Le CV anonyme permet-il de réduire les discriminations à l’embauche liées à la couleur de la peau, à la situation familiale, au sexe ou à l’âge ? La question n’est pas débattue qu’en France. S’inspirant d’une pratique déjà bien éprouvée aux États-Unis, en Belgique et en Grande-Bretagne, l’Allemagne a décidé à son tour de tenter l’expérience.

En novembre 2010, la Haute­autorité de lutte contre les discriminations a lancé un projet pilote outre-Rhin, auquel participent, sur la base du volontariat, quatre entreprises de renom (Deutsche Post, Deutsche Telekom, L’Oréal Deutschland et Procter & Gamble), une PME (le fournisseur de cadeaux Mydays) et trois administrations publiques (le ministère fédéral de la Famille, la ville de Celle et l’Agence pour l’emploi de Rhénanie-du-Nord-Westphalie).

Durant un an, ces organisations se sont engagées à recourir à des CV ne comportant ni photo, ni données personnelles (nom, sexe, nationalité, lieu et date de naissance, situation familiale, handicap). Cette anonymisation ne concerne que la première phase de l’embauche. Dès qu’un DRH a décidé de convier un postulant à un entretien de recrutement, il reçoit son dossier complet.

Les entreprises ont à leur disposition plusieurs méthodes. Elles peuvent par exemple mettre sur leur site Internet un formulaire d’embauche déjà anonymisé à télécharger par le postulant ou anonymiser les dossiers des candidats à l’aide d’un feutre noir après réception. « Ce projet a pour premier objectif de vérifier si ce type de candidature est utilisable dans un pays marqué par une culture d’embauche très particulière », explique le porte-parole de la Haute autorité. Les employeurs ont en effet pour usage de demander d’amples informations personnelles à leurs recrues potentielles : nom et profession des parents, loisirs, etc.

Le projet vise également à évaluer l’impact des CV anonymes sur les discriminations à l’embauche. Car, en dépit de la loi sur l’égalité des chances entrée en vigueur outre-Rhin en août 2006, les discriminations, pratiquées d’une manière consciente ou inconsciente par les entreprises, demeurent un fait avéré. Selon l’Institut sur l’avenir du travail IZA, un candidat au nom d’origine turque a ainsi 25 % de chances en moins qu’un Allemand de souche d’être retenu pour un entretien d’embauche.

Les résultats définitifs ne seront présentés qu’à l’issue du projet, au printemps 2012. Mais le 16 juin dernier, Christine Lüders, présidente de la Haute autorité, a dressé un premier bilan positif de l’expérimentation. En six mois, 4 000 CV anonymes ont été traités et 111 personnes embauchées. « Ces résultats montrent bien que les CV anonymes sont possibles. Les craintes des entreprises, qui redoutaient une surcharge de travail, se sont révélées infondées. Bien au contraire, le nouveau procédé a été perçu comme non problématique par les directeurs du personnel et par les candidats », souligne la présidente. Selon elle, les DRH interrogés ont déclaré que l’absence de photos, en particulier, permettait de mieux se concentrer sur les compétences professionnelles des candidats. Même satisfaction côté postulants : 45,3 % d’entre eux ont assuré qu’ils préféraient ce procédé ; 35,8 % ont dit regretter l’ancien système.

Le gouvernement doit-il rendre ce modèle obligatoire par une loi ? Non, répond la Haute autorité : « Nous voulons que les entreprises aient le choix de recourir ou non au CV anonyme. Nous souhaitons convaincre les entreprises par notre projet des avantages de ce système », précise le porte-parole. L’agence antidiscrimination a déjà gagné un adepte. La ville de Celle, qui participe au projet, a déclaré qu’elle ne proposerait à l’avenir que des CV anonymes.