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Le groupe, nouveau blues du DRH

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 15.11.2011 |

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Le groupe, nouveau blues du DRH

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Avosial, association d’avocats d’entreprises, spécialistes en droit social, fondée en février 2004, a consacré cette année son colloque annuel à l’importance croissante du groupe en droit du travail et à la difficulté de cerner cette notion (“De l’entreprise au groupe : enjeux et responsabilités”).

Depuis quelques années, la Cour de cassation accorde une place croissante au groupe, surtout en matière de licenciements pour motif économique, comme si le groupe avait une existence légale : prise en compte du groupe pour le décompte de l’ancienneté, l’obligation préalable de reclassement, l’appréciation du motif économique ….

Or, le groupe n’est pas précisément défini. Les articles du Code du travail sur le comité de groupe ou le comité européen renvoient tous deux à la définition qu’en donne le Code de commerce (article L. 233-1 : détention de la majorité du capital ; article L. 233-3 : notion de contrôle). Ce n’est pas la loi sur la prime de partage des profits (PPP) du 28 juillet 2011 qui améliore la situation : malgré la circulaire ministérielle publiée le lendemain et répondant à 65 premières questions (ce qui interpelle sur la qualité de la loi), l’obligation de verser la PPP dans les groupes demeure incertaine dans certains cas.

Quant à la jurisprudence des cours d’appel et de la Cour de cassation, on ne peut pas dire qu’elle nous donne une définition unique et claire : on « ressent » le groupe plus qu’on n’arrive à le définir.

Depuis l’arrêt Vidéocolor du 5 avril 1995, les difficultés de l’entreprise justifiant un licenciement pour motif économique s’apprécient au sein du groupe, limité au “secteur d’activité” concerné par la restructuration ; qu’est-ce que le “secteur d’activité” ? Un arrêt Valaubrac du 10 février 2010 a validé une méthode de faisceau d’indices (la nature des produits, la clientèle et le mode de distribution de l’entreprise) pour tenter de circonscrire le secteur d’activité. Mais les indices varieront nécessairement avec chaque cas d’espèce.

En ce qui concerne la recherche préalable des possibilités de reclassement au sein du groupe, il s’agit des « entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel » (arrêt Vidéocolor), la permutation requérant « l’existence d’une organisation et d’une gestion commune des sociétés ». Encore une définition variable au cas par cas. Ainsi, il faut à chaque fois l’intervention de la Cour de cassation pour définir le groupe, mais celui-ci varie au gré des questions que l’on se pose !

Plus récemment, la Cour a considéré la société mère comme co-employeur des salariés de la filiale française pour pouvoir rechercher la motivation du motif économique au sein du groupe, malgré la cessation d’activité de la filiale française (arrêts Jungheinrich et Goodyear, 18 janvier et 1er février 2011). Cette notion de co-emploi fait fi de la définition de l’employeur en droit du travail, qui repose sur la détermination du lien de subordination. Ne risque-t-elle pas, en passant outre l’autonomie juridique de la société, de déplacer à terme la responsabilité de l’employeur, uniquement dans le but de rechercher l’entreprise la plus à même de financer les licenciements (notion de “deep pocket”).

On le voit, le groupe n’est pas clairement défini, il est le fruit des restructurations et de la mondialisation. C’est une “pieuvre” dont les tentacules s’étendent à des distances différentes selon la raison pour laquelle on cherche à le déterminer, et il pose parfois les plus grandes difficultés aux praticiens pour en cerner les contours.

Les sociétés mères étrangères imposent de plus en plus leur marque dans les entreprises : détachements et transferts internationaux, organisations matricielles qui font que le supérieur hiérarchique n’est pas salarié de la société employeur, chartes d’éthique, application de la loi Sarbanes-Oxley aux filiales à l’étranger de sociétés américaines cotées, tentatives d’imposer un contrat de travail unique pour toutes les filiales du groupe, où qu’elles soient situées, sans tenir compte des lois locales…

Puisque le groupe existe en pratique, une définition claire pour l’ensemble du droit du travail serait la bienvenue.

Viviane Stulz, associée au Cabinet Actance, et François Vergne, associé au Cabinet Morgan Lewis & Bockius, membres d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.