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« Les contrats aidés déstabilisent le salariat »

Enjeux | publié le : 11.10.2011 | Christelle Morel

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« Les contrats aidés déstabilisent le salariat »

Crédit photo Christelle Morel

Les politiques publiques utilisent les contrats aidés pour lutter contre le chômage et la crise de l’emploi public. Cette forme particulière d’emploi a largement participé au développement du secteur associatif. Mais les “bénéficiaires” de ces contrats, entre salariat et assistanat, sont en fait des sous-salariés, dont le statut contribue à dégrader le salariat dans son ensemble.

E & C : Selon vous, il existe des formes de travail, dont font partie les contrats aidés, qui maintiennent les personnes dans une sorte de sous-salariat. Qu’entendez-vous par là ?

Matthieu Hély : Le titulaire d’un contrat aidé a un statut ambivalent, car il est à la fois salarié et bénéficiaire d’une mesure d’insertion. Autrement dit, de par son statut, il n’est pas entièrement reconnu pour son travail. D’ailleurs, les contrats aidés ne cotisent pas comme les autres – tout ou partie des cotisations sont prises en charge par l’État ou les régions – et ils ne sont pas non plus pris en compte dans les calculs d’effectifs des entreprises et des associations utilisés pour la désignation des représentants du personnel dans le cadre des élections professionnelles. En permettant cela, la puissance publique dénie à ces personnes leur appartenance au monde du travail. Elles ne sont que des salariés par défaut, des demi-travailleurs.

Les conséquences d’un tel statut ne se limitent pas au symbolique, comme j’ai pu le constater dans mes enquêtes en milieu associatif. Ainsi, les titulaires de contrats aidés subissent souvent des formes de stigmatisation, notamment un certain paternalisme de la part des employeurs. Nombreux sont ceux qui le vivent mal et ne se sentent pas reconnus pour leur travail.

E & C : En quoi le secteur associatif renforce-t-il l’existence de ce sous-salariat ?

M. H. : Il règne encore aujourd’hui dans le monde associatif une idéologie de l’engagement, une injonction au travail gratuit, qui valorise le bénévolat. Beaucoup de salariés doivent travailler pendant les congés, les week-ends ou en soirée contre une rémunération forfaitaire, notamment dans la branche des animations socioculturelles, et ce, qu’ils soient consentants ou non. Il arrive souvent que les instances dirigeantes bénévoles imposent l’engagement – et non le salariat – comme la norme.

En fait, les associations ont encore du mal à se penser comme un monde du travail à part entière. D’ailleurs, personne ne considère que travailler dans le secteur privé non marchand corresponde à un travail productif. Le “vrai“ travail, c’est celui du secteur marchand. Pourtant, l’associatif fait désormais partie du monde du travail : les associations comptent 2 millions de salariés, un chiffre multiplié par trois en trente ans. D’ailleurs, les employeurs de l’économie sociale – dont font partie les associations – sont représentés dans les conseils de prud’hommes depuis 2002.

E & C : Si les contrats aidés ont des effets si négatifs, comment expliquez-vous qu’ils soient repris par tous les gouvernements depuis plus de vingt ans ?

M. H. : Il y a un consensus politique pour faire des contrats aidés une forme de traitement social du chômage : dès qu’il y a urgence, qu’il faut contrôler les chiffres du chômage, le nombre de contrats aidés augmente. En fait, c’est une manière indirecte pour l’État et les collectivités de subventionner le monde associatif, qui s’est du coup structuré en grande partie grâce à ces formes d’emploi : environ 10 % des salariés des associations sont sous contrat aidé. Ces contrats sont même devenus dans le monde associatif une forme de substitut à l’emploi public, qui a stagné ces dernières années et qui commence à diminuer. C’était particulièrement flagrant avec les emplois jeunes dans la police ou l’Éducation nationale. C’est d’autant plus terrible que ne pas être titulaire dans la fonction publique est probablement encore plus stigmatisant que ne pas être un salarié à part entière dans le secteur privé. Ainsi, le secteur associatif devient une alternative à la crise de l’emploi public.

Pourtant, les contrats aidés ne sont pas une réponse satisfaisante au problème du chômage. Des études montrent que certaines personnes vont de chantier d’insertion en chantier d’insertion sans jamais parvenir à un emploi stable. Pour elles, le contrat aidé est un contrat de dupes.

E & C : Vous pensez que le recours massif à ces contrats aidés dans le secteur non marchand déstabilise le salariat dans son ensemble. Pourquoi ?

M. H. : Parce qu’il dégrade la norme de référence de l’emploi et contribue à déstabiliser le contrat salarial. Ces entorses à la norme finissent par faire croire que le salariat classique, et les droits qui y sont liés, sont un luxe. Le salariat tel qu’il s’est construit depuis plus d’un siècle se caractérise par les cotisations et les droits sociaux qui y sont liés, comme le montre Bernard Friot* : le salarié est assuré et non pas assisté. Les contrats aidés remettent en cause cette définition en créant un statut entre assurance et assistance. De manière générale, la norme salariale est en train de se déliter sous l’effet de formes particulières d’emploi qui prennent de l’importance : CDD, intérim, contrats aidés…

Cette ambiguïté entre salarié et bénéficiaire s’étend d’ailleurs maintenant à d’autres statuts, comme le RSA Activité ou le service civique. Concernant ce dernier, il est vécu par certains étudiants issus de milieux aisés comme un “super-bénévolat”, ainsi que l’analyse la chercheuse Maud Simonet. L’indemnité perçue sert alors d’argent de poche et ce volontariat est vécu comme un engagement citoyen. Mais pour d’autres jeunes, orientés dans cette voie par les services sociaux, le service civique est vécu comme un contrat aidé, sauf que l’indemnité – de 400 à 600 euros – ne leur suffit pas pour vivre !

Ainsi, en voulant préserver l’emploi à tout prix, on ne reconnaît plus le travail effectué et on dégrade le salariat en général. Il y a donc urgence : un nouveau rapport au travail est en train de se créer avec, d’un côté, l’augmentation de la part du travail non marchand et, de l’autre, la progression des formes particulières d’emploi. C’est pourquoi il faut réfléchir au statut qu’on veut donner au travail non marchand, que l’on ne peut plus ignorer. Un tel débat concerne le monde du travail dans son ensemble.

* Bernard Friot est sociologue, membre fondateur de l’IES (Institut européen du salariat).

PARCOURS

• Matthieu Hély est sociologue, maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense et chercheur à l’IDHE (Institutions et dynamiques historiques de l’économie)-CNRS.

• Ses travaux portent sur le travail associatif et l’action publique. Sa thèse (2005), avait pour titre : “Le travailleur associatif. Un salarié de droit privé au service de l’action publique”. Ses grandes lignes ont été reprises dans l’ouvrage Les Métamorphoses du monde associatif (PUF, 2009).

• Il est notamment coauteur, avec Maud Simonet, d’un article à paraître en octobre dans L’Année sociale 2011 (Ed. Syllepse): “Le monde associatif en conflits : des relations professionnelles sans relation ?”.

LECTURES

• Le Travail bénévole. Engagement citoyen ou travail gratuit ?, Maud Simonet, La Dispute, 2010.

• Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Robert Castel, Gallimard, 1999.

• Puissances du salariat. Emploi et protection sociale à la française, Bernard Friot, La Dispute, 1998.

Auteur

  • Christelle Morel