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Enquête

« 20 % à 30 % des entreprises adhèrent indirectement à une confédération »

Enquête | publié le : 24.01.2012 | EMMANUEL FRANCK

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« 20 % à 30 % des entreprises adhèrent indirectement à une confédération »

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

E & C : Le syndicalisme patronal est-il un syndicalisme de services ?

M. O. : Fondamentalement, oui. Les entreprises adhèrent à un syndicat pour bénéficier des services qu’il propose, et pour la même raison, les fédérations adhèrent aux confédérations. Les services proposés aux entreprises par les fédérations sont soit collectifs – de la représentation, de l’information, du réseau, de la convivialité –, soit individuels. On peut par exemple citer les quelque 250 000 consultations téléphoniques annuelles des entreprises adhérentes à la Fédération française du bâtiment sur des questions sociales, fiscales, de formation ou relatives aux normes techniques et environnementales. Ou la réduction des droits Sacem pour les entreprises adhérentes à l’Umih – hôtellerie –, l’accès à des tarifs préférentiels d’assurance. Ou encore le cube jaune de la Fnaim – immobilier –, un label pour les entreprises du secteur, ou l’adhésion à une charte éthique. On parle souvent de “produits syndicaux”.

Certaines entreprises cotisent même auprès de l’UIMM alors qu’elles n’appartiennent pas à la métallurgie, simplement pour bénéficier d’une consultation juridique pointue. La prestation de l’UIMM est alors ni plus ni moins que celle d’un bureau d’études.

Si l’on veut trouver des chefs d’entreprise dont les raisons de s’investir se rapprochent de celles des militants des syndicats de salariés, il faut chercher du côté de l’interprofessionnel national ou des Medef ou des CGPME territoriaux (qui donnent accès à des mandats), ou du côté des clubs de réflexion comme le Centre des jeunes dirigeants (CJD).

E & C : Est-ce efficace pour attirer des adhérents ?

M. O. : Les organisations patronales le prétendent. Elles mettent en tous cas beaucoup en avant le bénéfice d’une adhésion par rapport à son coût. Et en période de crise, elles rappellent que la désadhésion n’est pas une économie mais une perte pour l’entreprise.

E & C : Le taux d’adhésion des entreprises aux organisations patronales est-il plus élevé que celui des salariés du privé aux syndicats (5 %) ?

M. O. : Il faudrait préciser 5 % par rapport à quoi – à l’ensemble des salariés actifs, aux salariés employés dans des entreprises de plus de 20 ou 50 salariés ? Pour les entreprises, mêmes questions : est-ce par rapport au nombre total d’entreprises ? À celles qui ont au moins un salarié ou 10 salariés ? Car le taux de syndicalisation patronal est fonction de la taille de l’entreprise, comme pour les salariés. La représentation syndicale et patronale, ce sont d’abord celle des entreprises d’une certaine taille. Alors on dira, dans certains secteurs, 100 %. Dans d’autres, moins de 10 % – si on prend le nombre total d’entreprises. Les taux qui sont donnés par les organisations elles-mêmes reposent davantage sur le chiffre d’affaires ou sur le nombre de salariés. Et globalement, en se fondant sur les déclarations des organisations, si l’on prend en compte les doubles adhésions entre Medef, CGPME et UPA, voire UNAPL, on arrive peut être à 20 %-30 % du total des entreprises adhérentes à une confédération, mais indirectement, et parfois sans qu’elles sachent qu’elles y adhèrent. À côté de cela, il y a toutes celles adhérentes dans le hors-champ. Mais ces taux mériteraient plus d’explicitations.

E & C : Les syndicats de salariés pourraient-ils faire de même ?

M. O. : L’idée d’offrir des services aux salariés est ancienne, puisque c’est l’objectif initial des bourses du travail, et l’autre nom du "syndicalisme à bases multiples" de l’entre-deux guerres. Cela a longtemps posé un problème doctrinal aux syndicats qui craignaient que les salariés ne se détournent de la lutte révolutionnaire. D’où la disjonction entre le syndicalisme et la mutualité à la fin du 19e siècle. La doctrine a toutefois évolué et, depuis une trentaine d’années, la CFDT se réclame d’un syndicalisme d’adhérents et met en avant le bénéfice de l’adhésion. Actuellement, les tentatives de syndicalisme de services tournent court, car la place est déjà occupée par les comités d’entreprise, les mutuelles et les assurances privées. Or, les syndicats n’ont pas les moyens de proposer une offre compétitive ; dès lors, il ne leur reste plus que la défense juridique du salarié, son information ou sa promotion, par exemple à l’éducation nationale, où les syndicats ont voix au chapitre dans ce domaine.

E & C : Un débat oppose les tenants d’une réforme de la représentativité patronale qui serait fondée sur l’adhésion (UIMM) à ceux qui pensent qu’elle devrait être assise sur l’audience (CGPME, Capeb). Qu’en pensez-vous ?

M. O. : Les deux systèmes n’ont que des inconvénients. Le taux de participation à une élection de représentativité serait vraisemblablement très faible, comme c’est déjà le cas aux élections des chambres de commerce, de métiers ou aux prud’homales. En outre, cela pose un problème de découpage entre les secteurs. Enfin, il faudrait que les électeurs puissent choisir entre des listes provenant d’organisations différentes… alors même que la plupart sont bi-adhérents. Quant à la représentativité fondée sur le nombre d’adhérents, elle se heurte à plusieurs obstacles : de nouveau la bi-appartenance, la définition d’une entreprise et enfin l’opacité des chiffres fournis par les confédérations. L’actuel système fondé sur la reconnaissance mutuelle, pose moins de problèmes…

* Auteur de Sociologie des organisations patronales (La Découverte, 2009). Il a dirigé une recherche sur “L’espace patronal français” (à paraître).

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK