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Enquête

SIMPLIFIER ET RENDRE CONCRETS LES CRITÈRES D’ÉVALUATION

Enquête | publié le : 10.01.2012 | V. L.

Face aux contestations devant les tribunaux, des experts préconisent des voies de progrès pour apaiser la situation ou anticiper des dérapages.

Les avis des experts sont unanimes pour demander la simplification des systèmes d’évaluation. Un benchmark des pratiques d’évaluation dans quelques grandes entreprises*, restitué lors d’un colloque coorganisé par l’EM Lyon et l’Anact, aborde ce point (lire Entreprise & Carrières n° 1070). « Les outils se sont complexifiés et informatisés, et le spectre sur lequel repose l’évaluation s’est élargi. Les managers se trouvent pris au piège d’une logique d’alimentation d’un outil de gestion, alors qu’ils devraient accomplir un acte de management. Et, à trop vouloir intégrer des indicateurs et des objets d’évaluation, on ne sait plus à quoi sert l’entretien », constate Patrick Conjard, chargé de mission à l’Anact. D’où la nécessaire simplification : l’objet de l’entretien doit rester centré sur le travail, la réalisation d’un bilan d’activité et la projection dans l’activité future. D’une manière générale, les critères d’évaluation doivent être concrets et objectifs. Même si certains mettent un bémol sur cette quête de l’objectivité : « Des critères clairs et objectifs, je n’en ai jamais vus », note Ewan Oiry, professeur à l’université de Poitiers. Pour Stéphanie Stein, il n’est pas « nécessaire de chercher l’objectivation à tout crin, ce qui est en pratique difficile à réaliser. Il vaut mieux fixer trois objectifs et pas dix ».

Ligne blanche

« Si les systèmes d’évaluation doivent être appréciés globalement, il est important de veiller à ne pas multiplier les critères comportementaux qui sont sous la haute surveillance du juge », constate Christine Lavallart-Guerra, avocate au cabinet Lavallart. « Il existe une ligne blanche à ne pas franchir entre personnalité et comportement », abonde Pascale Lagesse, avocate associée au cabinet Bredin Prat.

L’Anact souligne aussi « l’introduction d’une batterie d’indicateurs plus ou moins ambigus ». Elle mentionne trois registres d’évaluation mobilisés dans la plupart des cas : celui des résultats au regard d’objectifs individuels, celui des compétences et celui des comportements.

Compétence collective

Selon l’Anact, il arrive que des grilles d’indicateurs comptent plus d’une vingtaine de compétences comportementales à apprécier, sans qu’elles soient toujours contextualisées et associées à des situations de travail. « Elles peuvent aussi renvoyer à des critères de personnalité ou être liées aux valeurs de l’entreprise, observe l’Anact. On peut comprendre l’embarras des managers quand il s’agit d’évaluer des critères comme “s’adapter aux changements”, “mettre en œuvre au quotidien les valeurs de l’entreprise” ou “être exemplaire” ! »

De son côté, Jean-Claude Delgenes, DG de Technologia, constatant que « la compétence est de plus en plus collective », demande de restaurer l’évaluation collective et, par exemple, de décider que des primes seront liées à la réalisation d’un projet.

Autre point qui peut déstabiliser : « Il faut que le salarié sache comment sont utilisées les conclusions de l’entretien : les enjeux sont-ils autour de la rémunération, de la gestion de carrière, de la formation ? Il doit avoir une vision de la justice procédurale sur ce qui est fait de l’entretien », recommande Ewan Oiry.

« Il est nécessaire que l’entreprise respecte des règles de transparence, insiste Pascale Lagesse, qu’elle explicite bien les critères retenus et qu’elle mette les IRP dans la boucle. » Ce peut être l’occasion de soulever des interrogations et de lever des points de blocage (lire ausi p. 25).

Le recours au n + 2 peut décrisper l’entretien, estime Françoise Pelletier, avocate associée au cabinet Lefèvre Pelletier & associés. Persuadé de l’intérêt de l’idée, Ewan Oiry constate tout de même que « les voies de recours sont plutôt une arme de dissuasion, elles sont peu utilisées, car il est très délicat pour un salarié qui recourt par exemple à un n + 2 ou à un responsable RH de retravailler ensuite avec son supérieur. Et pour le RRH, la situation est également inconfortable ». Et d’ajouter que l’entretien se passera mieux si la relation hiérarchique est bonne. En outre, il faut veiller, selon lui, à évaluer « une équipe de taille moyenne, pas plus de 10 salariés. Et si le manager ne les voit pas au quotidien, il sera d’autant plus difficile de les évaluer ».

Il apparaît nécessaire d’améliorer la relation hiérarchique et de discuter tout au long de l’année, sinon « l’entretien sera l’objet de trop de tension », estime aussi Françoise Pelletier. « Ne pas tout faire reposer sur un seul et même moment », conclut l’Anact.

* Benchmark réalisé auprès de sept DRH de grandes entreprises de différents secteurs ayant mis en place des entretiens d’évaluation depuis une dizaine d’années. Travail complété par des entretiens avec des managers, des managés et des représentants du personnel, ainsi que par une revue d’ouvrages et d’articles. En ligne sur <www.anact.fr>

Les propositions du Centre d’analyse stratégique

Le Centre d’analyse stratégique (CAS) a rendu, en septembre 2011, une note d’analyse intitulée « Pratiques de gestion des ressources humaines et bien-être au travail : le cas des entretiens individuels d’évaluation en France » (lire Entreprise & Carrières n° 1064).

S’appuyant sur la base de données “Changements organisationnels et informatisation”, le CAS rapporte que 77 % des entreprises privées et 54 % des salariés (76 % des cadres) pratiquent les entretiens individuels. Environ 90 % des évalués déclarent que l’évaluation porte sur des critères précis et mesurables. Mais si on les interroge sur la reconnaissance de la valeur de leur travail, 46 % ont une opinion négative et près de la moitié d’entre eux se sentent également stressés. L’explication tient au fait que les salariés évalués travaillent dans des entreprises « propices au stress ».

Le CAS constate malgré tout que les salariés « gagnent à être évalués. Il s’agit donc de conforter ce dispositif, en l’améliorant et en limitant les risques de contentieux. » D’où la formulation de plusieurs propositions autour de deux axes :

1. Consolider l’entretien d’évaluation en tant que pratique des ressources humaines essentielle, en limitant les risques et les contentieux.

→ Veiller à l’utilisation de critères comportementaux en lien avec l’activité professionnelle.

→ Clarifier les procédures de consultation des institutions représentatives du personnel, sans obligation de consultation systématique du CHSCT par l’employeur.

→ Créer une certification des entretiens d’évaluation.

2. Renforcer le rôle du manager de proximité, qui doit disposer de réelles marges de manœuvre, tout en apportant des garanties aux salariés.

→ Former les managers de proximité à cette pratique.

→ Améliorer l’information des salariés.

→ Mettre en place des procédures d’appel pour les salariés.

Auteur

  • V. L.