logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actualités

Prime de partage des profits : chronique d’un échec annoncé

Actualités | publié le : 25.10.2011 | MARIETTE KAMMERER

Image

Prime de partage des profits : chronique d’un échec annoncé

Crédit photo MARIETTE KAMMERER

L’état des lieux à la veille de l’échéance du 31 octobre confirme une application décevante du dispositif destiné à l’origine au partage des profits. Déception due à la fois au manque de clarté des textes régissant le calcul de la prime et au montant final de celle-ci.

C’était attendu, la prime de partage des profits se révèle un fiasco. Imposée par la loi du 28 juillet 2011 aux entreprises de plus de 50 salariés ayant versé des dividendes en hausse, cette mesure, qui se voulait équitable et redistributive, a réussi à faire l’unanimité contre elle, agaçant les entreprises et décevant les salariés.

Les employeurs, pris au dépourvu, ont dû négocier à la hâte un accord sur une prime qu’ils n’avaient pas budgétée. « L’obligation de verser la prime dès 2011, alors que la répartition des bénéfices était déjà faite, a été très mal vécue par les entreprises », observe Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH.

Les négociations, qui doivent aboutir au plus tard le 31 octobre, ont démarré tardivement. Car beaucoup d’entreprises ne savaient même pas si elles étaient concernées ou non par cette prime tant les textes sont imprécis sur le périmètre d’application (lire l’encadré) : « Le flou juridique qui entoure cette loi a créé beaucoup d’inquiétudes chez nos clients, confie Cécile Gilliet, avocate au cabinet Vatier.

Par ailleurs, la loi a été perçue comme injuste par des entreprises qui accordaient déjà beaucoup ­d’intéressement ou de participation à leurs salariés. » Résultat, une majorité d’entreprises sondées par le cabinet Fidal assurent qu’elles feront tout, l’année prochaine, pour contourner le dispositif. En attendant, « elles se sont débarrassées de cette obligation, en faisant au plus vite et au plus simple », constate Nadia Hamida, avocate chez Fidal. Certaines espèrent aussi, en cette période électorale, que ce dispositif sera prochainement abandonné.

Tensions sociales

Du côté des salariés, c’est la déception. Il faut dire que les montants proposés sont loin des 1 000 euros évoqués imprudemment par François Baroin, ministre de l’Économie et des Finances. En moyenne, la prime se situe plutôt autour de 300 euros, selon l’enquête réalisée fin septembre par le cabinet Deloitte. Le sondage de Fidal mentionne une fourchette allant de 80 à 700 euros, avec une majorité autour de 250 euros. Mais certaines entreprises se situent bien en deçà, la palme revenant sans doute à Securitas, qui, malgré l’intervention de Xavier Bertrand, n’offrira pas plus de 8 euros pour l’année et par salarié ! De telles propositions n’ont pu que provoquer la colère des syndicats et dégrader le climat social. C’est le cas chez Ipsos, où le personnel s’est senti tellement méprisé par l’offre de la direction - une enveloppe de 30 000 euros, soit 24 euros par salarié - qu’il est en grève depuis le 6 octobre.

Les montants dérisoires sont d’autant plus mal acceptés quand les dividendes versés aux actionnaires sont élevés. C’est le cas par exemple chez Danone, où les syndicats se sont vu refuser une prime de 800 euros, « qui pourtant représente moins de 1 % des dividendes versés aux actionnaires », s’insurge la CFE-CGC dans un communiqué, outrée par les 200 euros proposés par la direction. Échec des négociations également à STMicroelectronics, où la prime de 150 euros sera accordée par décision unilatérale de l’employeur.

Mieux chez Hitachi, où les syndicats ont négocié une augmentation de 17 % de l’intéressement, prime comprise. Quelques sociétés se montrent plus généreuses encore. Dans son enquête auprès de 128 entreprises, le cabinet Towers Watson en a même trouvé deux qui atteignent les 1 000 euros de prime, mais ces dernières n’ont pas souhaité se faire connaître.

Décisions arbitraires

Face à de telles disparités, une question se pose : comment la prime est-elle calculée ? Le cabinet Fidal constate que peu de ses clients se sont réellement fondés sur le montant des profits réalisés ou des dividendes versés aux actionnaires : « La plupart ont surtout cherché à savoir ce que donnaient les autres, et de combien ils pouvaient eux-mêmes disposer sans qu’il y ait d’impact sur le développement de leur entreprise », indique Nadia Hamida. Pas de lien réel donc entre la prime et un quelconque indicateur de performance. Les montants ont été décidés arbitrairement.

Le cas de Rhodia apparaît comme un contre-exemple, puisque c’est bien l’augmentation du montant de l’Ebitda* qui a servi de référence pour calculer l’enveloppe globale de la prime, avec le choix d’y consacrer 1,4 % de cette augmentation, soit 5,8 millions d’euros. Ce montant a été réparti entre les salariés des différents pays, au prorata de la masse salariale, ce qui correspond, en France, à 600 euros par salarié. « Il nous a semblé équitable de distribuer la prime à tous les salariés du groupe, dont les deux tiers sont à l’étranger et qui contribuent aussi à la performance de l’entreprise », explique Jean-Christophe Sciberras, DRH de Rhodia.

Montants différents entre filiales

À EADS, en revanche, puisque la maison mère est à l’étranger, seuls les salariés de trois filiales en France percevront la prime, dont le montant sera négocié par chaque filiale. « Il peut y avoir des différences de montants entre filiales liées à leurs résultats, mais cela peut créer un sentiment d’injustice chez les salariés », prévient Nadia Hamida. Une majorité d’entreprises ont choisi de verser la même somme à tous les salariés, en numéraire.

Néanmoins, quelques-unes font varier cette somme en fonction du salaire. C’est le cas de Cap Gemini, où les petits salaires percevront une prime plus élevée (150 euros) que les hauts salaires, qui toucheront 50 euros. Chez L’Oréal, la logique est inverse, ce sont les hauts salaires - plus de 65 000 euros par an - qui percevront la plus forte prime (765 euros), alors que les salariés gagnant 25 000 euros par an ne toucheront que 450 euros.

La loi autorise effectivement des modalités différentes de versement de la prime, notamment en fonction des salaires : « Mais attention, il ne sera pas évident de justifier une différence de montant par une raison objective », a prévenu Marie-Françoise Lemaître, maître des requêtes au Conseil d’État, lors d’une formation destinée aux avocats d’affaires. D’ici à ce que les employeurs se retrouvent avec des procès pour inégalité de traitement, le fiasco serait complet !

*Ebitda (terme anglais) : revenus avant intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations.

Un champ d’application mal défini

« Sommes-nous assujettis ou non à la prime sur les dividendes » ? Telle est la question récurrente entendue ces dernières semaines par les avocats d’affaires, qui ont eu parfois de grandes difficultés à y répondre. Car les critères, a priori simples, retenus par la loi - notamment être une société commerciale de plus de 50 salariés et avoir versé des dividendes en hausse par rapport aux deux années précédentes - soulèvent en fait de nombreuses questions, non prévues par le législateur : les filiales peuvent-elles être assujetties même si la maison mère ne l’est pas ? Si la tête de groupe est assujettie, les filiales le sont-elles automatiquement ? Même si elles ne versent pas de dividendes en hausse ou si elles comptent moins de 50 salariés ? Quelle règle s’applique quand l’entreprise est une filiale d’une société étrangère ? Qu’en est-il des unités économiques et sociales ? La notion de groupe se réfère-t-elle au droit du travail ou au droit des sociétés ? Etc.

Lors d’une matinée organisée le 7 octobre par la Lettre des juristes d’affaires, les participants ont pointé le manque de clarté des textes législatifs et leur inadaptation aux réalités complexes des entreprises. Et les réponses apportées par l’administration se sont révélées des plus confuses. Une chose rassure les avocats : les tribunaux resteront indulgents en cas de mauvaise interprétation.

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER