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Les fumeurs encadrés mais pas sevrés

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 13.12.2011 | LAURENT POILLOT

Dans les entreprises devenues sans tabac mais pas sans fumeurs, la gestion des temps de pause est un casse-tête, partout où l’organisation du travail n’a pas été repensée.

La circulaire est passée inaperçue. Le 3 août dernier, le ministre du Travail et de la Santé, Xavier Bertrand, et celui de l’Intérieur, Claude Guéant, avaient donné trois mois aux préfets pour transmettre à la direction générale de la santé (DGS) leur bilan des contrôles et des infractions aux mesures antitabac. Début décembre, le cabinet de Xavier Bertrand n’avait toujours pas le retour des préfectures de région. Cette synthèse aurait pourtant été instructive, cinq ans après le décret du 26 novembre 2006 interdisant de fumer dans les lieux collectifs.

La consommation reste inchangée

« Aucun contrôle n’a été effectué entre 2008 et 2011 », soutient le Pr Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT). Ce pneumologue à l’hôpital Pitié-Salpêtrière concède que la loi de 2005 a eu le mérite d’afficher l’interdit. Mais avec ce bémol : « Elle a été fantastique pour le tabagisme passif. Mais n’a rien changé sur la consommation des fumeurs. »

Il imagine la fin du tabac à l’horizon 2040, grâce à différents aménagements successifs : la généralisation des programmes d’accompagnement au sevrage, couplés à un éloignement, puis à une raréfaction de tous les lieux aménagés pour les fumeurs. Son groupe hospitalier s’est engagé sur cette voie, à la suite de celui de Villejuif : « Les gens ont fumé sur leur lieu de travail, puis devant l’établissement. Ils sortent à présent dans les jardins, sous des abribus. L’étape suivante sera d’en réduire le nombre. »

En attendant, les pauses cigarette portent toujours à controverse : « En moyenne, les gros fumeurs s’absentent 80 minutes par jour et ils déclarent deux jours d’arrêt maladie de plus par an que les non-fumeurs », retient le Pr Dautznenberg. De son côté, l’avocat Dan Griguer, auteur de plusieurs articles sur les fumeurs et l’entreprise, y voit toujours une source de conflits : « La pause cigarette a cristallisé les inégalités de traitement entre les salariés. Si l’employeur ne décompte pas ce temps, les abstinents diront qu’ils travaillent plus, tout en étant plus disponibles que les fumeurs. Lesquels leur opposeront qu’un décompte doit être opéré sur tout, y compris sur les temps devant la machine à café et aux toilettes. L’employeur est le premier à pâtir de ces turbulences. »

Adapter le règlement intérieur

Son conseil : adapter le règlement intérieur. En précisant ce que doivent être le temps de pause, son décompte, les récupérations et même la définition de la pause. « La loi dit que c’est le moment où le salarié n’est pas à la disposition de l’employeur. Dans les faits, tout dépend de la configuration de l’entreprise », relève l’avocat. À savoir : selon qu’on travaille dans une tour d’affaires bardée de seuils électroniques ou dans un atelier de plain-pied donnant sur un jardin… et selon que le patron fume ou non.

Les systèmes de décompte, quand ils existent, sont moins liés au tabac qu’aux 35 heures. Par exemple, les informaticiens de la Sécurité sociale, à Paris, badgent et débadgent pour descendre fumer. Ailleurs, le décompte est inscrit dans les contrats de travail. C’est ce que pratique le groupe allemand de services externalisés Sellbytell : « Nous sommes payés 35 heures pour un temps de présence dans l’entreprise de 37 h 10. Les temps de pause sont dissociés : je n’avais jamais vu ça dans un contrat de travail », détaille un téléconseiller du centre d’appels de Lyon (80 salariés). Il juge pourtant le procédé cohérent : « Il faut être disponible constamment quand vous prenez des appels. Ceci dit, nous n’avons pas de pointeuse, ni de moment imposé. Les gens prennent souvent une pause générale à 10 h 30, mais chacun reste libre. »

Pas de pointage non plus chez France Télécom, où les situations varient suivant les métiers, raconte Sébastien Crozier, délégué central syndical CFE-CGC : « Des pauses régulières ont été normalisées dans l’organisation du travail des centres d’appels, surtout à cause du travail sur écran. La pause tabac n’est donc pas remise en cause. Elle ne l’est pas non plus pour l’encadrement, ni pour les techniciens d’intervention qui la prennent en route, entre deux clients. » Point critique, non résolu, les boutiques des centres commerciaux, où « le flux des clients est le plus élevé et la pression est la plus forte. Les vendeurs sont obligés de quitter le site ».

Calcul ingérable des minutes de pause

« La question de la cigarette fait toujours partie de la vie de l’entreprise, à ceci près que la loi a amené une certaine paix sociale », commente Olivier de la Clergerie, directeur associé de LDLC, distributeur en ligne de produits technologiques. Lui-même non-fumeur, il a fait aménager les bâtiments du siège (160 salariés près de Lyon, NDLR) d’une terrasse couverte, accessible à tous : « Parquer les fumeurs n’a pas de sens. Il faut au contraire faciliter les occasions de rencontre avec les abstinents. » Idem sur le site logistique (120 personnes), où un chapiteau aéré et équipé de mobilier de jardin est attenant à l’entrepôt. « Entrer dans un calcul des minutes est ingérable, tranche-t-il. On attend surtout des gens qu’ils accomplissent leur mission. »

SANCTIONS ENCOURUES

Pour le fumeur : 68 euros d’amende forfaitaire. Ce montant passe à 180 euros s’il ne paie pas sous 45 jours. Le montant des sanctions peut aller jusqu’à 450 euros.

Pour l’employeur : 135 euros d’amende forfaitaire (ou 375 euros, si majoration), s’il n’a pas prévu un emplacement conforme ni de signalisation antitabac. S’il a encouragé le non-respect de la loi, la contravention (quatrième classe) est au maximum de 750 euros.

Auteur

  • LAURENT POILLOT