L’ineptie de Jacques Séguéla répondant en 2009 qu’on a « raté sa vie si on n’a pas de Rolex à 50 ans » à un journaliste de télévision qui critiquait le côté “bling bling” du président de la République est révélatrice de l’époque. Outre le scandale que représente une telle affirmation pour les petites gens qui triment pour à peine de quoi survivre, le fait que celui qui, par son statut présidentiel, est censé élever la politique au-delà de la réussite matérielle personnelle fasse étalage de celle-ci montre que plus rien n’existe dans notre République au-dessus ou même à côté du désir de s’enrichir.

Yann Dall’Aglio, professeur de philosophie en région parisienne, se saisit de cet incident pour se demander si le propre de l’homme est d’être un animal bling bling. Tout se passe dans notre société comme si la qualité d’âme des individus se mesurait à l’aune de ce qu’ils possèdent. L’être semble s’engloutir chaque jour un peu plus sous l’avoir. Les intérêts économiques d’un État, et surtout de ses nantis, semblent devenus les moyens coercitifs du succès.

Avec la logique méritocratique dans laquelle nous baignons, il devient pour ainsi dire obligatoire de réussir sa vie matériellement pour être reconnu. Que cette logique soit celle de l’entreprise, passe encore, puisque la loi du marché est celle du toujours plus. Le problème apparaît quand le plus haut représentant de l’État prétend imposer aux autres l’idée que réussir matériellement sa vie est l’unique voie du salut.

Contestant ce diktat méritocratique, Yann Dall’Aglio se fait l’apôtre du droit – au lieu d’une trajectoire linéaire cumulative – à une “vie de traviole”, la seule qui fasse vraiment sa place à la gratuité d’être et donc peut-être aussi au désir.

Une Rolex à 50 ans

Yann Dall’Aglio, Flammarion, 130 pages, 8 euros.