingénieurs.

2 Ils disposent pourtant de compétences pointues, comme la capacité à innover ou à gérer des projets complexes.

3 Le nombre de conventions Cifre, qui subventionnent les entreprises accueillant des thésards, a doublé en dix ans.

Le dispositif Cifre en chiffres

La convention industrielle de formation par la recherche (Cifre), signée entre un laboratoire académique et une entreprise, permet de recruter un étudiant en thèse pendant trois ans, de lui confier un sujet de recherche et de bénéficier d’une subvention de 14 000 euros par an du ministère de la Recherche, à laquelle peut s’ajouter un crédit d’impôt recherche. Seules contreparties : verser au doctorant une rémunération minimum de 23 484 euros par an et s’engager sur trois ans. L’ANRT (Association nationale de le recherche et de la technologie) examine les demandes et attribue les bourses, budgétées chaque année. « Le nombre de bourses délivrées a doublé en dix ans et il y a eu en 2011 plus de demandes (1 750) que de bourses attribuées (1 300), indique Clarisse Angelier, chef du service Cifre à l’ANRT. Toutes les entreprises du CAC 40 ont des Cifre et 45 % des conventions signées le sont avec des PME. » 90 % des docteurs ayant bénéficié d’une Cifre trouvent un emploi moins de six mois après leur thèse, et un tiers reste dans la même entreprise.

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER