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DÉMATÉRIALISATION Le bulletin de paye électronique prend ses marques

Pratiques | publié le : 06.09.2011 | JOSÉ GARCIA LOPEZ

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DÉMATÉRIALISATION Le bulletin de paye électronique prend ses marques

Crédit photo JOSÉ GARCIA LOPEZ

Ni un flop ni un top, le bulletin de paye dématérialisé se démocratise à petits pas dans les entreprises. Mais, pour convaincre les salariés des bénéfices de l’archivage électronique, les DRH doivent communiquer et rassurer.

Un vent se lève sur les bulletins de paye. Jean-François Lansard, directeur de mission au cabinet d’étude CXP, observe depuis cette année « un net regain d’intérêt » pour le support électronique. Quelles raisons poussent de plus en plus d’employeurs pionniers à proposer, à leurs frais, un espace sécurisé de conservation des documents dématérialisés pendant l’intégralité de la carrière de leurs salariés et même au-delà ? Autorisée par la loi du 12 mai 2009, la dématérialisation du bulletin de paye répond d’abord à des visées économiques (lire l’encadré ci-contre) et organisationnelles. Selon une étude de Markess International en février 2011, 72 % des décideurs jugent que l’accès permanent aux documents RH archivés électroniquement constitue le principal bénéfice de la dématérialisation. Synonyme de gain de temps, d’amélioration de la gestion documentaire et de contrôle des processus RH, elle soulage les équipes de paye de tâches chronophages : éditique, distribution, envoi…

Un geste écoresponsable

En tête de liste des motivations des DRH prêts à franchir le pas du numérique figure aussi, bien sûr, l’argument écologique. Pour Axens, fabricant de catalyseurs, le bulletin électronique est une « idée simple à mettre en œuvre quand on souhaite mener une action concrète de développement durable », indique Christine Crestois, responsable du service paye. Á chaque adhésion d’un collaborateur, un arbre est planté. Voilà pour le symbole. La mise en place des bulletins de paye électroniques et de coffres-forts électroniques pour les salariés tient beaucoup à des questions d’image pour les DRH. « Il faut être clair, c’est avant tout un outil de communication interne et de marketing RH », énonce Érik Sabatier, directeur général de Novapost, acteur du bulletin de paye numérique. Premier exemple : le groupe d’intérim Randstad, qui permet à ses intérimaires de stocker leurs bulletins de paye numériques ainsi que d’autres documents dans un coffre-fort électronique jusqu’à leurs 70 ans. Aux yeux d’Alexandre Casini, chef de projet, cette offre représente « l’opportunité de proposer de nouveaux services innovants et différenciateurs ».

Les moins de 30 ans plus réservés

Canal + a la même problématique : Diane Egloff, responsable du SIRH, voit dans la solution informatisée un moyen pour la DRH d’apparaître « moderne et audacieuse ». Et les utilisateurs accueillent chaleureusement l’initiative : plus de 90 % d’entre eux se déclarent satisfaits du service. La plupart (64 %) sont poussés par le caractère écoresponsable du geste. Viennent ensuite des motivations liées à la meilleure accessibilité des bulletins et les gains de temps permis par le système. Nicolas Dumont, salarié du département cinéma, explique qu’il a choisi le bulletin virtuel en raison du « caractère pratique de l’archivage informatique ». Attaché au papier, il continue néanmoins d’imprimer ses fiches de paye. « Un réflexe rassurant, commente-t-il. Même si j’ai le sentiment que mes données sont sécurisées. » À l’inverse de la plupart des moins de 30 ans dans son entreprise. Diane Egloff a en effet été surprise de relever que la population jeune est la plus réservée vis-à-vis du bulletin numérique, tandis que les plus de 50 ans adhèrent un peu plus que la moyenne à l’offre.

Les ralliements au service ne correspondent pas aux clichés sur l’âge. Julie Garnier, DRH de KLB, société de conseil en achats, en a elle aussi fait l’expérience. Soumise au vote du personnel, la proposition de dématérialiser les fiches de paye a été rejetée par plus de 50 % de ses 170 salariés (lire Entreprise & carrières n° 1018). « Nous espérions que le bulletin virtuel répondrait aux habitudes et aux attentes de notre personnel plutôt jeune – 29 ans en moyenne – et technophile », se souvient-elle.

Résistance culturelle

L’étude menée par OpinionWay en mars 2010 met en lumière une résistance culturelle de la part des salariés : seuls 48 % d’entre eux se disent prêts à accepter de recevoir leur bulletin sous forme électronique. Dans le même temps, 79 % des DRH recommanderaient la dématérialisation. André Demollière, responsable marketing chez le spécialiste de la paye ADP, souligne le décalage entre les attentes des collaborateurs et celles des décideurs : « Les salariés s’interrogent principalement sur la lisibilité du bulletin électronique dans quelques décennies. Les DRH se demandent, eux, si les collaborateurs vont les suivre. »

Dans les entreprises converties au format numérique, les résultats sont variables. À Canal +, moins de la moitié des salariés ont choisi le bulletin dématérialisé, dix-huit mois après l’ouverture du service. « Nous sommes satisfaits du taux de dématérialisation atteint, même si nous nous attendions à avoir déjà atteint l’objectif de la moitié des salariés inscrits », commente la responsable du SIRH. Axens a vu progresser le taux d’adhésion de ses 796 salariés, de 42 % d’utilisateurs en mars dernier à 54 % aujourd’hui.

Quant à la DRH de KLB, malgré le premier refus des employés, elle souhaite réenclencher la mécanique d’ici à la fin de l’année et vise une adhésion de 75 % du personnel. « On n’atteindra jamais 100 % de bulletins dématérialisés », note Jean-François Lansard, pour qui la nécessité de conserver deux flux de documents, papier et électronique, constitue l’un des principaux freins au développement du support numérique.

Convaincre les salariés

Puisque la loi oblige à obtenir l’accord du salarié, il s’agit de le convaincre des avantages de la solution virtuelle. « La communication interne est la clé de voûte d’un projet réussi », affirme Érik Sabatier. À Canal +, 50 % des 200 non-inscrits ayant répondu au questionnaire ne sont pas persuadés de l’utilité du service, et 35 % craignent pour la sécurité des informations. Mais, « à chaque campagne de relance, plus d’une quarantaine de salariés s’inscrivent », avance Diane Egloff. Laquelle envisage de faire preuve de plus de pédagogie autour de ces deux axes afin de booster les adhésions.

À KLB, Julie Garnier veut « mieux anticiper la défiance vis-à-vis de la sécurité ». De son côté, André Demollière conseille de communiquer régulièrement pendant six mois après le lancement du projet, en faisant témoigner les utilisateurs et en affichant la progression du taux d’inscription. Pour réussir son prochain lancement du bulletin électronique dans son entreprise, Thierry Billion, DRH de CMA CGM, souhaite mettre en avant les bénéfices des coffres-forts électroniques, où peuvent aussi s’archiver divers documents administratifs ou personnels – factures, titres de propriété… – que l’on peut partager avec des tiers (banques, administration, etc.). Il souhaite associer d’autres services au bulletin électronique : « Nous travaillons sur un bilan social individualisé dématérialisé. »

Une tendance de fond

Pour Jean-François Lansard, la dématérialisation du bulletin de paye évoque « l’arbre qui cache la forêt. Elle propulse d’autres informatisations, celle des dossiers RH et des processus RH ». L’explosion du marché du bulletin numérique ne serait donc plus qu’une question de temps. Selon Érik Sabatier, « la dématérialisation est une tendance de fond. Les grands groupes lancent tous des projets dans ce domaine ». Xavier Lainé, Pdg de l’éditeur de logiciel Primobox, prévoit, lui, une forte accélération dans les années à venir : « Sur les 15 millions de bulletins édités tous les mois en France, entre 3 et 4 millions devraient être dématérialisés d’ici deux à trois ans. »

Plus prudent, André Demollière juge quant à lui qu’à ce jour, peu d’entreprises dématérialisent les bulletins de paye. « Le taux de projet des clients oscille entre 6 % et 8 % mais augmente avec la taille des entreprises, pour atteindre 27 % dans les grandes. Le marché se structure, comme c’est le cas pour tout nouvel usage », explique-t-il. Le bulletin de paye opère sa révolution numérique, oui, mais en douceur.

L’ESSENTIEL

1 Depuis plus de deux ans, les entreprises peuvent proposer à leurs salariés la dématérialisation de leurs bulletins de paye.

2 Les avantages pour les RH ? Un gain de temps certain, un moyen de communiquer sur la modernité de ce service offert aux salariés et sur l’implication de l’entreprise dans le développement durable.

3 Contrairement aux idées reçues, le gain financier n’est pas forcément au rendez-vous.

Des économies virtuelles ou réelles ?

Selon les éditeurs et les acteurs du marché de la dématérialisation, d’importantes économies sont réalisables grâce au bulletin de paye électronique. Leurs estimations des retours sur investissement possibles oscillent ainsi entre 20 % et 50 %. Dans la réalité, les gains constatés peuvent être beaucoup moins impressionnants.

Dans son étude de février 2011, Markess International cite l’exemple d’une entreprise de distribution de 6 400 salariés, qui édite 77 000 bulletins de paye par an. La suppression des tâches de tri par les gestionnaires de la DRH chargés de la distribution équivaut à un gain de 3 780 euros.

Selon Jean-François Lansard, du CXP, l’obligation faite à l’employeur de conserver les bulletins papier pour les salariés rétifs à l’électronique limite les performances économiques. André Demollière, responsable marketing chez ADP, considère que « l’entreprise qui gère sa paye en interne peut entrevoir le début d’un retour sur investissement avec le bulletin électronique. Néanmoins, je ne connais pas de société qui compte 80 % d’utilisateurs de ce service ».

Au pire, la dématérialisation des fiches de paye se traduit par une opération blanche financièrement. C’est le cas à Canal + : « Le bulletin dématérialisé coûte le même prix que le bulletin papier car nous sous-traitions déjà l’impression », constate Diane Egloff, responsable SIRH. De son côté, Alexandre Casini, du groupe Randstad, signale que la configuration choisie – un archivage électronique offert aux intérimaires jusqu’à leurs 70 ans – a un coût. Résultat : « Nous ne gagnons pas grand-chose, mais nous ne payons pas plus cher pour le bulletin électronique. »

Auteur

  • JOSÉ GARCIA LOPEZ