Le grand basculement dont nous parlent les auteurs conjugue en fait une série de changements économiques et sociaux majeurs liés notamment à la globalisation de l’économie, mais pas seulement : basculement du moteur de croissance des pays riches vers les pays en voie de développement, basculement d’une conjoncture où les ressources naturelles paraissaient infinies à une conjoncture où elles se raréfient, voire menacent de s’épuiser, basculement des pays d’Asie et de la Russie dans l’économie de marché et, surtout, explosion démographique qui nous force à envisager comme vraisemblable l’hypothèse d’une population mondiale avoisinant les 10 milliards d’habitants au milieu du 21^e siècle. Cette multiplication par deux en dix ans de la population active conduit arithmétiquement à en dévaluer la valeur dans des proportions identiques. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les emplois industriels des pays riches qui sont en concurrence avec les emplois industriels des régions à bas coûts de main-d’œuvre, mais aussi de plus en plus les emplois technologiques et des services qui sont soumis à la concurrence sauvage non pas des peuples entre eux mais de tous avec chacun. Car le clivage ne sera plus tant demain entre pays mais entre capital et travail, du fait de la dégradation de la valeur travail partout dans le monde. Dégradation qui ne laisse pour seule issue à des millions de gens que d’émigrer, non pour gagner l’Eldorado des pays riches, mais simplement pour survivre. Cette synthèse brillantissime d’un ancien vice-président de la Banque mondiale et d’un grand spécialiste des questions économiques internationales laisse sans voix.

Le Grand Basculement Jean-Michel Severino et Olivier Ray, Odile Jacob, 300 pages, 25,90 euros.