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Dormez bien, travaillez mieux

Pratiques | publié le : 28.02.2012 | CÉLINE LACOURCELLE

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Dormez bien, travaillez mieux

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

Préoccupés par la fatigue et la somnolence de leurs équipes, souvent signalées par les médecins du travail, les chefs d’entreprise commencent à s’intéresser au sommeil de leurs collaborateurs et certains prennent des initiatives. Il en va de la santé au travail en général et des risques psychosociaux en particulier.

Après le tabac et l’alcool, le sommeil est un sujet qui s’est naturellement invité dans les locaux du Groupe Safir, une entreprise de fabrication de portes de garage de 105 salariés. « Nous avons poussé les machines, mis l’atelier à l’arrêt, et donné la parole aux spécialistes venus, lors de deux demi-journées, expliquer de manière très concrète comment récupérer, faire de courtes siestes et lutter contre les insomnies », énumère Paul-Marie Edwards, son PDG. Si ce dernier avait bien précisé que personne n’était obligé d’y assister, aucun salarié n’a fait faux bond. « Il y a un véritable besoin », commente-t-il. Et pour cause, 7 Français sur 10 sont insatisfaits de leur sommeil(1). Insomnie, difficulté d’endormissement, réveils nocturnes… 1 salarié sur 5 se dit concerné par ces troubles, quand 5 à 7 % de la population adulte souffrent d’apnée nocturne, un syndrome susceptible d’engendrer de sévères somnolences.

Trajet longs et horaires décalés : des facteurs aggravants

Karène Valentin, chef de marché en charge de la santé au travail chez ResMed, spécialiste du dépistage, diagnostic et traitement des troubles respiratoires du sommeil, l’a constaté : « La problématique commence à prendre de l’importance au sein des services de santé au travail. Ces chiffres circulent, interrogeant les responsables d’entreprise. » Surtout en présence de certains facteurs aggravants comme des temps de trajets à rallonge ou des horaires atypiques.

C’est justement la fatigue de certains collaborateurs d’Orange, rapportée lors d’un comité l’établissement à Lyon, qui a mobilisé l’année dernière une équipe projet. « Avec l’aide de la Cité du design, nous avons mis au point un espace totalement inédit, adapté à l’entreprise qui, telle une bulle, permet de s’allonger pour de courtes siestes, dans une ambiance sonore étudiée pour faciliter l’endormissement », explique Patrick Cogordan, le chef de projet. Les deux prototypes, disponibles depuis un an, affichent un taux de fréquentation de 15 %. « 226 salariés les ont testés. Certains restent réfractaires, d’autres l’utilisent plusieurs fois par mois, sans abus, tant au sein de la population cadre que des conseillers clientèle », conclut le responsable, satisfait que l’effet escompté soit atteint, aux dires des salariés, « à savoir un véritable apaisement lors de cette pause ».

Chez PwC, l’espace sieste du site de Neuilly a une histoire originale. « À l’occasion d’un prix de l’innovation, organisé en 2009, un groupe de consultants a avancé l’idée d’un espace bien-être et sieste », explique Isabelle Mathieu, DRH adjointe. Le jury composé d’associés a été convaincu par le concept et par le prestataire convié pour une démonstration. Quelques mois plus tard, les 3 000 salariés des lieux disposaient de 30 m2 aménagés sur un patio intérieur. Une partie couverte de gros coussins séparés par des paravents, plongée dans une semi-pénombre étudiée, les accueillant pour une déconnexion temporaire (voir photo p. 14).

La sieste après déjeuner et en fin d’après-midi

Depuis trois ans, 6 000 siestes ont été prises. « Nous n’avons constaté aucune période de latence, l’espace a été adopté immédiatement. Le taux d’occupation est de l’ordre de 45 %, avec une période de pointe à la pause déjeuner et en fin d’après-midi », se félicite Isabelle Mathieu, même si elle convient qu’il est difficile d’en mesurer l’impact. Qu’importe, elle sait la satisfaction qu’en retirent les salariés. Ce qui ne peut être que positif dans un contexte législatif toujours pressant en matière de santé au travail en général et de risques psychosociaux en particulier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Les responsables d’entreprise soucieux du sommeil de leurs équipes relient sans détour leurs pratiques à ce risque, qu’ils placent au même niveau que celui des accidents du travail.

Lorsque Réunica a lancé, en 2008, auprès de ses clients, son programme « santé vigilance sommeil » comprenant documents d’information, matériels d’exposition, ateliers et conférences didactiques, il n’était pas question de parler de stress. « Nous préférions présenter les problèmes de sommeil comme le premier trouble de désadaptation », souligne Sandrine Cauvin, responsable des activités sociales du groupe de protection sociale et de retraite complémentaire. Et cela a pris. Après une phase expérimentale, le dispositif ayant déjà attiré 700 salariés a été reconduit jusqu’en 2013. « Ces journées intéressent tous les publics, des grandes entreprises aux PME, des emplois tertiaires à ceux des usines », confirme-t-elle. Pas étonnant donc que les initiatives commencent doucement mais sûrement à se multiplier.

En novembre dernier, c’est une campagne de prévention qui a été organisée pour les entreprises, avec succès, par l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) et ResMed, à l’occasion du congrès du sommeil, de la Société française de recherche et médecine du sommeil (SFRMS).

Des conseils à expérimenter immédiatement

La recette ? Des contenus très concrets, avec des conseils à expérimenter immédiatement, selon Marc Escoffier, responsable RH de Stas, exploitant du réseau de transport de Saint-Étienne Métropole. Il sait de quoi il parle : sa société a participé à cette opération. « Leur proposition d’intervention, dans nos locaux, pour informer nos salariés sur le sommeil, est arrivée alors qu’avec l’Aract Rhône-Alpes, le CHSCT et moi-même réfléchissions à diverses pistes d’action dans le cadre de notre gestion des risques psychosociaux. »

Si le sujet intéresse, il n’est pas prioritaire face à beaucoup d’autres qui concernent aussi la santé au travail. Mais les médecins du travail, bien informés par les salariés, n’hésitent pas à s’en saisir. Ce sont d’ailleurs les acteurs ciblés par Karène Valentin et ResMed : « Notre but est de sensibiliser les équipes de santé au travail. » Pour cela, un carnet sommeil a été conçu envoyé à 8 600 médecins et infirmières du travail. Et, bonne surprise, la très large majorité d’entre eux a contacté l’entreprise pour recevoir des supports d’information complémentaires.

(1) Enquête conjointe de l’INSV et de la MGEN, 2011.

L’ESSENTIEL

1 Horaires décalés, métiers stressants, temps de transport… 20 % des salariés souffrent de troubles de sommeil.

2 La fatigue induite commence à préoccuper l’entreprise qui propose aux intéressés des journées de sensibilisation au sommeil, animées par des spécialistes, ou des espaces sieste.

3 Très souvent intégrées dans la gestion des risques psychosociaux, ces initiatives sont lancées notamment par les services de santé au travail, faisant écho aux problèmes de somnolences des salariés.

État des lieux

→ Un tiers des Français dorment environ six heures par nuit.

→ 55 % des actifs aimeraient dormir davantage.

→ Seuls 37 % des salariés ont des horaires. “normaux” (soit 5 journées de travail régulières matin et après-midi pour 2 jours de repos le week-end).

→ 15,2 % des salariés travaillent la nuit.

→ 1 adulte sur 5 se dit insomniaque.

→ 20 % des salariés se plaignent de somnolence.

Source INSV, Dares.

AIR FRANCE
Un forum pour gérer les horaires décalés

Avec des cycles de huit semaines au cours desquels les salariés n’embauchent jamais aux mêmes heures (de 5 h 30 le premier jour à 16 h 30 le dernier), les problèmes de sommeil sont légion chez Air France. Ils n’ont d’ailleurs pas étonné Valérie Redouté, infirmière au pôle exploitation de l’aéroport de Roissy (Val-d’Oise). « Ancienne infirmière de nuit en hôpital, j’ai été sensibilisée au sujet. Les quelque 8 500 personnels non navigants, agents commerciaux et agents de piste, suivis par notre service de santé au travail, nous font part régulièrement de leur difficulté à s’endormir, notamment le dernier soir de leur repos, de leurs insomnies à l’origine de nuits blanches et de leur fatigue récurrente. C’est pourquoi nous avons très tôt investi la problématique », précise-t-elle. Un forum sur le sommeil a été proposé en 2006, expérience reconduite en 2010. « Nous l’avons organisé sur une semaine, afin de couvrir toutes les prises de poste », poursuit la jeune femme. Au programme : deux conférences animées par des médecins spécialisés, un atelier sur l’apnée du sommeil réalisé par ResMed avec prêt d’appareil de dépistage et des séances de relaxation pour une meilleure récupération proposées par une infirmière. « Nous avons également mobilisé une diététicienne, via notre mutuelle, car beaucoup d’agents se plaignent aussi de troubles alimentaires du fait de leurs horaires décalés et d’une perturbation de leur rythme des repas. Ce qui les amène à grignoter et donc à prendre du poids », souligne l’infirmière, dressant un bilan positif de l’opération : « 1 300 salariés ont participé à l’édition 2010 et quelques apnées du sommeil ont été diagnostiquées. » Mieux, les salariés en redemandent. C’est ce qui ressort du questionnaire de satisfaction distribué à la sortie.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE