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COMMENT FAIRE FACE ?

Enquête | publié le : 20.03.2012 | VIRGINIE LEBLANC

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COMMENT FAIRE FACE ?

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

De nombreux salariés sont aujourd’hui confrontés à des agressions verbales ou physiques. Les RH les accompagnent face aux traumatismes subis et, en amont, leur proposent des formations. Mais, de plus en plus, les entreprises sont conduites à s’interroger sur la responsabilité de leur propre organisation du travail dans l’escalade des incivilités.

Rien moins que 5 760 faits de violence signalés dans le milieu hospitalier en 2011 : selon le dernier bilan de l’Observatoire national des violences en milieu hospitalier (ONVH), ces actes sont en augmentation de 13 % par rapport à l’année précédente (lire p. 27). La structure avait été créée par le ministère de la Santé au lendemain du drame de Pau, survenu dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004. Une infirmière et une aide-soignante de l’hôpital psychiatrique de la ville avait été tuées à l’arme blanche par un patient. Depuis, il fournit des données objectives sur les faits de violence dans les établissements de soins. Un commissaire de police a aussi été détaché pour coordonner les politiques de prévention et de traitement des violences. Même tendance dans le secteur bancaire, le premier à s’être engagé dans la formalisation d’un accord de branche sur le phénomène des incivilités et des violences à l’occasion des relations commerciales avec la clientèle, en 2006 puis en 2009. Le dernier bilan en date, qui concerne l’année 2010, fait état de 3 609 incivilités, dont 1 139 injures et insultes, 1 121 menaces, 1 164 agressions comportementales, les agressions physiques légères s’élevant à 128 et les plus graves à 11. Des incivilités globalement en hausse de 18 %. Une augmentation « en grande partie explicable par une meilleure remontée des incidents de la part des salariés au sein de leur entreprise, les fonctions les plus exposées étant celles d’encadrement. Cela prouve que, lorsque les difficultés surgissent avec la clientèle, les responsables de point de vente sont en première ligne et interviennent », commente Jean-Claude Guéry, directeur des affaires sociales de l’AFB (Association française des banques).

Contexte de crise

De son côté, BNP Paribas a recensé une augmentation de 30 %, en 2011, des 3 types d’incivilités, verbales, comportementales et physiques. Pour Annick Verdier, DRH de BNP Paribas Banque de détail (30 000 collaborateurs), un meilleur décompte explique aussi cette inflation ; mais elle avance également le fait que « le secteur est critiqué sans nuance et le contexte de crise peut produire davantage de conflits autour des refus d’augmentation des découverts, par exemple. Enfin, certains process peuvent sembler trop lourds aux clients ». La grille de lecture n’est pas la même, du côté syndical. « Face à la crise, on a trop laissé les salariés se débrouiller. Il a fallu se battre pour obtenir des argumentaires, déplore Régis dos Santos, président du SNB CFE-CGC. Plus il y aura de clarté et de transparence sur la relation clients-banque, moins les salariés seront victimes d’incivilités. » Dans une enquête réalisée sous l’impulsion de son syndicat, et dévoilée en décembre 2011 (lire Entreprise & Carrières n° 1074), 61,9 % des personnels interrogés affirment être confrontés à des tensions avec le public. De plus, 42 % affirment qu’il leur arrive d’avoir peur pendant leur travail.

Chez Orange France, Christine Lanoë, DRH, indique travailler depuis longtemps sur ce sujet : de fait, 35 000 salariés font face au public, physiquement dans les boutiques, chez les particuliers ou par téléphone. « Depuis 2009, nous avons généralisé dans les boutiques d’Orange un outil informatique dénommé Sequoris, grâce auquel les salariés peuvent déclarer les actes d’incivilité ou d’agression. » En 2010, 600 actes ont été recensés dans les boutiques, soit un par boutique et par an.

Club de prévention

Plus globalement, l’enquête Sumer 2002-2003 relevait que, sur les 70,9 % des salariés français travaillant en contact avec le public, 22,2 % déclaraient avoir subi au cours de l’année précédente une agression verbale et 1,8 % une agression physique. Pas étonnant que La Poste, en première ligne sur ces sujets, ait initié, depuis deux ans, un Club de prévention des incivilités, qui réunit de grandes entreprises et services publics, tous les deux à trois mois, pour échanger sur leurs pratiques. Parmi les adhérentes, GDF-Suez, la mairie de Paris, Casino, Picard, Air France, la RATP, le Stade de France, Renault, BNP Paribas, la SNCF, McDo, Total et l’AP-HP. Annick Verdier, qui y participe, indique que ces échanges permettent notamment « de ne pas se concentrer sur les seules causes externes de ces violences mais aussi de se pencher sur nos process ».

« Les tensions servicielles sont le propre de la société dans laquelle on vit et les comportements incivils ou violents sont la conséquence de relations de service mal régulées », constate Francis Ginsbourger, économiste du travail, intervenant en entreprise et chercheur associé au Centre de gestion scientifique de Mines ParisTech. « Certains messages adressés par les entreprises au public ont eu un effet catastrophique auprès des salariés », signale également Michel Debout, professeur de médecine légale, psychiatre et cofondateur de VTE (Violence Travail Environnement), une coopérative créée en 1998 et spécialisée dans les risques psychosociaux. On se souvient du fameux « pouvoir de dire oui » du Crédit lyonnais. Par ailleurs, souligne-t-il, « il y a aujourd’hui de plus en plus de distance entre l’usager et la réponse de l’entreprise. Il devient par exemple de plus en plus compliqué d’avoir une relation suivie sur son dossier, il faut que les modes de management se ressaisissent de cette question ».

L’agressivité est devenue une routine

Lorsque l’organisation ou l’entreprise ne donne pas aux salariés les moyens de répondre aux exigences des clients, le mécontentement est facilement au rendez-vous. « L’agressivité est devenue une routine et les collègues ont tendance à ne plus saisir les incivilités dans l’outil, ou seulement les agressions graves, témoigne une employée de France Télécom-Orange, déléguée du personnel. Le client souhaite une qualité de service et il n’a pas toujours ses réponses en boutique. Nous pouvons avoir du mal à joindre le service client, ou alors nous n’avons pas l’autonomie pour retirer une option… »

« Les clients n’en peuvent plus de la complexité de nos systèmes d’information, abonde Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC/Unsa de France Télécom-Orange. La direction a certes renforcé le service dans les boutiques, mais la violence a resurgi avec l’arrivée de l’offre de Free. » La DRH souligne que « les salariés ont gardé leur sang-froid. Très vite, ils ont eu communication des offres commerciales leur permettant de répondre, et les managers ont été très présents auprès des équipes ».

Plus en amont, beaucoup d’entreprises, comme Orange, misent sur la formation : « Nous abordons systématiquement ce risque avec les managers dans le cadre de l’intégration des nouveaux arrivants, indique Christine Lanoë. Et, plus globalement, l’ensemble des salariés reçoivent une formation à la gestion de la relation-client, formation qui a été revue, en 2010-2011, pour intégrer la gestion des situations difficiles afin qu’ils puissent adopter des postures de communication adaptées aux situations. Dans certaines agences, nous avons même des salariés référents dans ce domaine, qui ont un savoir-faire particulier et peuvent aider leurs collègues. »

D’ici peu, La Poste lancera un module dédié dans sa formation initiale et elle a déjà formé 8 000 collaborateurs sur le sujet, dans ses bureaux (lire p. 24). De son côté, BNP Paribas diffuse une plaquette de conseils pratiques de l’AFB, « Agir ensemble face aux incivilités ». Elle propose également des formations obligatoires d’une journée pour les conseillers, et d’une journée et demie pour les managers. En 2011, 3 000 personnes ont été formées et 4 000 le seront en 2012. Pour de nombreux experts, la formation doit aussi être un espace de parole permettant aux victimes de s’exprimer sur certains contextes de travail qui ont pu engendrer des violences externes (lire l’interview p. 29). Et sur lesquels l’entreprise devra accepter d’agir.

L’ESSENTIEL

1 Confrontés à la montée des incivilités, plusieurs secteurs et entreprises s’équipent d’outils de reporting, sensibilisent et forment leurs collaborateurs pour les aider à faire face.

2 L’expression des salariés sur ce qu’ils vivent au contact des clients permet de mieux analyser les causes des violences.

3 Certaines entreprises n’hésitent plus à interroger leurs process pour les réorganiser et ainsi faire baisser la tension entre les salariés et le public.

L’exemple de la démarche d’accompagnement de VTE

→ VTE (Violence Travail Environnement), une scop spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux au travail, intervient sur les 3 dimensions de la prévention (primaire, secondaire, tertiaire).

→ Tout d’abord, elle travaille sur l’impact immédiat de la violence sur les victimes et la prise en charge psychologique. « Nous avons la spécificité d’intervenir 48 à 72 heures après l’événement, sinon, la personne sous le choc n’est pas à même de s’exprimer, précise Sabrina Rouat, directrice de VTE. Et nous intervenons auprès du collectif de travail, toujours dans l’entreprise, ce qui nous semble plus pertinent car cela évite le déni de la situation. »

→ Par la formalisation d’une procédure de prise en charge des salariés, « l’entreprise reconnaît que, de par son activité, les salariés sont exposés à ces phénomènes, et c’est plus sécurisant pour les managers », poursuit-elle. En outre, le salarié ressentira moins de culpabilité.

→ « Sur des formations de deux jours, nous sensibilisons sur le champ de la violence et des risques psychosociaux en général. On distingue les notions de conflit et de violence : il est important que la personne se donne une limite mais encore plus que l’institution place la limite. Nous travaillons sur l’escalade de la violence, sur les ressources à opposer et sur les effets produits. Nous leur demandons de débattre sur leurs besoins et nous élaborons avec eux des réponses le second jour. Des saynètes avec des mises en situation permettent aussi de tirer des conclusions collectives. »

→ Le travail réalisé sur les incivilités met en relief des problèmes internes et permet de mieux identifier les situations dans lesquelles les risques peuvent être diminués, par exemple par l’aménagement des postes ou par l’accroissement des ressources pour faire face.

DÉFINITION DE LA VIOLENCE EXTERNE

Le concept de violence “externe” au travail englobe généralement les insultes, menaces, agressions physiques ou psychologiques exercées contre une personne sur son lieu de travail, par des personnes extérieures à l’entreprise, y compris des clients, et qui mettent en péril sa santé, sa sécurité ou son bien-être. La violence peut revêtir parfois une connotation raciale ou sexuelle. C’est une des causes essentielles du stress lié au travail. Les effets négatifs sur l’entreprise se manifestent par un absentéisme accru, une perte de motivation, une productivité en baisse, la détérioration des relations de travail, et des difficultés de recrutement.

Source : Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail.

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  • VIRGINIE LEBLANC