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Enquête

« Les forfaits-jours sont validés juridiquement mais pas sécurisés »

Enquête | publié le : 11.10.2011 | E. S.

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« Les forfaits-jours sont validés juridiquement mais pas sécurisés »

Crédit photo E. S.

E & C : Le régime des forfaits jours a été jugé licite par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 juin dernier. Ce mode de décompte horaire est-il pour autant définitivement consolidé juridiquement ?

R. B. H. : Non, les forfaits-jours ont été validés, mais ils ne sont pas pour autant sécurisés, notamment au regard du droit européen. Il convient de souligner que le Comité européen des droits sociaux a estimé que, nonobstant les garanties, un salarié au forfait-jours, n’étant pas soumis aux dispositions sur la durée du travail, pourrait théoriquement travailler 78 heures par semaine. Ce qui est déraisonnable.

Or, dans son arrêt du 29 juin, la Cour de cassation a fait sienne cette lecture en s’appuyant sur la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, qui fixe un maximum de 48 heures hebdomadaires. Les seules dérogations admises concernent les cadres dirigeants ou les personnes ayant un pouvoir de décision autonome. De ce fait, la validité du forfait-jours dépendrait de l’appréciation du juge quant au recoupement de la notion de la directive – « personne ayant un pouvoir de décision autonome » – avec celle de la loi française – « personne disposant d’une autonomie dans l’organisation de son emploi du temps ».

E & C : La question des catégories éligibles aux forfaits-jours pourrait donc générer de nouveaux contentieux ?

R. B. H. : Le système des forfaits-jours, décidé par les partenaires sociaux et légalisé en 2000, était circonscrit à une catégorie précise de salariés, dont il était vain de les inscrire dans un régime de temps de travail calculé en heures. Puis, au fur et à mesure, les entreprises ont fait comme si tous les cadres étaient autonomes. Enfin, le législateur a permis d’appliquer les forfaits-jours à des non-cadres. Cet élargissement des catégories éligibles fragilise juridiquement ces conventions. Déjà, en 2007, avec l’arrêt Blue Green, la Cour de cassation a jugé qu’un salarié de ce club de golf, qui jouissait d’une certaine liberté d’organisation mais seulement entre deux périodes de travail prédéterminées, ne pouvait être en forfait-jours. L’arrêt du 29 juin, qui rappelle l’impératif de protection de la santé des salariés, laisse à penser que la cour sera encore plus sévère sur ce point dès lors que les 48 heures de travail seront dépassées. Car un salarié qui n’est pas réellement autonome aura plus de difficultés à se ménager des plages de repos. Un salarié au forfait-jours doit, en principe, pouvoir dire stop.

E & C : Quel message a voulu faire passer la Cour de cassation en liant forfaits-jours et protection de la santé du salarié ?

R. B. H. : Sans doute que, même si théoriquement les salariés au forfait-jours sont acteurs de leur temps de travail, les entreprises doivent être conscientes qu’elles sont toujours responsables de l’organisation du travail, et ne peuvent s’en affranchir. Ce système pose la problématique majeure des limites au travail, dès lors qu’il n’est plus encadré par des horaires. Je pense que si l’on faisait un audit des situations de stress, de burn-out, on trouverait beaucoup de cadres au forfait-jours. De plus, il a créé deux familles distinctes de salariés : ceux qui partent à 18 heures, et les autres. Ce qui crée des rythmes différents, des collectivités de salariés différentes. En supprimant la notion d’horaires, le forfait-jours a affaibli le cadre du travail.

Auteur

  • E. S.