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LES DIPLÔMÉS ÉTRANGERS, plébiscités par les entreprises

Pratiques | publié le : 13.12.2011 | CÉLINE LACOURCELLE

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LES DIPLÔMÉS ÉTRANGERS, plébiscités par les entreprises

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

Au gouvernement, qui restreint la possibilité pour des diplômés étrangers d’obtenir un statut de salarié, en invoquant la lutte contre le chômage et la maîtrise de l’immigration, les entreprises répondent : exigence économique, raréfaction des talents et compétences inédites. Une question de perspectives.

Le ministre de l’Intérieur Claude Géant, coauteur avec Xavier Bertrand de la désormais fameuse circulaire du 31 mai 2011 qui durcit pour certains diplômés étrangers les conditions permettant de devenir salariés en France, a été très clair : un étudiant étranger a vocation à retourner dans son pays. Une position qui fait écho aux mesures de réduction de l’immigration professionnelle opérées depuis plusieurs mois, comme la révision à la baisse cet été de la liste des métiers en tension ouverts aux travailleurs extra-européens.

Une exigence du business

Mais les employeurs ne sont pas de cet avis. Ce texte est, selon eux, incompatible avec la réalité économique d’aujourd’hui, autrement dit, la toute puissante mondialisation : « Du fait de la structure même de notre groupe réunissant 30 000 salariés, dont 40 % employés hors de France, nous avons besoin de collaborateurs d’horizons divers. Il en va de notre pérennité », indique Fabio Di Mario, directeur du développement des ressources humaines de Spie. Pour lui comme pour d’autres, la venue de jeunes diplômés étrangers, qu’ils aient ou non étudié en France, est tout simplement une exigence du business. « Nos clients réclament d’être en contact avec des équipes internationales », ajoute-t-il.

Le sujet n’est donc pas qu’une problématique RH. Une analyse partagée par Aurélie Nicot, responsable RH du siège d’Allianz Global Assistance. Les 200 collaborateurs du siège (dont 25 % d’étrangers) du groupe d’assistance et d’assurances voyage ont pour rôle d’essaimer la stratégie corporate dans l’ensemble des filiales réparties dans 28 pays : « Les compétences internationales sont intrinsèques à notre fonctionnement et donc une nécessité opérationnelle. »

Les entreprises de bonne taille se sont donc organisées pour soutenir la part grandissante de leur chiffre d’affaires réalisé à l’international. Par exemple, lorsque Spie intègre en France un jeune ingénieur marocain, c’est aussi pour que, demain, il puisse devenir un responsable opérationnel dans la filiale marocaine : « Dans l’intervalle, il pourra être nommé pour participer à des projets menés dans son pays, car il aura la légitimité et la connaissance du marché local, du client… », précise Éric Yonnet, responsable du développement RH métiers.

Une diversité recherchée

La diversité, si longtemps vantée, est aujourd’hui une réalité. Elle est même recherchée par des DRH, en phase avec la composition des campus des écoles et universités accueillant quelque 15 % d’étrangers. Deloitte compte 6 500 salariés et 55 nationalités : « La diversité a un intérêt en soi car elle produit une richesse profitable au client », commente Jean-Marc Mickeler, associé, responsable de la marque employeur du cabinet d’audit et conseil. « Elle permet aux collaborateurs d’échanger leurs savoirs, de se challenger et de se confronter. Ils sont demandeurs de cette émulation », complète Aurélie Nicot.

Les profils non nationaux sont aussi une solution aux pénuries, comme le pointe Michaël Hayat, délégué aux affaires sociales de Syntec Numérique : « Le système éducatif français ne forme pas assez d’ingénieurs informaticiens. Ils seraient entre 10 000 et 12 000 à sortir chaque année diplômés. Or, pour 2011, notre secteur a annoncé 40 000 postes à pourvoir, alors même que la circulaire Guéant demande une meilleure maîtrise de l’immigration professionnelle dans les métiers de l’informatique. » Autant de salariés manquants, autant d’affaires non signées.

Hervé Cébula, créateur et directeur délégué de MediaTech, éditeur de logiciels employant 13 personnes et affichant une croissance de son chiffre d’affaires de 130 %, en sait quelque chose. Il attend aujourd’hui l’autorisation de travailler de quatre recrues potentielles. « Lorsqu’une PME comme la mienne, peu connue, en concurrence avec les poids lourds du secteur, passe une annonce, elle ne reçoit aucune réponse émanant d’étudiants de grandes écoles françaises. Mes offres intéressent des jeunes diplômés étrangers résidant ou pas en France », expose ce chef d’entreprise comptant actuellement, comme stagiaires, un Chinois, un Algérien, un Tunisien et un Gabonais.

Du stage à l’embauche

« Si le stage est un préalable nécessaire, je ne peux m’en satisfaire, au risque de passer mon temps à former et voir partir ces jeunes au bout de six mois », déplore-t-il. Cette difficulté de recrutement touche aussi les entreprises plus grandes. En témoigne Guy Mamou-Mani, coprésident de Groupe Open (3 200 salariés) : « Nous travaillons avec Pôle emploi, l’Apec, les job boards, les écoles et les universités… Cela ne suffit pas. La ressource est trop rare. »

Bref, ces employeurs ne choisissent pas les étrangers à la place de Français, car il n’y a pas de Français disponibles. Il n’y a pas non plus de Français capables de parler plusieurs langues parfaitement, comme le regrette Antonia Hartmann, responsable de plates-formes multilingues pour le centre de contacts Sitel : « Dans le cadre de l’externalisation de leurs relations clients, nos commanditaires exigent la présence de salariés parfaitement bilingues ou natifs du pays où ils vont appeler. Je viens ainsi de recruter une jeune des pays de l’Est qui parle sept langues. Un tel profil est introuvable chez nous. »

Ce sont aussi des aptitudes précises que recherche Jean-Marc Mickeler chez les jeunes diplômés étrangers : « Sur les 1 000 nouveaux collaborateurs intégrés lors de notre dernière campagne de recrutement, 75 % sont de jeunes diplômés parmi lesquels un peu moins de 10 % sont d’origine étrangère. Nous attendons d’eux, outre des compétences linguistiques, la maîtrise d’aspects culturels. Ainsi, un Chinois nous apporte, outre son background technique, sa capacité à accompagner un client de son pays, à le comprendre, à négocier avec lui… Tout cela ne s’apprend pas. »

Adaptabilité

Cette proximité culturelle se révèle, à terme, un élément de différenciation profitable à l’entreprise. « Et autant d’opportunités », ajoute Nadia Coutsoloucas, directrice de développement au sein de RSM France. Ce cabinet d’expertise comptable et d’audit, totalisant 10 % d’étrangers non européens dans son effectif, recrute en premier lieu des compétences. Ses responsables savent que la présence de diverses nationalités est un “plus” pour procurer un accompagnement adapté aux sociétés désireuses de s’installer en France. « Ils présentent aussi cette adaptabilité précieuse pour une entreprise comme la nôtre, employant ses salariés sur des projets variés, sous l’autorité de managers différents. En débutant un parcours en dehors de leur pays, ils ont dû intégrer une langue, un système pédagogique, une culture. Cette expérience de vie en dehors de leur cadre familial développe également leur autonomie », décrit Ève Royer, directrice du recrutement d’Akka Technologies, cabinet d’ingénierie de 5 500 salariés en France, qui a recruté 1 500 personnes cette année, dont 10 % de jeunes diplômés étrangers.

Autant d’arguments plaident pour un assouplissement administratif, au risque de voir les entreprises, pénalisées, se replier sur elles-mêmes, se mettre en danger et, finalement, délocaliser la création de valeur qu’elles ne peuvent maintenir en France.

L’ESSENTIEL

1 Pour de nombreux chefs d’entreprise, la circulaire Guéant va à l’encontre de l’internationalisation des marchés à laquelle ils sont confrontés.

2 Les jeunes diplômés étrangers sont une réponse au manque de profils dans certains secteurs, surtout pour les entreprises peu connues.

3 De récentes réactions gouvernementales laissent augurer un prochain assouplissement dans l’application de la circulaire.

RECUL GOUVERNEMENTAL
Une circulaire qui fait pschitt ?

La mauvaise publicité faite à la circulaire Guéant par les chefs d’entreprise et d’établissement d’enseignement supérieur a contraint François Fillon à réagir. Dans une lettre adressée le 24 novembre dernier aux présidents d’universités et de grandes écoles, le Premier ministre a informé que « tous les étudiants étrangers diplômés, titulaires au moins d’un diplôme de niveau master, peuvent bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour afin d’acquérir en France une première expérience professionnelle sans que la situation de l’emploi leur soit opposable ». Autrement dit, plus besoin de tenir compte de la liste des métiers « en tension ». Cette intervention fait suite à celle, la veille, de Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur, faisant état de problèmes d’interprétation de la part de certains préfets et de « difficultés d’application » depuis corrigées. Par ailleurs, plus de la moitié des 500 dossiers litigieux transmis au ministère de l’Intérieur par les grandes écoles et les universités auraient été débloqués, les cas restants devant être traités d’ici à la fin de l’année. Des chiffres toutefois contestés par le Collectif du 31 mai, qui rassemble et défend les jeunes diplômés concernés.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE