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« La qualité des carrières, un enjeu stratégique pour les entreprises »

Enjeux | publié le : 18.10.2011 | VIOLETTE QUEUNIET

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« La qualité des carrières, un enjeu stratégique pour les entreprises »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

La carrière n’est pas une notion périmée, puisque la majorité des salariés est stable dans les entreprises. Mais elles doivent leur offrir des parcours plus diversifiés. L’enjeu : concilier engagement et flexibilité.

E & C : À l’heure où l’horizon temporel des entreprises est de plus en plus limité, le concept de carrière a-t-il encore un sens ?

Jean Pralong : La notion de carrière est toujours d’actualité, même si elle a beaucoup évolué. Il y a encore trente ans, la définition d’une carrière traditionnelle, c’était une promesse d’emploi à long terme assortie d’une promesse de progression en responsabilité qui ne concernait qu’une petite partie de la population, les cadres principalement. Les crises économiques et leurs lots de licenciements ont remis en cause à la fois la promesse d’emploi stable et la promesse de carrière. Et dans les années 1990 s’est produit un tournant : il a été admis que ce n’était plus aux entreprises de gérer les carrières, puisque ce sont les individus qui iront d’entreprises en entreprises au gré de leur volonté, de leurs intérêts, de leurs compétences… et aussi des aléas économiques. L’idée prédominante était que chacun serait responsable de son parcours et que chacun aurait une carrière. Or, vingt ans après, cette prédiction ne s’est pas réellement réalisée.

E & C : L’individu autonome, mobile et responsable de sa carrière est-il un mythe ?

J. P. : On se rend compte que les gens sont en réalité peu mobiles. La mobilité décroît même partout, en France et en Europe comme aux États-Unis. Ceux qui bougent sont une minorité et on les retrouve aux deux extrêmes : d’un côté, des gens très exigeants, très employables, qui peuvent choisir leur entreprise ; de l’autre, ceux qui sont contraints à la mobilité parce qu’ils subissent l’emploi précaire et les licenciements. Entre les deux, la majorité est plutôt stable. Il est courant de voir des anciennetés de dix ou quinze ans dans une entreprise. On est donc face à un paradoxe : l’entreprise fidélise ses salariés mais tient souvent un discours sur l’impossibilité de proposer une carrière à long terme, à cause des incertitudes économiques. Elle a le regard fixé sur les talents mobiles à fidéliser, mais ne prend pas en compte la majorité.

E & C : Quel type de carrière proposer à ces salariés déjà fidélisés ?

J. P. : Les individus ont deux besoins fondamentaux et en apparence antinomiques : la stabilité et l’envie de se développer. L’entreprise, qui recherche la flexibilité et la mobilité, peut donc à l’intérieur d’un contrat pérenne offrir plus de mobilité et des parcours plus divers que la voie classique consistant à devenir manager. Les entreprises doivent proposer des carrières de même qualité pour les différents types de parcours. Cela correspond d’ailleurs à leurs besoins et à l’évolution des organisations. Il y a, par exemple, de plus en plus de gens dans des fonctions de pilote de projet. Ce n’est pas un métier de manager, mais un métier à forte responsabilité. Une réflexion est à mener sur la notion de qualité de carrière et sur la façon de la mesurer.

E & C : Comment se mesure la qualité d’une carrière ?

J. P. : Dans mes travaux sur les carrières, j’ai bâti un indicateur qui, à partir de différents critères, permet de définir et de mesurer ce que peut être la qualité d’une carrière. Exemples de critères, outre le niveau de rémunération : le fait d’avoir accès à la formation et à un emploi pérenne. D’autres critères peuvent s’ajouter, comme ceux de non-discrimination – une femme ne doit pas gagner moins qu’un homme pour une même fonction, une personne handicapée pas moins qu’un non-handicapé. Tous ces indicateurs forment une mesure permettant de qualifier une carrière et de comparer la qualité du parcours d’un manager à celle du parcours d’un expert ou d’une autre fonction. L’enjeu est stratégique pour les entreprises : si elles veulent obtenir de la flexibilité et de l’engagement, il faut qu’elles maintiennent ensemble une garantie d’emploi et, au sein de cette garantie, des parcours qui vont être très différents sans être inégaux ni hiérarchisables.

E & C : Une carrière relève aussi de choix individuels. Comment intégrer ces choix dans les propositions de parcours des entreprises ?

J. P. : La plupart des individus envisagent leur carrière en fonction des opportunités de leur entreprise. Leur regard se tourne donc avant tout vers l’interne. Opposer ce qui relève du choix de l’individu, de son libre arbitre, de son projet et ce qui relève de la structure, des contraintes de l’organisation n’a donc pas de sens. En revanche, les entreprises devraient davantage travailler l’individualisation des carrières, aller vers du sur-mesure. Elles pourraient s’inspirer, pour y parvenir, de la carrière des artistes. Pourquoi les artistes ? Parce que leur production repose sur la créativité et que les entreprises ont de moins en moins besoin de productions standardisées et de plus en plus d’innovation. Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, l’artiste n’est pas – tel le cadre hyper autonome et nomade qu’on imaginait il y a vingt ans – un solitaire passant d’un projet à un autre au gré de ses envies. Quand on observe sa carrière, on se rend compte au contraire que l’artiste cherche à fidéliser ses partenaires. Par exemple, un plasticien cherche à être en lien avec un même galeriste à long terme. Par ailleurs, la recette d’un artiste qui réussit, c’est d’être capable d’avoir un agent, quelqu’un dont le métier est de vendre ses compétences et d’organiser sa carrière pour lui. L’artiste se consacre à son travail et a délégué la gestion de son parcours à quelqu’un d’autre. On peut très bien concevoir la même fonction dans l’entreprise.

E & C : Imprésario de carrière, un nouveau métier au sein des DRH ?

J. P. : Cette fonction existe déjà dans certaines entreprises, où des RRH sont dédiés à une population. Ils sont amenés à négocier avec les managers et avec les divers départements de l’entreprise un nouvel emploi pour les collaborateurs. Cette fonction pourrait être davantage développée. Les entreprises passent beaucoup de temps à faire leur propre promotion auprès des salariés par le biais de la communication interne. Elles font rarement l’inverse, c’est-à-dire promouvoir les compétences d’un certain nombre de salariés en leur trouvant un poste approprié, créer une nouvelle fonction ou monter un nouveau projet pour eux. L’imprésario de carrière pourrait devenir un métier à part entière dans la fonction RH.

PARCOURS

• Jean Pralong enseigne la GRH à Rouen Business School, où il est titulaire de la chaire “nouvelles carrières” (financée par LVMH et Air France). Psychologue de formation et docteur en sciences de gestion, il a été responsable du département gestion des compétences chez RH Facilites, une filiale d’Adecco, puis responsable du développement des RH du groupe Vedior.

• Il est l’auteur de nombreux articles, parmi lesquels “Les projets n’engagent que ceux qui y croient ! Une étude longitudinale des projets, performances et compétences”, in Revue française de gestion (sous presse) et “Vygotski, la carrièrologie profane et le succès de carrière”, in Management et Avenir, n° 42 (mars 2011).

LECTURES

• Les Mondes de l’art, Howard Becker, Flammarion, 2006.

• Sensemaking in organizations, Karl Weick, Sage Publications, 1995.

• Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes, Seuil, 1977.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET