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« L’État s’approprie les fonds au détriment d’une gestion plus proche des réalités »

Enquête | publié le : 25.10.2011 | L. G.

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« L’État s’approprie les fonds au détriment d’une gestion plus proche des réalités »

Crédit photo L. G.

E & C : L’État devient-il de plus en plus interventionniste dans la gestion des fonds de la formation professionnelle opérée par les Opca ?

J.-P. W. : L’administration a mis plus de temps à mettre au point le décret relatif aux Opca de septembre 2010 que le gouvernement n’en a accordé aux partenaires sociaux pour négocier l’accord interprofessionnel qui a précédé la loi ! Cette longue gestation d’un texte emblématique de la réforme n’apporte guère de surprises. Ce qui devait arriver arriva : les Opca sont désormais “sous contrôle”, à l’instar d’autres institutions publiques ou parapubliques. L’autonomie contractuelle, hautement revendiquée par les partenaires sociaux, se trouve réduite à peu de choses. Au travers de la fusion des Opca et des conventions d’objectifs et de moyens, l’État s’approprie cette ressource du fait de sa nature fiscale, et cela au détriment d’une gestion plus proche des réalités et de la diversité des marchés du travail par les organisations représentatives de salariés et d’employeurs. Pourtant, les Opca et la gestion paritaire de la formation professionnelle, ce n’est ni la maison de l’État ni ses dépendances. Et ce qui peut valoir dans un cas, décision étatique de restructuration suivie de contrats d’objectifs qui assignent des missions et objectifs, ne se conçoit guère dans l’autre, où l’autonomie des partenaires sociaux doit trouver sa place. Le décret laisse une place à ce dialogue, mais il maintient tout de même une tutelle sur les Opca. Les deux interlocuteurs ne sont pas dans une véritable position de négociation. Pour qu’il en soit ainsi, il faudra que les partenaires sociaux tirent les conséquences concrètes de l’autonomie de gestion qu’ils revendiquent.

E & C : Certains, comme l’Institut Montaigne, préconisent d’aller plus loin encore dans une logique d’étatisation renforcée via les Urssaf et des déductions fiscales. Qu’en pensez-vous ?

J.-P. W. : Selon cette étude, l’obligation de dépenser, en alimentant les circuits de financement des organisations syndicales bâties sur les Opca, mènerait à des gaspillages et à l’utilisation des fonds sans rapport avec ses objectifs ; la gestion des Opca serait placée sous le signe de “l’opacité” ; leurs frais de gestion seraient hors normes ; leurs appareils techniques truffés de représentants d’organisations patronales et syndicales vivant sur la bête et privilégiant sans vergogne les appareils de formation qui leur sont proches… Plutôt que de s’appuyer sur le travail de fond conduit par l’Igas, cette étude, version académique du “tous pourris” appliquée au paritarisme, reprend les conclusions largement erronées de la Cour des comptes, dont on ne compte plus les erreurs en matière de diagnostic sur la formation professionnelle ! Ce type d’étude est hélas exactement de celles qui ont alimenté le débat public avant la réforme de 2009. Il est surprenant qu’une “boîte à idées” patronales soit aussi radicalement critique à l’égard des organisations d’employeurs et de salariés auxquels la Constitution et le Code du travail confèrent la compétence de négocier et de gérer paritairement les garanties sociales des salariés ! Que la gestion paritaire soit perfectible, que le financement de la démocratie sociale doive faire l’objet d’une profonde rénovation, tout le monde en convient. Cette question dépasse largement la formation et elle progressera en principe dès 2013 à l’occasion de l’entrée en application des nouvelles règles de représentativité des organisations syndicales de salariés, et d’un débat nécessaire sur la représentativité des organisations patronales.

E & C : Selon l’Institut Montaigne, l’obligation de “former ou payer” est à l’origine des maux de la formation professionnelle. Quelle est votre analyse ?

J.-P. W. : La nocivité prétendue du slogan “former ou payer” qui sous-tend l’étude des trois économistes n’a aucune réalité. Il ne s’agit pas de former ou de payer, mais de payer pour avoir en retour une possibilité accrue de former. La contribution professionnalisation mutualisée au premier euro permet aux entreprises de financer des recrutements par le biais de contrats de professionnalisation ou par l’apprentissage. La même observation vaut pour la contribution CIF : payer pour permettre la formation longue diplômante ou qualifiante de salariés via le congé individuel de formation. Pour le plan, l’obligation de financement a pour effet à la fois de nourrir le dialogue social dans l’entreprise, mais aussi, via la mutualisation, d’apporter aux entreprises un ensemble de prestations de conseil d’ingénierie et de financement d’actions de formation auxquelles elles n’auraient pu accéder en mobilisant leurs seuls moyens. Sur la base du salaire moyen selon l’Insee, de 2 500 euros brut mensuels, l’obligation fiscale représente 480 euros par an par salarié. La moitié est collectée par les Opca pour des dispositifs de mutualisation. Il reste 250 euros par salarié par an pour financer les besoins de formation de l’entreprise, en incluant les coûts pédagogiques, rémunérations chargées et frais de déplacement. Avec une telle somme, l’alternative à la mutualisation serait de très peu former ou de peu payer !

Auteur

  • L. G.