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Enquête

ENTRETIEN ANNUEL D’ÉVALUATION UN ACTE DE MANAGEMENT À HAUT RISQUE

Enquête | publié le : 10.01.2012 | VIRGINIE LEBLANC

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ENTRETIEN ANNUEL D’ÉVALUATION UN ACTE DE MANAGEMENT À HAUT RISQUE

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Largement utilisé dans les entreprises, l’entretien annuel d’évaluation fait l’objet de critiques et de contestations portées jusque devant les tribunaux. En cause, notamment, l’introduction de critères comportementaux pas toujours en lien avec l’activité des salariés.

Comme chaque année, nombre d’entreprises sont en train de déployer leurs entretiens individuels d’évaluation. Mais depuis quelque temps, ce qui aurait dû rester un acte de management fait l’objet de multiples contestations en justice. Et 2012 verra encore son lot d’actions : HP, IBM, General Electric Medical Systems seront l’objet de diverses procédures. Fin décembre, Airbus a préféré revoir, avec les partenaires sociaux, les contenus de son système d’évaluation des cadres qui ont été condamnés en septembre 2011 par la cour d’appel de Toulouse. Mesurer le courage des salariés ou « faire face à la réalité et être transparent » n’étant pas des critères compatibles avec une nécessaire objectivité de l’évaluation (lire p. 23).

Le Code du travail énonce en effet que « les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie » (art. L. 1222-3, alinéa 3) et les informations demandées à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles (art. L. 1222-2). Mais lorsque les entreprises introduisent des critères comportementaux, l’appréciation devient plus complexe et suscite des litiges.

Du “n’importe quoi”

« Alors que l’exercice est très utile, aujourd’hui, on en arrive à trouver des critères qui sont de l’ordre du n’importe quoi. Certaines grandes entreprises ont une culture marquée et essaient d’emporter l’adhésion des salariés sur leurs valeurs. Il en résulte qu’un excellent salarié peut très bien n’avoir aucun engouement pour les valeurs de l’entreprise, et en conséquence être moins bien noté », remarque Emmanuelle Rivez-Domont, avocate et directrice du département droit social du cabinet Jones Day.

Dans plusieurs arrêts, les juges ont précisé ce qui, au cas par cas, pouvait relever de critères comportementaux licites. À chaque fois, « on observe qu’il n’y a pas de refus systématique, à condition qu’ils soient en lien avec le travail », constate Hervé Gosselin, conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation.

Pour la première fois en France, le TGI de Nanterre, le 5 septembre 2008, avait jugé illicite un système fondé sur des comportements et critères « flous ». En l’occurrence, le système d’évaluation de Wolters-Kluwer France (groupe éditeur, notamment d’Entreprise & Carrières) s’appuyait sur 6 valeurs : le « focus client », la « création de valeurs », l’« intégrité », le « travail en équipe », l’« innovation » et la « responsabilité ». De plus, le tribunal a relevé que « la multiplication de critères comportementaux détachés de toute effectivité du travail accompli implique la multiplication des performances à atteindre qui ne sont pas dénuées d’équivoques et peuvent placer les salariés dans une insécurité préjudiciable ». Les syndicats, le CHSCT et le CE avaient jugé ce système dangereux pour la santé mentale des salariés.

Évaluations objectives

À l’inverse, dans un arrêt de la cour d’appel de Versailles (définitif), confirmant la première instance, les juges valident le système d’Alstom Power Systems, contesté par la CGT. La décision relève que l’employeur peut attendre de ses cadres « des aptitudes notamment à la décision, à l’organisation, à l’animation d’une équipe, à la créativité, à la communication. Il s’agit bien là de l’évaluation objective de compétences professionnelles nécessaires à la tenue du poste et non de critères relevant de la vie personnelle du salarié. »

Un autre système a été validé par le TGI de Versailles, le 28 octobre 2010, celui de General Electric Medical Systems. Mais la procédure est toujours en cours, la Cour d’appel devant se prononcer en mai 2012. Les syndicats CGT, FO et le CHSCT faisaient valoir la subjectivité de l’évaluation et le risque de stress engendré. Les magistrats ont souligné quant à eux que « l’évaluation porte sur la performance et les comportements professionnels », et le système prévoit des définitions qui ne portent pas sur la personnalité ni les traits de caractère mais sur les comportements au regard du travail à accomplir. David Metin, l’avocat des représentants des salariés, persiste et signe. Il continuera à plaider l’illicéité des critères comportementaux « qui ne sont recevables que s’ils sont objectifs, or ils ne sont ni tangibles ni objectifs quand ils parlent d’adhésion aux valeurs. De plus, chez GE, l’évaluation génère du stress toute l’année ».

La question de l’impact des entretiens d’évaluation sur les risques psychosociaux revient régulièrement dans les procédures. Depuis l’arrêt Mornay rendu par la Cour de cassation le 31 mars 2007, les entreprises qui mettent en place un système d’évaluation « manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail » doivent consulter au préalable le CHSCT.

Et les rapports d’expertise sur le stress à la demande des CHSCT pointent régulièrement les effets des entretiens d’évaluation sur la santé mentale des salariés. Jean-Claude Delgenes, dirigeant du cabinet Technologia, qui a rendu un rapport sur le système d’évaluation d’HP, estime que « l’entretien d’évaluation est un temps fort pour le salarié, qui peut être très anxiogène dans la mesure où il ne donne pas vraiment lieu à un échange sur le travail réel ».

Le stress engendré a même été reconnu comme cause de maladie professionnelle ou d’accident du travail. Ainsi, le 1er juillet 2003, la Cour de cassation a considéré comme “accident du travail” la dépression nerveuse d’un salarié, apparue deux jours après un entretien annuel avec son supérieur qui lui avait annoncé sa rétrogradation.

Des systèmes illicites

Autre source de stress, les systèmes d’évaluation par quotas auxquels sont soumis les salariés, essentiellement dans des entreprises d’origine américaine. Licites outre-Atlantique, ces systèmes sont illicites en France, mais semblent perdurer dans certaines entreprises. « Il n’est pas forcément facile de prouver que les quotas sont impératifs », reconnaît Hervé Gosselin.

Les cas les plus emblématiques avaient été dénoncés par les syndicats d’IBM et de HP, dès 2002. Cette méthode, dénommée aussi forced ranking (classement forcé) a été inventée par Jack Welch, le Pdg de General Electric, dans les années soixante. Chaque année, 20 % des salariés sont notés « A » (excellent), 70 % « B » (moyen) et 10 % « C » (bas). Au bout de deux notations « C » d’affilée, le salarié peut être licencié.

Or, en droit français, « le licenciement repose sur des faits précis, datés. On peut utiliser l’évaluation pour démontrer que l’on n’a pas été satisfait du salarié et qu’on l’a aidé à travailler sur ses problèmes, mais un lien automatique entre une mauvaise note et la sanction sera rejeté », explique Emmanuelle Rivez-Domont. Dans la décision concernant Airbus, les juges indiquaient bien que « l’entretien ne doit pas avoir de finalité disciplinaire, rappelle Emmanuelle Boussard-Verrecchia, l’avocate de la CGT dans cette affaire. En effet, de façon générale, les entretiens d’évaluation professionnelle ne peuvent pas servir à préconstituer des preuves au service d’un futur licenciement ».

Ranking forcé

Dans une décision du 8 septembre 2011, la cour d’appel de Versailles a déclaré illicite le système de ranking par quotas ou ranking forcé. Pour autant, elle a considéré que la preuve n’était pas apportée que la direction, en l’espèce HP SAS, avait exigé la fixation d’un nombre prédéterminé de bons et de mauvais élèves (lire p. 24). Ce sont les quotas établis à l’avance qui rendent l’acte d’évaluation forcément subjectif et contestable. Contesté, il le sera à nouveau, jusque devant la Cour de cassation, par le biais d’une action engagée par la CFDT et le CE de HP.

Autre danger pour l’avenir : « L’évaluation peut être lourde de conséquences quand elle a des incidences sur la rémunération. Si une entreprise ne justifie pas de façon objective des différences de salaire liées aux compétences, le risque de rappel de salaire au titre de l’égalité de traitement sera aggravé », prévoit Stéphanie Stein, avocate au cabinet Eversheds.

L’ESSENTIEL

1 Les grilles des entretiens annuels d’évaluation se sont complexifiées et ont parfois intégré des critères peu lisibles et sans lien avec le travail réel.

2 Par conséquent, managers et salariés sont déstabilisés. Et les syndicats n’hésitent plus à faire appel à l’arbitrage des juges pour clarifier les critères acceptables.

3 Revenir à davantage de simplicité et veiller à bien mettre en lien les critères d’appréciation avec des situations concrètes de travail apaiserait les conflits.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC