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QUELLE GRH DANS LES CABINETS DE CONSEIL RH ?

Enquête | publié le : 15.11.2011 | VIOLETTE QUEUNIET

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QUELLE GRH DANS LES CABINETS DE CONSEIL RH ?

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Le modèle économique des cabinets de conseil en RH les conduit souvent à négliger la gestion de leurs propres équipes. Mais la baisse d’attractivité du conseil auprès des jeunes diplômés, la montée des exigences de la génération Y ou simplement le souci de cohérence entre les propositions et les actes remet, dans certains cabinets, la GRH au premier plan.

« Lorsque je vois ce que je propose à mes clients sur l’en­tretien annuel, la gestion de conflit ou d’autres leviers de motivation, et ce qui est appliqué dans mon cabinet, il y a un gouffre ! », s’exclame, sous le couvert de l’anonymat, ce consultant d’un cabinet conseil en RH d’origine américaine. Le cordonnier serait-il le plus mal chaussé ? La formule est usée mais convient plutôt bien au conseil en général et, paradoxalement, au conseil en RH en particulier. À cela, plusieurs raisons. Le modèle économique du conseil, fondé sur la croissance (lire l’interview p. 31), conduit à se focaliser sur la seule atteinte des objectifs commerciaux des consultants. Conséquence : le management au quotidien est négligé. « Au sein d’une grande entreprise, manager une grosse équipe confère de l’importance. Dans le conseil, ce poste n’est pas envié. D’ailleurs, cela s’apparente plus à un job d’animation que de management », constate Nicolas Bourgeois, consultant chez Mercer France.

Gestion par ligne de métier

Dans les petites structures, le service RH se cantonne souvent à une gestion administrative. Dans les grands cabinets de dimension internationale, la gestion des RH est souvent organisée par ligne de métier (conseil en RH, fusion-acquisition, rémunération, etc.). Tous les consultants d’une ligne de métier sont managés à un niveau mondial par un responsable RH dédié à une activité. Comme il se trouve au siège mondial, généralement aux États-Unis, cette organisation défavorise les consultants qui travaillent hors de ce pays. « Pour évoquer les problématiques de mobilité et de gestion de carrière, j’ai intérêt à prendre rendez-vous à New York plutôt qu’auprès du RRH de proximité, qui n’est pas décisionnaire », observe notre consultant anonyme. Résultat : « Les gens bien gérés sont tous américains. La mobilité internationale les concerne eux d’abord. » Pour disposer d’une DRH autonome en France, il faut avoir atteint une taille importante… et être d’origine française, comme c’est le cas pour Bernard Julhiet (lire p. 27).

À la décharge des dirigeants de cabinet, les consultants eux-mêmes n’auraient pas forcément envie d’être managés, selon Nicolas Bourgeois : « Ce sont par nature des personnes assez indépendantes, autocentrées et souvent impossibles à manager. Tout cela limite le champ des RH ! » Du coup, les leviers de motivation sont réduits. Le premier d’entre eux est la rémunération : en moyenne, un consultant en RH gagne 15 % à 20 % de plus que s’il travaillait chez un client, et les augmentations sont nettement plus fréquentes et élevées. L’autre levier est la professionnalisation accélérée grâce à la diversité des missions et à la rencontre d’interlocuteurs de haut niveau. Le partage de pratiques, le knowledge management, la formation : c’est là que portent essentiellement les efforts en matière de RH. Les cabinets lésinent rarement sur les moyens en matière de formation. Dirigeant du cabinet Merlane (100 salariés), Jean-Claude Merlane déclare dédier 6 % de sa masse salariale à la formation et offre régulièrement des cursus diplômants du type MBA aux consultants en RH. Quant aux jeunes diplômés (deux à trois ans d’expérience) recrutés dans la filière “outsourcing” du cabinet (équipes de ressources RH au service des entreprises), leur passage chez Merlane est plus rapide – deux à cinq ans –, mais le dirigeant met en avant le côté “3e cycle” de cette filière : « Ils sont mis en situation réelle, avec de vrais clients, des livrables à remettre et des engagements de coûts, de délais, de qualité des informations traitées. Ils apprennent beaucoup et, quand nous nous séparons, c’est toujours en très bons termes. »

Conséquence du modèle économique des cabinets, le turnover est la règle, peu propice à la gestion des parcours. Dans le conseil, chacun gère individuellement sa carrière, qui se fait davantage d’un cabinet à l’autre qu’au sein du même, car rares sont les consultants qui pourront progresser, selon la règle du “up or out”, comme le souligne Rafaël Vivier, associé de Wit Associés (lire p. 31).

Mieux gérer les parcours

Mais le modèle commence à connaître ses limites. « Si la rotation des effectifs se fait trop vite et s’intensifie, ce n’est bon pour personne : ni pour le cabinet, qui voit partir prématurément de jeunes recrues sur lesquelles il a investi, ni pour les consultants, eux-mêmes partant pour de fausses bonnes opportunités », estime David Ifrah, délégué général de Syntec Conseil en management. Alerté par certains de ses membres qui affichaient des turnovers de plus de 30 % par an, le syndicat professionnel a mené, fin 2010, une enquête auprès des 25-30 ans de la profession pour connaître leurs attentes. Prêts à s’engager à fond dans leur travail, ils sont aussi demandeurs de « feedbacks réguliers, de marques de reconnaissance et d’un équilibre vie professionnelle-vie privée ». D’où la prise de conscience d’un certain nombre de cabinets de la nécessité de faire évoluer leur style de management et de mieux gérer les parcours, même en restant dans le modèle du “up or out”. C’est ce qu’a fait par exemple IDRH, avec la mise en place d’un “contrat employeur” (lire p. 30). Consultant senior chez IDRH, Rolland Mougenot évoque une « volonté de fidélisation à court terme avec un contrat qui garantit l’employabilité des consultants au-delà d’IDRH. Quand ils partent, si leur carrière est porteuse et riche, le cabinet en bénéficie aussi en termes d’image et de réseau ».

Qualité de vie

L’urgence est également de répondre à une demande de qualité de vie des nouvelles générations, car le conseil, longtemps voie royale des jeunes diplômés, devient un peu moins attractif : « C’est un constat que nous faisons avec de nombreux confrères. Le conseil demande une implication, parfois un dépassement de soi qui peut créer des problèmes de déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée. À salaire quasiment identique, certains jeunes diplômés iront plutôt dans la banque que dans le conseil, où les horaires sont plus encadrés et les sujets moins stressants », reconnaît François-Xavier Rousseau, directeur général délégué d’IDRH.

« Les jeunes ont moins de scrupules à revendiquer cet équilibre. Ce n’est pas un signe de désengagement mais de maturité. Certains peinent encore à le comprendre, car la culture du présentéisme est toujours très ancrée en France », complète Magali Mounier-Poulat, jeune consultante chez 1762 Consultants, cabinet qui propose précisément à ses clients des démarches innovantes pour développer la qualité de vie de leurs collaborateurs. Sur ce terrain, les cabinets font preuve d’imagination : télétravail, temps partiel (mais le plus souvent pris par les consultantes) font désormais partie du paysage du conseil.

Gestion vertueuse

La vertu devient indispensable quand l’offre aux clients est pointue. « Quand on développe des solutions chez les clients, ne pas les vivre soi-même serait problématique », estime Magali Mounier-Poulat, dont le cabinet, dirigé par le fondateur de l’Observatoire de la parentalité en entreprise, Jérôme Ballarin, « met en acte ce qu’il prône ».

Chez JLO Conseil, spécialisé notamment dans les thématiques du handicap, plusieurs consultants sont reconnus travailleurs handicapés (lire p. 28). Difficile, sinon, de convaincre les clients qu’il est possible de trouver des personnes handicapées à bac + 4. À l’Ifas (Institut français d’action sur le stress), préserver la santé mentale des consultants paraît évident (lire p. 29). Ce cabinet n’en fait pourtant pas un argument commercial. C’est surtout une question de cohérence : « Notre métier est de proposer des solutions de gestion du matériau humain pour une meilleure efficacité au travail, car c’est corrélé. Nous essayons d’être un laboratoire d’expérimentation », indique la dirigeante de l’Ifas, Laurence Saunder.

Moins focalisées sur le recrutement de jeunes diplômés, privilégiant les professionnels dotés de dix à quinze ans d’expérience, ces petites structures comptent souvent dans leurs rangs d’anciens responsables RH, qui ont sans doute un niveau d’exigence plus élevé. Tel JLO Conseil, cabinet de 45 collaborateurs : « L’équipe de direction est composée pour moitié d’anciens DRH de structures nationales, témoigne Jean-Luc Odeyer, son dirigeant. Nous avons essayé de structurer le cabinet comme le font les grandes entreprises, mais sans formaliser à l’extrême, pour rester en phase avec l’évolution très rapide de nos métiers. » Organisation et agilité : peut-être une piste à suivre dans le conseil en RH…

L’ESSENTIEL

1 La plupart des cabinets de conseil en RH n’appliquent pas à leurs équipes les standards préconisés à leurs clients. Focalisés sur la croissance du chiffre d’affaires, les managers négligent la GRH.

2 La gestion par le “up or out” ne favorise pas le suivi qualitatif des parcours. Les consultants eux-mêmes sont plus sensibles à des leviers RH tels que la rémunération et la formation.

3 Les attentes des jeunes générations contraignent certains cabinets à investir davantage dans la GRH. Les cabinets spécialisés sur des thématiques RH très pointues sont également tenus de faire preuve d’exemplarité en interne.

UN MARCHÉ EN CROISSANCE ET QUI RECRUTE

Après une année 2010 qui a renoué avec la croissance (+ 5 % par rapport à 2009), le conseil en management a continué sur sa lancée en 2011. « Le premier semestre a été très bon. Nous devrions enregistrer une croissance de 5 % à 7 % pour 2011 », prévoit David Ifrah, délégué général de Syntec Conseil en management, syndicat professionnel qui regroupe 85 cabinets représentant plus de 60 % du marché du conseil en management en France.

Le recrutement a suivi la même courbe : plus de 2 000 jeunes diplômés recrutés depuis le début de l’année avec, cependant, un léger ralentissement au deuxième semestre. Sont également attractifs pour les cabinets les consultants ayant cinq à dix ans d’ancienneté ainsi que les profils multiculturels. L’activité est en effet tirée par l’international (Europe et pays émergents).

Pour 2012, David Ifrah reste prudent : « Nous n’avons pas de visibilité au-delà de trois mois, mais il est peu probable que le conseil en management subisse un arrêt brutal. La demande reste soutenue, avec de gros projets structurants et de transformation, y compris depuis la rentrée. »

Un mémoire de fin d’études sur le mode de management des consultants

Le management à la performance des cabinets conseil a-t-il une influence sur ce que les consultants proposent aux clients ? Pour Dorian Simon-Meslet, élève de 3e année à Rouen Business School, dans la majeure management des RH, la réponse est incontestablement oui. Il en a fait le sujet de son mémoire de fin d’études (sous la direction de Jean Pralong) qu’il remettra en avril 2012 : « Le secteur du conseil est fortement concurrentiel. Cela a deux conséquences : dans sa réponse à un appel d’offres, le consultant doit à la fois être très réactif et proposer au prospect un budget compétitif, c’est-à-dire raisonnable. Cette double contrainte implique souvent de réutiliser les meilleures pratiques employées dans les missions antérieures, car réinventer une solution sur mesure serait très chronophage pour le consultant, et le budget disproportionné », explique-t-il.

Les formations dispensées en interne formatent aussi le point de vue des consultants : « Il y a une tendance à considérer le cas du client en fonction de ces outils », constate Dorian Simon-Meslet.

Enfin, la théorie implicite du management à laquelle se réfèrent les cabinets conseil “infuse” dans les entreprises clientes : « Il s’agit généralement d’un modèle de management extrinsèque, qui consiste à évaluer les consultants non pas tant sur le contenu de leur travail mais sur ce que rapporte leur travail. Les critères déterminant la partie variable de la rémunération sont essentiellement quantitatifs : objectifs à atteindre en termes de chiffre d’affaires généré ou en nombre de clients “ouverts” », estime l’étudiant.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET