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Enquête

ÉGALITÉ HOMMES-FEMMES LA PREUVE PAR LES CHIFFRES

Enquête | publié le : 06.12.2011 | EMMANUEL FRANCK

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ÉGALITÉ HOMMES-FEMMES LA PREUVE PAR LES CHIFFRES

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Agir en faveur de l’égalité professionnelle suppose des indicateurs chiffrés pour objectiver un diagnostic, puis de vérifier les progrès. Les pouvoirs publics donnent l’impulsion en créant des obligations. Mais il reste aux entreprises à se doter des indicateurs pertinents.

A compter du 1er janvier 2012, les entreprises de plus de 50 salariés auront à produire, sous peine d’une pénalité financière, un accord ou un plan unilatéral sur l’égalité professionnelle, comportant des indicateurs chiffrés. Une obligation de plus, penseront beaucoup. Une opportunité, diront certains.

Cet accord ou ce plan, voulus par la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites, s’ajoute à l’obligation plus ancienne de présenter chaque année un rapport de situation comparée (RSC) au comité d’entreprise (voir le tableau p. 22). Mais cela ne constitue pas vraiment une charge supplémentaire, dans la mesure où les informations qui doivent figurer dans l’accord ou le plan existent déjà dans le RSC. En outre, l’état d’esprit du législateur reste le même : il veut que l’entreprise objective un état des lieux et un état de ses progrès dans les domaines de l’égalité salariale, de la mixité et de la progression de carrière.

L’apport principal de la loi de 2010 n’est pas tant dans la pénalité (elle n’est pas automatique et son montant est négociable) que dans l’obligation de transparence vis-à-vis des salariés : les directions doivent porter à la connaissance de ces derniers une synthèse des indicateurs. Jusqu’à présent, l’accent est mis sur l’égalité salariale (loi de 2006), mais il le sera sans doute à l’avenir davantage sur les parcours professionnels, avec en ligne de mire un rééquilibrage des tâches parentales (loi annoncée sur les congés pour naissance).

Les petites entreprises moins avancées que les grandes

Les entreprises que nous avons interrogées n’éprouvent pas de difficultés particulières à produire les indicateurs de leur RSC ou ceux de leur accord d’égalité professionnelle. Il est vrai qu’il s’agit de très grandes entreprises disposant d’outils, de compétences, de moyens et de temps. Pour les plus petites, ces obligations sont nettement plus « répulsives », de l’aveu d’une syndicaliste spécialiste des questions d’égalité professionnelle. De fait, avant la loi de novembre 2010, seule la moitié des entreprises éligibles réalisaient leur rapport de situation comparée, bien qu’il en existe une version simplifiée pour celles employant moins de 300 salariés, et malgré de multiples guides d’aide à la réalisation (lire l’encadré p. 23).

Parmi les indicateurs réglementaires, il en est un cependant qui oppose davantage de résistance que les autres : la durée moyenne entre deux promotions. Comme le souligne Adecco, pour réaliser cet indicateur, il faut créer des cohortes (lire p. 25). L’idée étant de repérer les écarts de traitement en cours de carrière, il faut effectuer un suivi longitudinal, ce qui est plus difficile que de faire une photographie à un instant donné. Même La Poste semble y avoir renoncé (lire p. 26).

Une fois extraits les quelque 200 indicateurs chiffrés du RSC, les entreprises disposent-elles pour autant d’un diagnostic pertinent de l’état de l’égalité professionnelle ? « Non », répondent tous les spécialistes. « Les indicateurs réglementaires devraient permettre de remonter les carrières, or ils ne proposent qu’une photographie à un instant T ; ils devraient imposer la transparence sur les rémunérations, or ils n’incluent pas les primes ; ils raisonnent sur des grandes catégories, or ils devraient pousser l’exigence de précision jusqu’au type d’emploi », explique Rachel Silvera, chercheuse au Mage (Marché du travail et genre) du CNRS (1).

Des écarts dans les rémunérations variables

C’est pourquoi les entreprises soucieuses de réaliser un vrai diagnostic affinent leurs indicateurs dans ces trois directions. Les pionnières sont parvenues à un descriptif fin de la situation, après quelques tâtonnements et un peu d’investissement, mais avec toujours la satisfaction de mieux comprendre les phénomènes d’inégalité hommes-femmes. Cela a notamment permis à La Poste d’identifier un plafond de verre ; à Total de constater que les écarts de salaires comblés une année ne se sont pas creusés de nouveau par la suite ; à PSA de s’assurer que l’effet des congés maternité est neutralisé chez les cadres et que des femmes sont recrutées à proportion de leurs candidatures.

Des difficultés apparaissent cependant. Ainsi, certains métiers sont si féminisés ou masculinisés qu’il n’y a pas de comparaisons possibles. Par ailleurs, les syndicats se plaignent régulièrement, comme à EDF et à Total (lire p. 24), de ne pas parvenir à obtenir d’indications sur les rémunérations variables. C’est souvent là que viennent se loger les écarts de rémunération, notamment chez les cadres.

Enfin, la multiplication des indicateurs, si elle permet de gagner en précision, rend leur production et leur interprétation plus difficiles. C’est ce que souligne la direction de PSA, dont la politique en faveur de la promotion des femmes se traduit paradoxalement par une augmentation des écarts de rémunération hommes-femmes à coefficient égal – parce qu’elles ont moins d’ancienneté. Il a fallu l’expliquer aux syndicats, qui l’ont parfaitement compris. Mais, dans un dialogue social moins favorable, l’information aurait pu être exploitée contre la direction. Comme l’admet la même syndicaliste, « les DRH hésitent à fournir des indicateurs, de peur de prêter le flanc à la critique des syndicats ».

La solution est peut-être alors, comme le propose une élue Unsa à Total, de faire appel à un prestataire « objectif » (l’Apec par exemple), lorsque les indicateurs se compliquent décidément trop. En plus des précédents indicateurs, qui peuvent tous être tirés du registre du personnel, certaines entreprises font réaliser des testings, pertinents pour repérer les écarts de traitement à l’embauche (Adecco et La Poste). D’autres se dotent de baromètres sociaux, qui permettent d’évaluer le ressenti des salariés. Randstad et Casino ont, de leur côté, déployé un système d’alerte anti-discriminations (lire Entreprise & Carrières n° 1072).

Méthode de calcul des préjudices

En revanche, aucune n’utilise la méthode Clerc (du nom du syndicaliste CGT qui l’a inventée : François Clerc), qui sert à démontrer les discriminations dans les parcours professionnels et à calculer le préjudice cumulé au fil des ans (2).

Elle reste l’apanage des syndicats et des juges, qui l’ont utilisée trois fois avec succès, notamment dans l’affaire BNP Paribas, condamné en 2010 à verser 157 000 euros à une salariée pour discrimination.

(1) Coauteure, avec Séverine Lemière, de Comparer les emplois entre les femmes et les hommes. De nouvelles pistes pour l’égalité salariale, 2010, La Documentation française.

(2) La méthode est décrite sur <www.wkrh.fr>, Entreprise & Carrières, docuthèque.

L’ESSENTIEL

1 Les entreprises ont l’obligation d’objectiver l’égalité professionnelle par des indicateurs chiffrés contenus dans le rapport de situation comparée, l’accord ou le plan d’action sur l’égalité, et la synthèse à diffuser auprès des salariés.

2 L’obligation de mise en œuvre de ces indicateurs réglementaires est, à compter du 1er janvier 2012, sanctionnée par une pénalité financière. Toutefois, ils ne suffisent pas à décrire de manière pertinente l’état et les progrès de l’égalité professionnelle.

3 Les entreprises qui veulent pousser plus loin leur compréhension des phénomènes d’inégalité doivent inventer des indicateurs ad hoc.

Guides pour l’égalité

Guide du ministère : <www.solidarite.gouv.fr>

Guides de l’Orse : <www.orse.org> égalité professionnelle.

Guide NAO de la région Centre et guide Anact de la mixité dans l’entreprise : à lire sur <www.wk-rh.fr> Entreprise & Carrières, docuthèque.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK