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« LES OPCA ONT DE L’AVENIR, SI… »

Enquête | publié le : 31.01.2012 | L. G.

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« LES OPCA ONT DE L’AVENIR, SI… »

Crédit photo L. G.

Les Opca ont de l’avenir, s’ils se dotent d’une culture de la performance du service offert, et s’ils tranchent la question de la légitimité sur les fonds, assure Jean-Pierre Willems, spécialiste du droit de la formation professionnelle.

E & C : Les Opca récemment restructurés ont-ils de l’avenir, ou le système est-il voué à une prochaine réforme ?

J.-P. W. : Les Opca, et les partenaires sociaux qui les ont créés et les administrent, ont subi la réforme de 2009. De leur action dans les mois qui viennent dépendra leur capacité à ne pas subir la prochaine réforme. Comment sécuriser ce système ? Par l’action de terrain et les résultats, par la capacité à créer des dynamiques sociales et territoriales, pour amener de la valeur ajoutée aux entreprises et aux personnes. Un Opca performant sera celui capable d’évaluer son action non par les moyens mobilisés mais par les fins, et capable de travailler principalement sur l’aval de la formation. Celle-ci est un moyen, pas une fin.

E & C : Comment peuvent-ils se positionner ainsi ?

J.-P. W. : Les Opca sont les seuls organismes en capacité d’accompagner les personnes sur l’ensemble de leur parcours : en information, en conseil, en financement, en capacité de partenariat. Ils sont également les seuls en capacité d’accompagner les entreprises sur l’ensemble de leurs besoins de compétences et sur une très grande partie de la politique RH. C’est un positionnement incomparable sur le champ de la compétence, de la professionnalisation, de l’emploi et du travail.

Par ailleurs, l’Opca est en capacité de concilier la logique verticale de branche et celle horizontale de territoire. Ce qui est plus difficile pour l’État qui est dans une logique nationale descendante, ou pour les régions qui subissent les limites territoriales. Au final, l’Opca est seul capable de croiser les logiques de branche et de territoire.

La capacité d’initiative, d’innovation, d’expérimentation des Opca est potentiellement énorme. Mais se pose la question de la capitalisation et du transfert des pratiques, de la mutualisation non financière. C’est sur le terrain de l’innovation que l’Opca gagnera sa légitimité et pourra s’inscrire dans des logiques qui dépassent la simple rationalité financière.

E & C : Pourquoi n’est-ce pas le cas aujourd’hui ?

J.-P. W. : Parce que les Opca, comme les entreprises, sont souvent restés enfermés dans la logique formation : besoins, plan, budget, accès, dispositifs, évaluation. Ce qui a conduit à de bons niveaux de performance sur l’amont et la production de formation, mais a occulté l’aval (impacts, effets, intérêts, articulation avec d’autres outils de professionnalisation), mais aussi à un rendez-vous manqué depuis 2003 sur la notion de professionnalisation.

Par ailleurs, les partenaires sociaux conduisent des politiques qu’ils évaluent peu, car elles sont politiques ! Ils n’ont pas non plus développé de pratiques d’évaluation collective et/ou externe des résultats de la négociation sociale ou de l’action paritaire. Ce n’est qu’en 2003 qu’est apparu la CPNEFP. Or, ne pas s’évaluer, c’est se soumettre à l’évaluation d’autrui ! Ce qui a généré l’inflation des rapports d’évaluation du système de formation professionnelle. Le système paritaire s’est trouvé en situation défensive, sans véritable capacité de proposer une autre vision de son action. Bilan : après quarante ans d’existence, les Opca restent largement méconnus par les entreprises et les salariés, par la classe politique, par tous ceux qui ne sont pas des professionnels du secteur. Il s’agit moins d’un défaut de communication que d’une difficulté à dire précisément et clairement en quoi consiste le métier de l’Opca, sa valeur ajoutée, les effets de son action : la culture du service peine à se substituer à celle du contrôle, la logique de service rendu au bénéficiaire - entreprise, salarié - peine à se substituer à celle de dispositifs à déployer. La communication est plus souvent réalisée dans le langage professionnel de l’Opca que dans celui des bénéficiaires (logique descendante) et les Opca ont trop souvent répercuté sur les bénéficiaires de leur action la complexité du système de formation.

E & C : Dans cette logique de service performant, faut-il revenir sur la nature fiscale des fonds transitant par les Opca ?

J.-P. W. : C’est fondamental. Car 4 légitimités s’affrontent sur la gestion des financements de la formation professionnelle : celle de l’État en vertu de la nature fiscale des financements, celle des organisations patronales qui estiment que ce sont des cotisations entreprises, celle des Opca responsables de la gestion et de l’utilisation des financements, et celle des organisations syndicales qui estiment que la finalité est de servir la formation des salariés ! Faute de consensus pour aller vers une cotisation sociale, l’ambiguïté persistera, ce qui facilitera toujours le rôle de l’État.

La gestion paritaire externe devait être un levier pour le dialogue social, comme le fiscal n’était qu’un starter pour le développement de la formation. Or, c’est la loi qui a rendu obligatoire la négociation sur la formation et, en quarante ans, jamais les financements n’ont été articulés sur le dialogue social interne ! La dialectique accord-loi des années 1970 et 1980 a disparu dans les années 1990, a ressurgi en 2003-2004 mais insuffisamment pour s’imposer aux pouvoirs publics. Les dynamiques sociales générées par les Opca constituent un angle mort de toute évaluation récente.

E & C : Les partenaires sociaux sont-ils en position de mener cette réforme de fond ?

J.-P. W. : Ils sont en concurrence avec l’État. Le temps politique est articulé sur des rythmes courts. Or, un système de formation professionnelle ne se réforme pas en un temps court : il nécessite négociation, organisation, mise en œuvre, appréciation des effets. En matière sociale, cinq ans est un horizon de court terme. En matière politique, c’est un horizon de long terme. Lancer une réforme en 2008 n’a pas permis d’aller au bout de l’évaluation et de l’approfondissement de la réforme-refondation de 2003-2004.

E & C : Cette discordance des temps ne pose-t-elle pas la question de la capacité des partenaires sociaux à travailler sur leur propre agenda social ?

J.-P. W. : Oui. Or, toute période de crise accentue la centralisation : le mouvement de regroupement de 1993-1995 fait suite à la crise des années 1992-1993; la loi de 2009 fait suite à la crise de 2008-2009. Elle s’inscrit dans un mouvement de recentralisation plus vaste : fusion ANPE-Assedic pour créer Pôle emploi; création des Direccte dans le cadre de la RGPP; suppression des CCI au profit des CRCI; regroupement des universités au sein des PRES… Et, au-delà, regroupement des organismes sociaux (caisses de retraite, organismes de prévoyance, de Sécurité sociale…). La logique est celle d’un pilotage central, d’effets de taille et d’économies d’échelle.

En 1971, le système a été bâti par un compromis entre un courant socialiste autogestionnaire et un courant démocrate chrétien. Toutes les lois de 1971 sont des lois d’autonomisation et de responsabilisation des acteurs sociaux (loi sur la formation, loi sur l’enseignement technologique, loi sur l’apprentissage). Elles font le pari de l’implication de chacun et de la multiplicité d’acteurs. Or, la culture politique dominante au pouvoir pendant quarante ans a été républicaine jacobine, gaulliste sociale, bonapartiste. Dans tous les cas, étatique et centralisatrice. D’où une véritable difficulté à construire une gouvernance stabilisée.

Auteur

  • L. G.