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« Développer les capacités pour assurer l’employabilité »

Enjeux | publié le : 17.01.2012 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Développer les capacités pour assurer l’employabilité »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

La sécurisation des parcours professionnels dépend largement des entreprises, car c’est dans le travail que se développe l’employabilité. Encore faut-il qu’elles en donnent les moyens aux salariés. Développer les compétences ne suffit pas. Seule une « politique des capacités », qui renvoie à une responsabilité collective, assure aux salariés une réelle prise sur leur devenir.

E & C : Dans votre livre Ce que travailler veut dire, vous vous interrogez sur l’articulation flexibilité-sécurité, mais du point de vue du travail et non de l’emploi, comme c’est souvent le cas. Pourquoi ce changement de perspective ?

Bénédicte Zimmermann : La sécurisation des parcours professionnels est devenue aujourd’hui l’alpha et l’omega des politiques publiques, avec la notion de “flexicurité”. Elle associe la sécurité des salariés à l’employabilité plutôt qu’à l’emploi. Or l’employabilité se développe essentiellement dans le travail. On ne peut donc pas réfléchir aujourd’hui à la sécurisation des parcours professionnels sans se pencher de près sur ce qui se passe dans l’entreprise. Avec la remise en question depuis les années 1980 du compromis au fondement de l’État social, qui situait la flexibilité du côté de l’entreprise et la sécurité du côté des institutions publiques, on ne peut plus s’en tenir au niveau institutionnel pour réfléchir à la sécurisation des parcours. Il est nécessaire de réinterroger la responsabilité de l’entreprise en matière de développement professionnel et de sécurisation des parcours. C’est d’ailleurs ce que revendique le Medef lui-même, lorsqu’il présente la logique de compétences comme source de développement professionnel, de liberté, de reconnaissance et de valorisation pour le salarié. L’objectif de ce livre est de prendre ce discours au mot et de le mettre à l’épreuve des faits lorsqu’il est mis en œuvre dans l’entreprise.

E & C : Le livre restitue les résultats d’enquêtes de terrain auprès de 2 groupements d’employeurs et de 13 entreprises. Quel est leur point commun ?

B. Z. : Il s’agissait d’examiner l’articulation flexibilité-sécurité sous deux angles différents : la flexibilité externe à l’entreprise avec les groupements d’employeurs ; la flexibilité interne avec l’étude du devenir professionnel des salariés dans 13 entreprises. Un point commun se dégage des enquêtes : il faut une certaine conception de l’humain, un souci d’articuler efficience économique et justice sociale dans le travail pour que les capacités des salariés puissent se développer. Cette articulation peut passer par un tiers – le “tiers employeur” que représente le groupement d’employeurs, quand il adhère à une telle conception – ou par l’entreprise elle-même.

Le résultat le plus surprenant de nos enquêtes concerne une entreprise industrielle, où les salariés travaillent à la chaîne, qui s’est révélée la plus “capacitante” pour ses salariés, laissant loin derrière des entreprises relevant de l’économie de la connaissance qu’on aurait pu attendre sur ce terrain.

E & C : Qu’est-ce qu’une entreprise capacitante ? Et quelle est la différence entre capacités et compétences ?

B. Z. : Premièrement, alors que la compétence renvoie à un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être, c’est-à-dire d’aptitudes liées à la personne, la capacité renvoie également à des opportunités et à des moyens d’agir. Fortement liée à l’environnement, la capacité ne peut être du ressort du seul individu. En cela, elle déplace l’analyse des seules aptitudes individuelles vers le pouvoir effectif d’agir dans une situation donnée.

Deuxièmement, alors que le travailleur est le seul garant de ses compétences, un collectif – qui peut être social dans le cas des institutions ou de travail dans le cas de l’entreprise – est garant des capacités. Car, contrairement aux compétences, les capacités sont fondées sur un idéal de justice qui fait de l’égale liberté d’accomplir son étalon. Elles fixent un cadre qui permet à chacun d’exprimer ses compétences et de se développer professionnellement. À partir de là, on peut considérer qu’une entreprise capacitante est celle qui permet aux salariés de se développer professionnellement en leur donnant des possibilités de prise sur leur environnement et sur leur devenir. Cela passe par la formation, bien sûr, mais pas seulement. La qualité de l’emploi et du travail, la possibilité d’équilibrer vie privée et vie professionnelle, enfin, la possibilité de s’exprimer et de faire valoir ses préférences en matière d’orientation professionnelle importent tout autant. C’est là toute la différence entre l’entreprise apprenante et l’entreprise capacitante, qui est pilotée par des valeurs autres que les seules valeurs marchandes.

Mais le développement des capacités ne dépend pas du seul volontarisme des services RH. Il suppose une intégration équilibrée entre la politique RH, l’organisation du travail et le management de l’entreprise.

E & C : Que peut le développement des capacités que ne peut pas celui des compétences ?

B. Z. : La grande limite d’une démarche compétences, c’est d’être tournée essentiellement vers l’adaptabilité des salariés aux besoins du poste et de l’entreprise. Nous avons constaté que la mise en œuvre d’une logique de compétences par l’entreprise n’implique pas nécessairement le développement de l’employabilité de ses salariés, soit parce que cette logique est orientée vers des savoirs et des savoir-faire propres à l’entreprise – et par conséquent peu transférables –, soit parce qu’elle ne tient pas compte des projets individuels de développement professionnel.

E & C : Comment passer de l’exemplarité de certaines entreprises à un développement d’une politique des capacités ?

B. Z. : Il y a d’abord un travail pédagogique à entreprendre en montrant aux entreprises le bien-fondé de ce type d’approche. Notre recherche démontre que le développement d’une politique de capacité n’est absolument pas en contradiction avec le développement économique. Au contraire même, puisque les dirigeants de ces entreprises – qui exercent leur activité au niveau mondial – estiment que les capacités individuelles viennent renforcer les capacités collectives de l’organisation en termes de qualité du travail et de performance. Mais le passage par l’action publique est sans doute incontournable pour impulser et développer une telle politique à grande échelle.

SON PARCOURS

• Bénédicte Zimmermann est sociologue, spécialiste du travail et des politiques sociales en France et en Allemagne. Elle est aujourd’hui directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle a été chargée de la division sociologie, psychologie et anthropologie sociale de l’EHESS et de la direction adjointe du GIP Ciera (Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne).

• Elle est l’auteure de La Constitution du chômage en Allemagne. Entre professions et territoires (Éd. MSH, 2001) et de Ce que travailler veut dire (Economica, 2011). Elle a dirigé plusieurs ouvrages, parmi lesquels Les Sciences sociales à l’épreuve de l’action : le savant, le politique et l’Europe (éd. MSH, 2004), La Liberté au prisme des capacités (EHESS, 2008).

SES LECTURES

• Le Parfum, Patrick Süskind, Le Livre de Poche, 1988.

• Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Amartya Sen, Éd. Odile Jacob, 2000.

• La Vie mode d’emploi, Georges Perec, Le Livre de Poche, 1980.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET