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« L’individualisation du contrat de travail individualise le licenciement »

Enjeux | publié le : 31.01.2012 | PAULINE RABILLOUX

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« L’individualisation du contrat de travail individualise le licenciement »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Employeurs et salariés semblent s’accorder sur l’individualisation des ruptures de contrat de travail mais aussi des primes de départ. Cette gestion des restructurations a cependant un coût pour la collectivité et pénalise les plus fragiles.

E & C : Les licenciements pour motif économique et les licenciements personnels se brouillent, pourquoi ?

Florent Noël : Parmi les motifs d’inscription au chômage recensés chaque année par Pôle emploi, le licenciement pour motif économique ne représentait en 2009 que 4 % environ du nombre des demandeurs d’emploi contre 25 % pour les fins de CDD, 10 % pour les licenciements pour motif personnel et 33 % pour d’autres motifs. Deux ans plus tard, ces licenciements économiques représentent environ 2 % des licenciements alors que ceux pour “autres motifs” ont explosé, passant de 30 % des licenciements en 2008 à 41 % en 2010, essentiellement du fait du dispositif de rupture conventionnelle mis en place en 2008. Tout s’est passé comme si le licenciement pour motif économique devenait obsolète. Ce type de rupture apparaît pénalisant pour les entreprises du fait de sa complexité, de son aspect souvent conflictuel aux plans juridique et social, et de la dramaturgie qui l’entoure, dont s’emparent régulièrement les médias. Les recours devant les tribunaux sont nombreux et le licenciement économique est susceptible d’entacher à long terme l’image d’une entreprise. Comparativement, les licenciements pour motif personnel et les ruptures conventionnelles passent quasi inaperçus. Ils sont par ailleurs plus souples, sous réserve qu’ils ne puissent pas être dénoncés comme des licenciements collectifs. En ce qui concerne les ruptures conventionnelles, aucune raison n’est à invoquer et il est toujours loisible de faire progressivement, par paquet de 9 salariés, ce qu’un plan social aurait réglé collectivement.

Le licenciement collectif paraît donc une forme résiduelle héritée de la logique collective de l’ère industrielle. C’est la solution de dernier recours pour se séparer de salariés quand toutes les autres sont impossibles ou inutiles : en cas de faillite ou dans les petites entreprises qui ne sont pas exposées médiatiquement et n’ont pas l’obligation d’assumer de plan de sauvegarde de l’emploi.

E & C : Quels sont les causes et les enjeux de cette évolution ?

F. N. : Outre l’évolution législative, les causes sont sans doute à chercher dans la tendance générale à l’individualisation des conditions de travail et de rémunération. Quand les contrats de travail sont rédigés au cas par cas, leur rupture paraît assez logiquement relever également du cas par cas. Ce point fait d’ailleurs consensus entre les entreprises, qui gèrent les emplois individuellement, et les salariés, qui ne tiennent pas forcément à être mis dans le même sac que leurs collègues. Le discours sur les compétences, les mérites et les talents individuels est aujourd’hui largement partagé par les employeurs et leurs salariés. La perte d’audience syndicale est tout à la fois la conséquence de ce phénomène et explique pour une bonne part qu’ils ne se sentent pas les coudées franches pour gérer les licenciements au niveau collectif. Il n’est d’ailleurs pas dit que les salariés aient vraiment intérêt à se retrouver en masse sur le marché de l’emploi ni même à voir diminuer leur prime de licenciement au profit de l’enveloppe nécessaire au financement du reclassement.

Autre paramètre non négligeable, notamment en période de crise économique, les salariés semblent de moins en moins croire au reclassement. Chacun, dans une logique opportuniste, mène donc sa carrière et son licenciement au mieux de ses intérêts. Les jeunes, qui pourront retrouver plus facilement du travail, profitent de l’effet d’aubaine, et les seniors voient dans la rupture conventionnelle une alternative aux préretraites. Seuls les salariés qui ont encore plus de dix ans d’activité devant eux, mais déjà trop âgés pour se reclasser aisément, sont dans une situation problématique. Le deal - recevoir de l’argent plutôt que de conserver un emploi - peut paraître parfois profitable aux salariés.

Le montant de l’indemnisation est d’ailleurs assez souvent le principal enjeu des restructurations économiques.

Dernière explication enfin, et non des moindres, le reclassement difficile au moment du licenciement est devenu une réalité organisationnelle dans les grandes entreprises, contraintes de mener une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. C’est en amont, par les opportunités de carrière et la formation, qu’est gérée l’employabilité.

E & C : Quels sont les conséquences et les risques éventuels de cette individualisation des licenciements ?

F. N. : L’individualisation est donc consensuelle pour des raisons à la fois culturelles et économiques. La rupture conventionnelle permet de convertir le problème social du licenciement en problème financier. Au moins dans l’idéal. Aujourd’hui, ce type de rupture est encore trop récent pour que les contentieux aient eu le temps de se multiplier. Deux problèmes pourtant pourraient d’ores et déjà être soulevés. Le premier se situe au niveau de l’État, désireux d’acheter la paix sociale, mais à qui incombent les frais de reclassement non pris en charge par l’entreprise. La prime de départ et les indemnités de chômage, au surplus, ne sont pas de nature à pousser le salarié à rechercher rapidement un emploi. Et cette situation peut favoriser le chômage de longue durée et l’inemployabilité.

Le second problème concerne les travailleurs les moins bien formés ou dont la formation est déjà ancienne. Sans passage par une cellule de reclassement, ils se retrouvent en très mauvaise posture sur le marché du travail, qu’ils aborderont sans le soutien social procuré par le collectif. On peut penser d’ailleurs que ce sont ces mêmes travailleurs peu formés qui rencontrent le plus de difficultés à négocier leur départ.

Le législateur ne fixant aucune obligation quant au montant des primes, on peut craindre avec ce régime “à la tête du client” que le fossé ne se creuse encore entre les gagnants et les perdants du licenciement. Si une majorité de salariés est d’accord pour encaisser un gros chèque, on peut légitimement se demander ce que cela représente au regard de la disqualification au long cours de certaines personnes sur le marché de l’emploi.

SON PARCOURS

• Florent Noël est professeur des universités à l’IAE Nancy. Docteur et agrégé en sciences de gestion, il travaille aussi au sein de la chaire “Mutations, anticipations, innovations” (IAE Paris) et du laboratoire Cerefige (IAE Nancy).

• Il est l’auteur, avec Géraldine Schmidt, d’un article sur « La tendance à l’individualisation dans les modalités de gestion des restructurations » (in L’État des entreprises 2012, La Découverte, 2011).

• Il prépare actuellement un article sur la nature des compromis entre indemnisation et reclassement, à paraître dans la Revue française de gestion.

SES LECTURES

• Restructurations d’entreprises : des recherches pour l’action, R. Beaujolin-Bellet, G. Schmidt, Vuibert, 2008.

• Sorties de cadre (s). Le licenciement pour motif personnel, instrument de gestion de la firme mondialisée, F. Palpacuer, C. Vercher, A. Seignour, La Découverte, 2007.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX