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Licenciement abusif et perte de chance

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 29.11.2011 |

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Licenciement abusif et perte de chance

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Perte de chance : ces trois mots un peu abstraits pour l’employeur commencent à prendre une réalité très concrète du côté des magistrats de la chambre sociale de la Cour de cassation. Récemment (31 mai 2011, n° 09-71350), la Cour de cassation a donné une illustration supplémentaire de cette notion aux répercussions financières importantes pour l’entreprise. Dans cette affaire, un cadre bénéficiant dans sa société d’un régime de retraite à prestations définies a été licencié pour « insuffisances dans l’accomplissement de ses fonctions ». Contestant son licenciement, il assigne son employeur devant le conseil de prud’hommes aux fins de se voir allouer diverses sommes à titre de dommages et intérêts, notamment pour perte de chance de pouvoir bénéficier d’un régime de retraite à prestations définies.

Les juges du fond estiment que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais rejettent sa demande visant à considérer le régime de retraite supplémentaire comme une rémunération différée, ce qui lui aurait ainsi offert la possibilité de se prévaloir, à ce titre, d’un droit acquis différé.Sur ce dernier point, la décision des premiers juges apparaît conforme, dans la mesure où le bénéfice d’un régime de retraite supplémentaire à prestations définies est subordonné à la présence du salarié dans l’entreprise au moment de son départ à la retraite et « ne conférait au salarié aucun droit acquis à bénéficier d’une quote-part de la pension en cas de rupture de son contrat de travail avant l’âge de la retraite ». Toute rupture du contrat de travail avant ce terme entraîne donc la cessation pour le salarié du droit de prétendre au bénéfice de ce régime.

Or la Cour de cassation casse partiellement la décision et estime que le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse subit un préjudice constitué par « la perte d’une chance de pouvoir bénéficier un jour de l’avantage de retraite applicable dans l’entreprise ». Pour la cour, la perte de chance doit être indemnisée. Cette décision critiquable doit être approchée d’autres arrêts sur la perte de chance, notamment lorsque qu’un salarié, licencié sans cause réelle et sérieuse, est privé de la possibilité de lever ses stock-options. En effet, si la plupart des plans de stock-options subordonnent la faculté de lever les actions à la présence du salarié dans l’entreprise au jour de cette levée, la cour a jugé que le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse subissait un préjudice qui devait être réparé du fait de l’impossibilité de pouvoir lever [un jour] ses options (Cass. soc. 1er décembre 2005 n° 04-41277).Les conséquences financières pour l’entreprise sont non négligeables puisqu’aux indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse peuvent s’ajouter des dommages et intérêts pour perte de chance.

Comment les magistrats apprécient-ilsles montants ? Il s’agit d’une appréciation souveraine au cas par cas, étant précisé que « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Cass. soc. 18 mai 2011, n° 09-42741). Dans un arrêt du 29 septembre 2011 (n° 10-01348), la cour d’appel de Versailles a ainsi octroyé plus de 10 000 euros à un salarié dont le licenciement pour faute grave a été jugé abusif, pour indemniser une perte de chance de bénéficier du plan de sauvegarde de l’emploi qui était mis en œuvre au même moment dans l’entreprise.

S’agissant du chiffrage de la perte de chance pour les stock-options, la plus-value qui aurait pu être réalisée par le salarié entre la valeur préférentielle d’achat et le prix éventuel de vente va s’avérer déterminante. Mais, en période de crise, les valeurs des actions sont aujourd’hui très souvent moins élevées que leur prix de souscription. Pour autant, dès lors que le licenciement sans cause réelle et sérieuse du salarié lui « cause nécessairement un préjudice », l’employeur devra quand même signer un chèque supplémentaire, dont le montant, même symbolique, sera apprécié par les juges.

Il convient désormais que les employeurs soient particulièrement attentifs à la motivation des décisions de licenciement prises à l’encontre de salariés concernés par des régimes de retraite à prestations définies ou des plans de souscriptions d’actions.

Aymeric Hamon, avocat associé, cabinet Fidal, membre d’Avosial, le syndicat des avocats d’entreprise en droit social.