logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

FAUTE INEXCUSABLE Une notion à haut risque

Pratiques | publié le : 06.12.2011 | CÉLINE LACOURCELLE

Image

FAUTE INEXCUSABLE Une notion à haut risque

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

Qui dit maladie ou accident du travail, dit aujourd’hui faute inexcusable de l’employeur. Elle est invoquée devant les juges de manière quasi systématique, avec à la clé, depuis peu, des dédommagements étendus pour les victimes lorsqu’elle est reconnue.

La faute inexcusable est inévitablement associée aux fameux arrêts “amiante” du 28 février 2002 inaugurant l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur à l’égard de ses salariés. Depuis cette date, la sécurité devient partie intégrante du contrat de travail. « C’est aussi à partir de là que l’on exige de l’employeur d’avoir conscience du danger auquel sont exposés ses salariés et de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour les en préserver », indique Alain Ménard, avocat associé du cabinet Racine, constatant que « le principe de la faute inexcusable de l’employeur s’invite désormais lors de chaque accident ou maladie professionnelle ».

Prise de conscience du danger potentiel

Et sur ce registre, les juges ne font pas de cadeaux aux employeurs, selon Cyril Catté, avocat du cabinet GSFR : « Nous sommes passés de la conscience du danger à la conscience du danger potentiel », souligne-t-il. Un employeur de concession automobile l’a par exemple appris à ses dépens quand il a été condamné après qu’un salarié a glissé sur une flaque d’huile. Il aurait dû l’anticiper. Autre illustration : les juges ont reproché à l’employeur d’un agent d’entretien s’étant blessé dans l’escalier qu’il venait de nettoyer, de ne pas l’avoir équipé de semelles antidérapantes.

Depuis près de dix ans, les arrêts qui se sont succédé ont tenté d’illustrer la notion de faute inexcusable, « les juges cherchant à définir l’espace de l’obligation de sécurité de résultat », précise Alain Ménard. Aujourd’hui, on sait qu’elle peut être retenue à la suite de l’accident cardiaque d’un salarié en surcharge de travail (cour d’appel de Paris du 30 juin 2011), lorsqu’un suicide a lieu pour les mêmes raisons (cour d’appel de Versailles, 19 mai 2011), ou encore dans des situations de harcèlement moral.

En outre, un salarié peut poursuivre l’entreprise responsable de sa maladie, même si elle a vendu son activité. À défaut, il se retournera vers son employeur actuel (Cour de cassation, 3 juin 2010).

Il existe toutefois des limites à la condamnation de l’employeur. Une salariée d’une entreprise de transport, victime d’un accident de la route entre son domicile et son lieu de travail, après que son employeur lui a demandé de revenir, n’a pas pu faire valoir la faute inexcusable (Cour de cassation, 8 juillet 2010) : « La question est toujours de savoir si les faits auraient pu être évités par des mesures préventives. Dans ce cas précis, l’employeur ne pouvait évidemment pas agir sur les causes d’un accident de circulation », commente Alain Ménard.

Évidemment, ces condamnations ne sont pas sans incidence pour l’image de l’entreprise et ses finances. « Elle est tenue de rembourser l’indemnisation complémentaire des différents préjudices à la caisse d’assurance maladie, mais aussi de payer une cotisation supplémentaire », commente Me Agnès Cloarec-Mérendon, du cabinet Latham & Watkins.

Remise en cause du caractère forfaitaire du régime d’indemnisation

Depuis le 18 juin 2010, l’addition peut se révéler très lourde. Ce jour-là, le Conseil constitutionnel a ainsi annoncé qu’en cas de faute inexcusable, la victime et ses ayants droit doivent pouvoir obtenir de l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale. En clair, « les sages ont remis en cause le caractère forfaitaire du régime d’indemnisation jusqu’alors en cours, signale Me Catté. Et la Cour de cassation abonde dans ce sens puisqu’elle a admis, le 30 juin dernier, qu’une victime puisse obtenir de l’employeur responsable la prise en charge des frais d’aménagement du logement et de son véhicule. »

De son côté, le 25 mai 2010, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait ajouté dans les frais probables le recours aux services d’une tierce personne pour les actes de la vie courante. « Des demandes qui avaient été exclues, il y a une dizaine d’années », témoigne Me Cloarec-Mérendon, avertissant de la surexposition financière des employeurs, susceptibles d’être reconnus aujourd’hui responsables devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) et devant les prud’hommes.

La Haute Juridiction a en effet déjà jugé en 2006 que, lorsque le salarié est licencié pour inaptitude physique, et que l’accident dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de son employeur, il peut demander l’indemnisation de son préjudice de “perte d’emploi”. Une orientation confirmée le 26 octobre dernier : « La Cour de cassation a, ici, considéré que le salarié licencié subissait un préjudice spécifique résultant de la perte des droits à la retraite, qui n’avait pas été réparé par la décision du Tass. Cela a été une surprise cette année comme en 2006, car la majoration de la rente était censée indemniser déjà ces pertes de revenus », explique Coline Bied-Charreton, de Latham & Watkins.

Face à l’emballement prévisible des coûts d’indemnisation, « les entreprises ont intérêt à vérifier que leur police d’assurance responsabilité civile couvre tous les risques et non plus seulement ceux recensés par le Code de la Sécurité sociale », ajoute Me Ménard. Ce qui n’a rien d’évident pour Cyril Catté : « Dès lors que les préjudices ne sont pas prévus par le texte, les assureurs peuvent estimer qu’ils n’ont pas à les garantir. »

Prévention et formation irréprochables

Le seul levier d’action des employeurs reste donc une prévention et une formation irréprochables. Un simple défaut en la matière, et c’est la faute inexcusable assurée : « Pourtant, ils pêchent encore sur ce point, surtout en matière de risques psychosociaux et de législation sur le temps de travail », relève Me Cloarec-Mérendon.

Et, en ces temps de crise, on ne peut que conseiller d’être malgré tout particulièrement attentif à certains indicateurs comme le taux d’absentéisme ou le niveau des AT-MP… et de lire le rapport annuel du médecin du travail.

L’ESSENTIEL

1 Depuis 2002, la faute inexcusable est intimement liée à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, notion intrinsèque du contrat de travail.

2 Outre la reconnaissance de sa responsabilité devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale, l’entreprise peut avoir à régler une addition très lourde dépassant le forfait indemnitaire jusqu’ici prescrit par les textes.

3 L’information, la formation et la prévention demeurent les seules parades susceptibles d’infléchir la sévérité des juges face à la survenance d’un accident ou d’une maladie professionnelle.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE