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« Le salarié engagé dans le mécénat de compétences s’implique fortement »

Enjeux | publié le : 15.11.2011 | CHRISTELLE MOREL

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« Le salarié engagé dans le mécénat de compétences s’implique fortement »

Crédit photo CHRISTELLE MOREL

Le mécénat de compétences permet avant tout d’améliorer l’image en interne et à l’externe de l’entreprise qui met ses salariés au service d’une association. Du point de vue managérial, il peut aussi être utilisé pour valoriser des salariés et réenchanter leur travail. Mais attention : l’échec le rendrait contre-productif.

E & C : Quels avantages le mécénat de compétences présente-t-il pour une entreprise ?

Anne Bory : C’est avant tout une question d’image. Les entreprises qui pratiquent le mécénat de compétences le font figurer dans leur rapport de développement durable ; elles le valorisent en interne, par exemple dans leurs newsletters. Certes, du point de vue de la démarche globale de RSE, le mécénat est marginal, mais il est visible ! Et, en termes de développement durable, il est plus facile d’envoyer des salariés volontaires au Secours populaire que de réformer l’organisation interne de l’entreprise de manière à diminuer l’utilisation de papier. Le mécénat de compétences permet aussi aux entreprises de tisser des liens avec les associations locales – surtout quand il s’agit de PME, mais pas seulement – et donc de se faire bien voir par d’éventuels partenaires et par le grand public, ce qui est un atout dans leurs relations avec le voisinage et avec les autorités publiques. Enfin, la doxa veut que les démarches RSE augmentent la rentabilité des entreprises. Mais les études se contredisent sur ce point et cet avantage n’est pas prouvé, même s’il est souvent mis en avant.

E & C : Et les salariés, quelle est leur motivation à pratiquer ce genre d’activité ?

A. B. : Le mécénat de compétences peut être un moyen de revaloriser, voire réenchanter le travail, de lui redonner un sens. Cela peut aussi servir de sas de décompression pour des personnes dont l’attachement à l’entreprise s’est émoussé au fil du temps et des changements organisationnels. Dans le cadre d’activités de mécénat en groupe, j’ai pu constater que les salariés étaient contents de se retrouver dans une ambiance conviviale, de voir leurs collègues autrement, même s’il s’agit d’une activité peu valorisée ou valorisante, comme par exemple de la mise sous pli pour une association. De telles activités sont parfois aussi l’occasion de voir les managers sous un autre jour : lorsqu’on a repeint un mur avec son Pdg, on lui pardonne parfois plus de choses.

Le mécénat de compétences collectif est d’ailleurs quelquefois utilisé comme une forme de teambuilding : un service entier peut être mobilisé pour une action auprès d’une association. Cela coûte d’ailleurs bien moins cher que les actions habituelles de teambuilding… Et ce sont des activités où l’identification avec l’entreprise est très claire, car les salariés portent des vêtements au nom de la société.

Le mécénat de compétences individuel – qui consiste à mettre son savoir-faire professionnel en informatique, comptabilité, communication, expertise en organisation, droit, etc., au service d’une association – est quant à lui très valorisant lorsqu’il permet à des salariés de travailler de manière autonome – parfois davantage que dans leur poste au sein de l’entreprise – et au service d’une cause qui leur semble utile. C’est aussi bien pratique pour eux : tout est organisé par l’entreprise et l’association. Et cela paraît beaucoup moins contraignant qu’une activité bénévole à titre privé : on ne met pas le doigt dans l’engrenage du bénévolat régulier et on peut se mettre au service de différents organismes.

E & C : Mais cette pratique n’est selon vous pas exempte de risques.

A. B. : L’un des risques est un trop grand décalage entre ce qui est vécu en interne et l’image que l’entreprise veut se donner à l’extérieur grâce au mécénat de compétences. Dans ce cas, le mécénat peut être mal vu par les salariés qui ne le pratiquent pas et mal vécu par ceux qui y participent. Les DRH ne doivent pas s’y tromper : les salariés qui s’engagent sont souvent fidèles à la structure de mécénat de l’entreprise. Ces politiques créent un engagement par rapport à l’entreprise très similaire aux engagements syndicaux ou associatifs. La rupture sera donc d’autant plus forte vis-à-vis de l’employeur s’il y a déception. Sans compter qu’une activité qui se passe mal peut devenir contre-productive. Les salariés ne sont pas dupes : ils savent lorsqu’ils n’ont pas été vraiment utiles, soit à cause d’une mauvaise organisation, soit parce que l’activité choisie ne convenait pas… Pour réussir, les activités de groupe doivent donc être courtes, le public ne doit pas être trop “difficile” – des malades, par exemple –, il doit être reconnaissant – les enfants sont parfaits pour cela ! – et l’utilité facilement mesurable. Au final, cela limite beaucoup le nombre d’associations avec lesquelles il est possible de mettre ce type de mécénat de compétences en place, ainsi que l’utilité sociale de celui-ci. Autre difficulté : la gestion managériale des salariés impliqués dans ce genre d’activité. Les décharges de poste sont rarement prévues ou alors elles sont trop limitées. Et lors de son absence, le salarié n’est pas remplacé, ce qui crée parfois des tensions avec le manager direct. Par ailleurs, la prise en compte de cette activité dans l’évaluation est très inégale : même lorsque c’est prévu, ce n’est pas toujours fait. Enfin, le retour du salarié dans l’entreprise peut être difficile. D’un point de vue sociologique, j’ai aussi constaté que ce type d’engagement altruiste au sein d’une association conduisait à reproduire les inégalités hiérarchiques et sociales : les employés sont impliqués dans des activités de groupe qui font peu appel à leurs compétences – jardinage, peinture, accompagnement d’enfants à la mer… –, tandis que les cadres ou experts font véritablement du mécénat de compétences, qui peut être valorisé individuellement en interne.

Enfin, d’un point de vue politique, le mécénat en général participe de la privatisation de l’intérêt général. Il coûte cher à l’État du fait des déductions fiscales qui y sont liées. Cette forme de délégation de service public est très consensuelle à l’heure actuelle ; pourtant, elle n’a pas grand-chose à voir avec une politique sociale qui s’occuperait des questions sociales prioritaires.

PARCOURS

• Anne Bory est sociologue du travail, maître de conférences en sociologie à l’université de Lille 1, chercheuse au Clersé (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques)-CNRS ; elle dirige le master 2 de sociologie d’économie sociale et des associations (Sésa) de Lille 1.

• Elle a soutenu sa thèse en 2008, intitulée De la générosité en entreprise : mécénat et bénévolat dans les grandes entreprises en France et aux États-Unis. Ses travaux actuels portent d’une part sur la fermeture de l’usine Molex de Toulouse et, d’autre part, sur les travailleurs sans papiers.

• Elle est coauteure, avec P. Barron, L. Tourette, S. Chauvin et N. Jounin, du livre On bosse ici, on reste ici ! (La Découverte, 2011).

LECTURES

• ONG & Cie. Mobiliser les gens, mobiliser l’argent, Sylvain Lefèvre, PUF, 2011.

• Les Illusions du management, Jean-Pierre Le Goff, La Découverte, 2003.

• Le Nouvel Esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Ève Chiapello, Gallimard, 1999.

Auteur

  • CHRISTELLE MOREL