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Enquête

MONTAIGNE PRÔNE UNE RÉVOLUTION

Enquête | publié le : 25.10.2011 | L. G.

L’Institut Montaigne préconise une forte étatisation de la formation, mais reste muet sur les effets d’une baisse de l’obligation légale.

Le 3 octobre, une étude intitulée “La formation professionnelle des adultes : pour en finir avec les réformes inabouties” a été rendue publique par nos confrères des Échos (lire Entreprise & Carrières n° 1065). Sous l’égide de l’Institut Montaigne, elle a été réalisée par Pierre Cahuc (professeur à Polytechnique et directeur du laboratoire de macroéconomie du Crest), André Zylberberg (directeur de recherche au CNRS, membre de l’École d’économie de Paris) et Marc Ferracci (maître de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée).

Cotisation formation unique de 0,21 %

Dans l’annexe financière de leur étude, ce trio de chercheurs propose le remplacement de toutes les obligations légales de financement de la formation (qu’ils symbolisent pour simplifier par le 1,6 %) par une cotisation formation unique de 0,21 % de la masse salariale. Ils assurent qu’avec ce taux de financement, « il est possible de diminuer le taux de prélèvement pour toutes les entreprises sans distinction de taille, tout en maintenant constante la dépense globale de formation des entreprises » à hauteur de 12 milliards d’euros (année 2009). « Et, dans la mesure où seules subsistent les dépenses efficaces, le rendement moyen des formations s’en trouve mécaniquement accru. »

Cette cotisation ne serait pas collectée par les Opca mais par les Urssaf, pour « une plus grande simplicité et d’importantes économies d’échelle ». Le 0,21 % serait utilisé pour mener une politique de subventions des entreprises et des salariés via déductions fiscales, en lieu et place du circuit de mutualisation des Opca. « Ce crédit d’impôt deviendrait un impôt négatif, c’est-à-dire un versement monétaire, pour les individus dont le montant de l’imposition est inférieur aux sommes déductibles au titre de la formation. Du côté des entreprises, il prendrait la forme d’une baisse de cotisations sociales. »

Dans cette logique de subvention seraient institués des chèques formation pour les chômeurs : « Les individus présentant le plus fort risque de chômage de longue durée bénéficieraient de chèques plus importants. »

Enfin, les auteurs préconisent de généraliser l’usage de la norme Iso 29990 (voir le dossier d’Entreprise & Carrières n° 994) chez les prestataires de formation. « Une règle simple pourrait être que les subventions soient réservées aux formations dispensées par des prestataires satisfaisant cette norme. »

Rôle et place des collecteurs de fonds

Dans cette configuration, les auteurs redéfinissent par contre-coup le rôle et la place des collecteurs de fonds. « La mutualisation des fonds qu’ils réalisent serait toujours possible, mais de façon optionnelle. Toutes les entreprises adhérentes à une convention collective verseraient une contribution à un fonds commun de formation, y compris celles qui n’offrent pas de formation. Cela permettrait de bénéficier d’économies d’échelle sous forme d’achats groupés de formation. Les Opca seraient mis en concurrence sur la base des prestations de conseil et d’ingénierie qu’ils offrent aux entreprises, car le marché de la formation restera complexe et les Opca pourront aider les entreprises à identifier les besoins en formation et à construire les parcours de leurs salariés. »

Mais, ajoutent les trois auteurs : « À l’évidence, une telle réforme ne peut se faire que de façon graduelle, sous peine de déstabiliser les Opca et, à travers eux, les appareils syndicaux qui bénéficient du financement issu de la formation professionnelle. Ceci serait préjudiciable à la réforme elle-même, tant les capacités de blocage des partenaires sociaux sont fortes dès lors que l’on touche à ces enjeux. Pour cette raison, la suppression de l’obligation légale devrait s’étaler sur plusieurs années, jusqu’à sa suppression définitive. »

Les partenaires sociaux répondent

Cette analyse n’a pas manqué d’énerver les partenaires sociaux qui, la semaine dernière, ont répondu aux trois économistes.Jean-Pierre Therry, chef de file CFTC sur la formation professionnelle, s’est dit « outré » et « scandalisé » par les conclusions de l’étude. Stéphane Lardy, pour FO, estime lui que cette étude « contredit sans référence ni argumentation le rapport du cabinet Ambroise Bouteille sur l’ANI de 2003 ou encore l’étude de 2008 du Céreq sur le DIF. Cela traduit un grave défaut méthodologique, qui empêchera certainement d’en tirer quelque enseignement ». Anousheh Karvar, secrétaire nationale de la CFDT en charge de la formation professionnelle, a ajouté qu’« à partir du moment où le diagnostic établi par Marc Ferracci, Pierre Cahuc et André Zylberberg n’est pas solide et que les propositions contenues dans leur rapport ne sont étayées en rien, que dire ? ». Enfin, Francis da Costa, président de la commission formation du Medef, s’est fait plus tranchant encore en affirmant qu’« on ne peut pas se baser sur une étude qui publie des données factuellement inexactes comme si elles étaient vraies. Ce n’est pas digne de générer le moindre buzz ! ».

Cette étude se distingue par une très nette différence de ton entre les dernières pages de propositions et les premières pages de démonstration : rien dans l’obligation légale et la gestion paritaire ne trouve grâce à leurs yeux, l’usage des fonds est par définition douteux, le principe même de l’obligation légale est défavorable aux bas niveaux de qualification… Les politiques de branches, les Edec, les publics prioritaires : rien ne marcherait. Selon eux, du fait de l’existence du 1,5 % de financement du paritarisme (pour les Opca du champ, alors qu’il n’est que de 0,75 % pour le hors-champ), l’utilisation des 98,5 % restants est forcément suspecte. Cependant, la démonstration compte plusieurs inexactitudes techniques (sur le FPSPP, le financement du paritarisme…), et les auteurs apportent eux-mêmes divers bémols en note de bas de page (sur la mutualisation, les politiques d’achat de prestations pédagogiques des Opca…).

Attente de précisions

Quoi qu’il en soit, une position aussi radicale appelle des précisions ; 0,21 % au lieu de 1,6 % ? Quid d’un effet de baisse automatique des dépenses par baisse de l’obligation, alors que beaucoup d’entreprises sont au plafond de l’obligation légale ? Que deviennent les politiques de branches ? Qui, dans les services de l’État, est capable d’accompagner le choix de formation individuel d’un chômeur ?, etc. Pour l’heure, les auteurs comme l’Institut Montaigne n’ont pas répondu.

Auteur

  • L. G.