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LA MIXITÉ N’EST PAS POUR DEMAIN

Enquête | publié le : 28.02.2012 | EMMANUEL FRANCK

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LA MIXITÉ N’EST PAS POUR DEMAIN

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Difficile de féminiser des métiers traditionnellement masculins. Les problèmes que rencontrent les entreprises tiennent moins aux conditions d’exercice des métiers qu’à l’articulation des temps de vie et aux stéréotypes sur les femmes.

Davantage de femmes conductrices de tracteurs, chauffeures de bus, ouvrières à la chaîne, conseillères en bricolage ou cadres dans l’automobile ou la téléphonie mobile, c’est possible, mais difficile. Bouygues Telecom, Renault, Castorama, la société de transport de voyageurs Maisonneuve, la PME de la plasturgie Unisto, les viticulteurs de Gironde sont autant d’entreprises qui, comme beaucoup d’autres, tentent de féminiser leurs métiers, très souvent occupés par des hommes (lire p. 23 à p. 26).

Elles le font pour des raisons différentes qui parfois s’imbriquent. Certaines estiment, à l’instar de Renault, que la mixité est créatrice de richesses, voire, comme Unisto, que les femmes possèdent des qualités intrinsèques qui les avantagent par rapport aux hommes. D’autres, à l’image de Bouygues Telecom, arguent qu’il en va de leur responsabilité sociale ; cette vertu pouvant être attestée par un label égalité, comme chez Castorama. D’autres, enfin, recherchent tout simplement de la main-d’œuvre. C’est le cas des viticulteurs de Gironde ou des cars Maisonneuve. Cette dernière motivation est cependant de moins en moins invoquée, compte tenu de la hausse du chômage, ainsi que le remarque Florence Chappert, responsable du projet conditions de travail des femmes et des hommes à l’Anact (lire l’entretien p. 27).

Contrat pour la mixité des emplois et l’égalité professionnelle

Ces entreprises rejoignent un objectif d’intérêt général. La mixité est en effet un levier important de l’égalité professionnelle. Les 27 % d’écart moyen entre les salaires des hommes et des femmes en France s’expliquent en partie par le fait qu’ils n’occupent pas les mêmes emplois. Les premiers sont plus présents dans les métiers techniques et les postes à responsabilité, tandis que les secondes se concentrent dans le secteur tertiaire à des niveaux subalternes ou intermédiaires, constate l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entre

C’est d’ailleurs pour remédier à cette situation que les pouvoirs publics financent le contrat pour la mixité des emplois et l’égalité professionnelle, afin d’aider les entreprises dans leurs démarches (renseignements sur <www.travail-emploi-sante.gouv.fr>). Toutefois, la priorité des pouvoirs publics ces dernières années semble se concentrer davantage sur les conseils d’administration (loi Coppé-Zimmermann instaurant des quotas) et sur la parentalité masculine (rapport Grésy de juin 2011).

Les actions des entreprises prennent des formes différentes selon leur secteur d’activité, les métiers qu’elles veulent féminiser et la manière dont elles souhaitent s’y prendre. Dès lors que le métier suppose des compétences techniques, il faut former le salarié. Cela devrait être le cas avec n’importe quel salarié, mais c’est encore plus vrai pour les femmes. En Gironde, la CFDT locale est à l’origine d’une formation de tractoriste pour les femmes, à l’issue de laquelle les salariées peuvent effectuer les travaux de la vigne. Or, une telle formation n’aurait pas été nécessaire pour les hommes, « car les employeurs font travailler des hommes sans qualification sur les tracteurs, mais refusent de faire de même pour les femmes », explique Corinne Lantheaume, responsable CFDT de la production agricole de Gironde.

prises.

Adaptation des postes : nécessaire mais pas suffisant

Dans les métiers physiques, le préalable est d’adapter le poste de travail à la physiologie des femmes : pas de charges lourdes, vestiaires et toilettes séparés, équipements individuels adaptés. L’Anact, qui fut longtemps sollicitée pour ce type d’opération, constate qu’il s’agit d’une condition nécessaire mais non suffisante pour maintenir des femmes sur des postes “masculins”. Manque de perspectives, propos sexistes, photos pornographiques : « Au bout d’un moment, elles s’en vont », témoigne Florence Chappert.

Ainsi que l’atteste la multiplication des dispositions visant l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée dans les accords d’égalité professionnelle, les entreprises se préocuppent de plus en plus de cette question. Il s’agit d’un point particulièrement sensible pour les femmes, quelles soient ouvrières ou cadres. Par exemple, l’entreprise de BTP Lainé Delau a remplacé ses véhicules de service ne comportant que 2 places par d’autres suffisamment grands pour que ses salariés (dont 15 % de femmes) puissent y faire monter leurs enfants à la sortie de l’école. Plus classiquement, certaines entreprises financent des crèches, des Cesu, du télétravail.

Le troisième obstacle auquel les entreprises doivent faire face sont les stéréotypes sur les femmes, qui proviennent des salariés, des employeurs et des femmes elles-mêmes.

Des filières techniques plus attirantes

Dans le but d’attirer davantage d’étudiantes dans les filières techniques, des entreprises se déplacent dans les écoles et organisent des marainages, souvent via des associations spécialisées comme Elles bougent, par exemple. Afin d’inciter leurs salariées à oser prendre des postes de management, les entreprises créent des réseaux internes, organisent du mentorat, proposent des formations au leadership et veillent à ce que des femmes soient présentes parmi les candidats à la succession d’un manager.

Malgré cette bonne volonté, les résultats sont mitigés. La féminisation de l’encadrement progresse doucement mais souvent en deçà des objectifs que se sont fixés les entreprises. Par exemple, Renault s’est imposé 30 % de femmes parmi ses recrutés d’un niveau bac + 2 mais plafonne à 24 %, soit à peu près la proportion de femmes sortant des écoles qui intéressent le constructeur. Chez Bouygues Telecom, la proportion de femmes chefs de service est passée de 18,9 % à 20,1 % en deux ans, mais il n’y a encore aucune femme au comité de direction. Castorama s’en tire mieux avec 38 % de femmes dans l’encadrement (31 % en 2006) et 24 % dans la filière vente (21 % en 2006).

La mixité dans les postes de production paraît encore plus éloignée. Il faut dire que les entreprises en font rarement une priorité. Renault n’a pratiquement rien prévu pour faire progresser la proportion d’ouvrières dans ses usines françaises (9 %). Sans faire plus d’efforts en Roumanie, les usines de Renault emploient 35 % d’ouvrières. Chez Michelin, cette proportion reste bloquée à 4,5 %. L’offre de main-d’œuvre étant pléthotique en ce moment, les entreprises ne ressentent vraisemblablement pas le besoin de faire des efforts pour attirer les femmes.

Ce n’est pas le cas chez les viticulteurs de Gironde, dans la société de transport de voyageurs Maisonneuve et dans la PME de la plasturgie Unisto. Pour des raisons différentes, ces employeurs ont manqué de bras à un moment donné et se sont alors tournés vers la main-d’œuvre féminine. Mais seul Unisto est réellement parvenu à un résultat spectaculaire : trois quarts d’ouvrières. Les 2 autres éprouvent des difficultés à attirer des candidates.

Surreprésentation des hommes

Les conditions de travail n’étant pas physiquement plus difficiles ici que là, la différence pourrait tenir à un effet de masse : la surreprésentation des hommes dans un métier réduit son attractivité auprès des femmes, mais dès que ces dernières sont en nombre suffisant, le cercle vicieux se transforme en dynamique vertueuse. Selon Florence Chappert, le cas des pays de l’Est, où la participation des femmes à tous les métiers et à tous les niveaux est longtemps allée de soi, démontre que « ce ne sont pas les conditions de travail qui bloquent la féminisation mais les représentations ».

L’ESSENTIEL

1 L’écart moyen de salaire entre les hommes et les femmes est de 27 %. Cette différence s’explique en partie par une ségrégation professionnelle

2 Les entreprises qui veulent féminiser leurs “métiers d’homme” se concentrent sur les niveaux technicien et cadre, et n’agissent en direction des ouvrières que lorsqu’elles manquent de main-d’œuvre.

3 La féminisation des métiers masculins se heurte aux problèmes de l’articulation entre la vie privée et la vie professionnelle des salariées et aux stéréotypes sur les femmes. La pénibilité du travail n’est pas un enjeu.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK