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« L’implication dans l’entreprise est compatible avec l’engagement syndical »

Enjeux | publié le : 25.10.2011 | ÉRIC DELON

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« L’implication dans l’entreprise est compatible avec l’engagement syndical »

Crédit photo ÉRIC DELON

Les salariés français sont très attachés à leur entreprise, ce qui, contrairement à certaines idées reçues, est aussi le cas des salariés syndiqués. L’implication dans l’entreprise peut se concilier avec leur engagement. Celui-ci ne contredit pas, en outre, leur désir d’évolution professionnelle.

E & C : Vous avez étudié le comportement des salariés syndiqués dans l’entreprise. Plus précisément leur implication, c’est-à-dire leur degré d’attachement et d’engagement à l’égard de leur syndicat, de leur entreprise et/ou de leur propre carrière professionnelle. Vos conclusions vont-elles à l’encontre des idées reçues ?

Franck Biétry : Rappelons tout d’abord ce que signifie le concept d’implication. Contrairement à la motivation, qui constitue un moteur, et à la satisfaction, qui est un état psychologique, l’implication exprime la qualité d’une relation à une cible – un syndicat, une carrière professionnelle, son entreprise. On sait depuis de nombreuses années que cette relation peut être de différentes natures. Avec mes collègues, Patrice Laroche et Sandra Camus, nous nous sommes exclusivement centrés sur le partage des valeurs entre l’individu et la cible considérée. Nous avons pour cela questionné un échantillon de 1 100 salariés syndiqués et 396 non syndiqués, tous employés dans le secteur privé. En croisant les scores obtenus au regard des différentes cibles, nous avons pu identifier statistiquement des types de profils, qui nous permettent de tirer plusieurs conclusions intéressantes. Primo : les salariés français sont attachés à leur entreprise en général, malgré le contexte tendu que nous connaissons depuis plusieurs années. Ensuite, il s’avère que les salariés syndiqués y sont très attachés aussi, pour la majorité d’entre eux. À ce titre, l’image du syndicaliste n’agissant que pour nuire à son entreprise ne correspond pas du tout à la réalité du terrain. À un troisième niveau, nous avons observé que cette implication dans l’entreprise était tout à fait compatible avec l’engagement syndical. Les deux ne se concurrencent pas. En dernier lieu, nos résultats montrent que l’engagement syndical n’est nullement vécu sur un mode sacrificiel pour la plupart des personnes questionnées. Autrement dit, l’adhésion syndicale ne signifie pas un renoncement à l’égard de la carrière professionnelle. Bon nombre des salariés syndiqués continuent de vouloir faire carrière.

E & C : Ce degré d’implication a-t-il beaucoup évolué ces dernières années ? Si oui, pourquoi et de quelle façon ?

F. B. : Malgré l’absence de données comparatives, on peut dire que la relation au syndicat et à l’entreprise a certainement changé de nature en l’espace de deux décennies. Elle est probablement moins “politique” au sens idéologique du terme par rapport à ce qu’on pouvait observer au cours des années 1970 par exemple. Cela ne présume toutefois en rien de l’intensité des liens qu’un individu peut nouer avec son entreprise et/ou son syndicat. D’ailleurs, tous les sondages convergent : sous l’effet des pressions en tous genres et de la dégradation des conditions psychologiques de travail, les attentes à l’égard du monde syndical sont manifestes au sein de la population salariée, même si l’offre du syndicalisme confédéré paraît peiner à y répondre. Aujourd’hui, la conception de l’implication est certainement plus pragmatique, c’est-à-dire davantage donnant-donnant : vous pouvez difficilement exiger un haut niveau de loyauté si la contrepartie n’est que précarité, flexibilité et pauvreté. Les messages syndicaux vont dans ce sens, quelles que soient leurs origines : ils ne veulent pas moins d’entreprise ni moins de syndicat, bien au contraire. Ils souhaitent davantage de travail, autant pour des raisons identitaires qu’économiques, de la stabilité, de la justice et des missions professionnelles épanouissantes. Dans cette logique, les nombreuses enquêtes qualitatives que j’ai pu réaliser m’ont d’ailleurs révélé des comportements innovants. Ainsi, la triple implication dans l’entreprise, le syndicat et la carrière se traduit parfois par un engagement fort dans le travail, concomitant avec une implication syndicale plus ou moins masquée, au niveau de la branche ou de la fédération. Cette solution permet de préserver ses chances de “faire carrière” en demeurant loyal à son entreprise, sans pour autant renier ses valeurs grâce à l’implication syndicale hors les murs.

E & C : Cette implication est-elle fondamentalement différente dans les pays qui nous entourent ?

F. B. : La double implication dans le syndicat et l’entreprise a été observée dans de très nombreux pays – États-Unis, Canada, Australie, Afrique du Sud, Japon… Le constat n’est donc pas nouveau, même si la France avait été étrangement ignorée par ce type d’études. La question de la carrière n’avait pas été non plus intégrée dans les raisonnements, alors que cette thématique concerne bon nombre de salariés syndiqués. Cette universalité apparente de la double implication doit interpeller tant du côté des DRH que du côté des organisations syndicales. En effet, ce résultat est observé dans des contextes radicalement différents. Le syndicalisme des pays nordiques n’a en effet rien à voir avec celui de l’Amérique du Nord ou bien avec le nôtre. Malgré cette diversité, l’attachement parallèle à l’entreprise et au syndicat semble partout présent. Ce résultat est d’autant plus étrange que l’unique cause jusque là identifiée dans les recherches était la qualité du climat social. Plusieurs indices tendaient à montrer qu’une double allégeance était exprimée quand les salariés pouvaient imputer le bénéfice des accords signés aux deux parties de la négociation. À défaut d’entente perçue entre les syndicats et le patronat, une implication unilatérale dans l’entreprise d’une part ou en faveur du syndicat d’autre part devait être observée. Chacun choisissait son camp, en quelque sorte. Sur ces bases, comment interpréter nos résultats ? Soit les relations collectives françaises ne sont finalement pas si conflictuelles que ça au niveau de nos entreprises, soit la cause de la double implication doit être cherchée ailleurs. En France, il n’est pas totalement illégitime d’interpréter la double implication dans l’entreprise et le syndicat comme une solution permettant à la fois de préserver son ambition professionnelle personnelle sans pour autant se renier, c’est-à-dire sans pour autant abandonner ses valeurs au profit d’un arrivisme source de mauvaise conscience.

PARCOURS

• Franck Biétry est docteur en sciences de gestion, maître de conférences à l’IAE de Caen. Il a auparavant dirigé le master GRH à l’université de Rouen pendant sept ans.

• Il pilote actuellement le programme de recherche Cossi (carrière, organisation, syndicat, soutien, implication) dédié aux attitudes et aux comportements des salariés syndiqués dans l’entreprise.

• Il a écrit plusieurs ouvrages, dont Les Partenaires sociaux. Quelle stratégie syndicale pour quel dialogue social ? (éd. EMS, 2007).

LECTURES

• Sociologie des mouvements sociaux, Erik Neveu,La Découverte, 2011.

• Gérer les relations avec les partenaires sociaux, Patrice Laroche, Dunod, 2010.

Auteur

  • ÉRIC DELON