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Enquête

LE PATRONAT A PRIS DE L’AVANCE

Enquête | publié le : 24.01.2012 | EMMANUEL FRANCK

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LE PATRONAT A PRIS DE L’AVANCE

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

À l’approche de la réforme de la représentativité des syndicats de salariés, plusieurs d’entre eux tentent de développer les services aux adhérents. La tâche s’avère difficile. Les organisations patronales sont déjà mieux équipées dans ce domaine.

En matière de services individuels aux adhérents, les syndicats patronaux peuvent en remontrer aux syndicats de salariés. En matière de taux d’adhésion également : les syndicats de salariés atteignent 5 % d’adhérents dans le secteur privé, alors que les confédérations patronales en totaliseraient 20 % à 30 % (lire p. 24 et l’interview de Michel Offerlé p. 31). Au moins 4 organisations de salariés font preuve actuellement d’un regain d’intérêt pour les services aux adhérents : la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et l’Unsa. Cette redécouverte du syndicalisme de services coïncide avec l’approche des élections de représentativité dans les TPE à la fin de l’année, avant l’agrégation des résultats dans toutes les entreprises en 2013.

Ainsi, lors du dernier congrès de la CFTC en novembre 2011, le service aux adhérents issus des TPE (protection contre les aléas de la vie professionnelle, accès à des activités sociales, protection du militant…) était l’une des propositions du rapport “organisation-développement”. À cette occasion, il est apparu que le débat doctrinal sur le syndicalisme de services, assimilé à de la compromission, n’était pas totalement terminé. La proposition a en effet suscité un esclandre, avant d’être finalement votée.

Des services qui restent limités

L’offre de services aux salariés du secteur privé reste cependant limitée et les nouveautés sont rares. Car, comme le remarque le sociologue Michel Offerlé, la place est déjà prise par les mutuelles, les assurances, les comités d’entreprise. Le service de base et historique consiste en une aide juridique face à l’employeur ; c’est surtout sur ce point que les syndicats sont attendus (lire p. 24).

Il y a néanmoins deux nouveautés. D’une part, les syndicats tentent de toucher des publics qu’ils délaissaient jusqu’alors, notamment les salariés des TPE-PME et les précaires. Accéder à ces derniers (CDD, intérimaires, saisonniers, sans-papiers) se révèle une tâche pratiquement impossible, malgré les bus et autres caravanes itinérantes (lire p. 25). Le taux d’adhésion y est très faible (0,9 % parmi les intérimaires).

Les tentatives des syndicats en direction des PME obtiennent davantage de succès. La CFDT expérimente actuellement dans 3 régions une nouvelle plate-forme téléphonique qui répond aux questions juridiques des adhérents ainsi qu’à celles ayant trait à la vie quotidienne (famille, logement, santé, services publics). Tenue par des militants, elle rencontre un certain succès. L’Unsa annonce de son côté avoir attiré 2 000 adhérents issus de petites entreprises dans le secteur du sport grâce à ses contrats d’assurance (lire p. 24).

Diversification de l’offre

La seconde tendance est la diversification de l’offre. À côté de l’aide juridique, les syndicats proposent des assurances à tarifs négociés pour améliorer la couverture sociale des salariés ou celle de leurs risques professionnels ; du loisir (la CFTC Métallurgie a par exemple conclu un accord avec CanalCE permettant d’accéder gratuitement à une assistance juridique et à des offres de loisirs à tarifs réduits) ; ou encore du conseil : aide psychologique du cabinet Psya pour les adhérents de la CFE-CGC, DilemPro2 pour ceux de la CFDT Cadres confrontés à une demande déontologiquement douteuse. Les syndicats de cadres font preuve d’une certaine inventivité, mais il s’agit de services de niche (lire p. 26). Le taux d’adhésion des cadres du privé est de 7,7 %.

Ces services restent très limités comparés à ceux proposés par les syndicats de l’éducation nationale (taux d’adhésion : 25 %), qui, il est vrai, sont cogestionnaires des mutations des enseignants, voire de l’obtention de l’agrégation (lire p. 27). Sans parler des professions ouvertes aux seuls encartés (ouvriers du livre, dockers : taux d’adhésion de 100 %). Ni même des pays qui pratiquent le “modèle de Gand”, comme la Belgique, où les prestations chômage sont pratiquement conditionnées à l’adhésion au syndicat (taux d’adhésion des chômeurs : 90 %).

L’offre de services des syndicats est également limitée par rapport à celle des organisations patronales. Il faut dire que ces dernières ne sont pas confrontées à la même résistance doctrinale. Le service aux adhérents est devenu la priorité de l’UIMM (métallurgie) depuis que Jean-François Pilliard en est devenu le délégué général en 2008 et qu’il s’est rendu compte que les adhérents, naguère militants, se transformaient en consommateurs. Selon lui, ce recentrage sur les adhérents a permis d’en stabiliser le nombre. 33 % des établissements de la métallurgie seraient aujourd’hui syndiqués à l’UIMM, selon les chiffres de cette dernière (lire p. 28).

Syndicat d’idées et surtout de services

L’Umih (industrie de l’hôtellerie) et la FFB (bâtiment) se présentent également comme des syndicats de services (lire p. 30). Le taux d’adhésion des entreprises de l’hôtellerie serait de 50 % et de 40 % dans le bâtiment. La Capeb (artisanat du bâtiment) se veut à la fois syndicat d’idées et de services, mais c’est bien avec ce dernier argument qu’elle compte emporter l’adhésion des TPE du secteur, qu’elle dispute à la FFB.

Hormis la réduction de 33 % sur les droits Sacem (droits sur la diffusion de musique) des adhérents à l’Umih, les services des syndicats patronaux sont assez classiques : conseils juridiques, surtout dans le domaine social ; rencontres avec d’autres entreprises du secteur ou avec des fournisseurs ; journal de la profession ; parfois bourses à l’emploi et centrale d’achats.

La différence avec les syndicats de salariés réside plutôt dans le soucis d’adapter l’offre à ce qu’attendent les adhérents patronaux (enquêtes à l’appui), ainsi que dans la disponibilité et la réactivité des interlocuteurs mis à leur disposition. La FFB, certifiée ISO 9001, peut ainsi se targuer de répondre à 250 000 appels d’adhérents par an.

L’ESSENTIEL

1 Les syndicats ont d’abord pour vocation d’apporter des services aux salariés. C’est l’approche des défenseurs d’un syndicalisme de services, par opposition à un syndicalisme d’idées.

2 Autant les organisations patronales sont très à l’aise dans le syndicalisme de services, autant les syndicats de salariés peinent à développer leur offre et doivent encore affronter une résistance doctrinale.

3 Certaines confédérations comptent notamment sur l’offre de services aux salariés pour affronter la réforme de la représentativité en 2013.

LES PATRONS SONT PLUS SYNDIQUÉS QUE LEURS SALARIÉS

Seuls 5 % des salariés du secteur privé adhèrent à un syndicat (8 % en comptant le secteur public). En comparaison, les chefs d’entreprise sont beaucoup plus syndiqués. En effet, selon le chercheur Michel Offerlé, spécialiste des organisations patronales, 20 % à 30 % des entreprises françaises adhèrent indirectement (l’adhésion se fait au niveau du syndicat local) à l’une des 4 confédérations patronales (Medef, CGPME, UPA et UNAPL) (lire son interview p. 31). Les entreprises qui ne relèvent d’aucune de ces organisations ne sont donc pas incluses dans le calcul. Il s’agit de la première estimation indépendante réalisée en la matière. Les patrons adhèrent donc 4 à 6 fois plus à un syndicat que leurs salariés.

Or, l’une des différences entre les syndicats de salariés et ceux des patrons est le service aux adhérents : il est peu développé chez les premiers et beaucoup plus chez les seconds. Certes, les patrons ne paient pas la cotisation syndicale de leur poche, contrairement aux salariés, qui peuvent toutefois la déduire en grande partie de leurs impôts.

Mais la coïncidence entre le taux d’adhésion et le niveau de services proposé fonctionne aussi entre syndicats de salariés. Ainsi, à l’éducation nationale, où le service est important, il y a 25 % de syndiqués. Il est vrai que les syndicats sont cogestionnaires.

De même dans les pays qui pratiquent le modèle de Gand (la protection sociale conditionnée à l’adhésion), le taux d’adhésion est élevé : plus de 50 % en Belgique, 71 % en Suède. Ce modèle n’est toutefois pas transposable en France, où les syndicats se sont dissociés des mutuelles à la fin du 19e siècle. À l’heure actuelle, 93 % de la population française est couverte par une mutuelle. E. F.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK