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COMMENT RECRUTER SANS CLONER

Enquête | publié le : 06.09.2011 | ÉLODIE SARFATI

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COMMENT RECRUTER SANS CLONER

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Dans l’esprit de beaucoup de recruteurs, le bon candidat est d’abord celui qui est dans la norme stricte attendue en matière de parcours professionnel. Conséquence, une place minime laissée aux profils atypiques dans un océan de salariés issus du même moule. Quelques entreprises tentent de sortir des sentiers battus en adoptant d’autres méthodes de recrutement ou en puisant dans des viviers différents.

Une ancienne institutrice de maternelle devenue chef d’agence, une diplômée de l’école du Louvre désormais commerciale : ces deux exemples de recrutement, le premier dans le groupe de services à la personne O2, le second chez Danone, se singularisent par le profil atypique des personnes embauchées, qui n’auraient sans doute pas décroché ces postes dans des processus de recrutement traditionnels. Si les entreprises anglo-saxonnes embauchent assez naturellement des candidats venus d’horizons divers, la tendance au “clonage” dans le recrutement est encore largement ancrée dans les habitudes françaises. Or celle-ci ne porte pas seulement sur les critères liés à la personne elle-même (âge, origine, sexe, handicap), mais aussi sur les critères professionnels – diplôme, école de formation, parcours – que les recruteurs survalorisent dans leur analyse des candidatures. « Lorsqu’ils nous sollicitent, nos clients ne nous disent jamais qu’ils recherchent telle ou telle compétence, mais nous demandent de leur trouver un diplômé de telle école, ayant travaillé dans le même secteur d’activité que le leur, dans le même type d’entreprise que la leur. L’idéal, c’est le candidat qui vient de chez le concurrent ! », témoigne Cyril Capel, l’un des fondateurs du cabinet CCLD Recrutement, spécialisé dans le recrutement des commerciaux.

Pas de renouvellement des profils

Constat corroboré par une étude du cabinet Oasys publiée au printemps dernier, qui montrait que la moitié des consultants en recrutement interrogés reconnaissaient faire surtout du clonage, c’est-à-dire chercher des candidats ayant les mêmes caractéristiques que celui qui occupait précédemment le poste. Et une expérience professionnelle obtenue dans un secteur différent avait peu de chances de passer le barrage du client ! En écho, une enquête de l’Apec de juin 2011 consacrée aux priorités des DRH constate que « la tendance n’est pas au renouvellement des profils »: ceux recherchés par 73 % des DRH étant « plutôt identiques ou proches de ceux déjà présents ».

Pourquoi tant de frilosité ? « Beaucoup de recruteurs ne savent pas raisonner en termes de compétences et de potentiel, avance Alain Gavand, président de À compétence égale. Du coup, ils s’appuient essentiellement sur le CV, outil qui ne rend pas compte des capacités professionnelles, et répliquent les mêmes modèles. De plus, la crise a créé des incertitudes qui ont probablement renforcé cette forme de repli vers des valeurs considérées comme sûres. »? Pour Jean-Paul Roucau, directeur adjoint de l’Apec, cela révèle aussi une perte d’influence du DRH face aux exigences d’efficacité immédiate des opérationnels : « Enfermé dans une posture de subordination par rapport au client interne, il ne peut plus apporter sa plus-value de conseil et de valorisation des compétences. » Toutefois, prévient-il, « nous sommes dans une période de renversement du marché, des tensions commencent à se faire sentir. La difficulté à séduire les candidats, moins sensibles aux discours d’attractivité des entreprises, renforce encore la problématique du sourcing et va obliger à faire bouger le curseur des exigences. » D’autant que, ajoute Cyril Capel : « Recruter dans les mêmes viviers aboutit à une course sans fin à la rémunération, obligeant à faire des propositions salariales disproportionnées aux candidats pour une rentabilité pas forcément à la hauteur. Car un profil atypique sera plus impliqué dans une entreprise qui lui a fait confiance. »

Besoin de pluralité

Chez Danone, la question de l’élargissement du sourcing s’inscrit dans une réflexion stratégique sur la diversité : « Nous sommes persuadés que, dans les années à venir, la performance viendra de l’innovation, à tous les niveaux, explique Guita Moussazadeh, chargée du recrutement et du sourcing à Danone France. Nous devons donc avoir des salariés avec des origines, des formations, des modes de pensée différents. Ce besoin de pluralité, de même que la pénurie de ressources que nous aurons à gérer dans les années à venir, nous font tendre vers une plus grande ouverture des profils. »

Il y a donc de bonnes raisons pour qu’une entreprise cesse de se tourner vers des candidats sortant du même moule. Comment ? D’abord en puisant dans des viviers différents. Pour pourvoir ses postes de commerciaux, Danone a noué des partenariats avec des structures comme l’agence La Manu ou Phénix – forum de recrutement dédié aux diplômés en lettres, sciences humaines et sociales – pour s’ouvrir aux universitaires.

Ensuite en adoptant des méthodes de recrutement s’affranchissant du sacro-saint CV. Comme le recrutement par questionnaire des cadres, mis au point l’an dernier par l’Apec et déjà testé par une vingtaine d’entreprises, ou encore la méthode IOD (Intervention sur les offres et la demande), qui consiste à proposer aux PME d’embaucher des personnes éloignées de l’emploi, en basant le processus de recrutement sur l’analyse du travail demandé (lire p. 26).

Tests d’habiletés

La plus utilisée reste la méthode de recrutement par simulation (MRS) de Pôle emploi, basée sur des tests d’évaluation des habiletés requises ; 215 000 personnes ont été recrutées entre 2002 et 2010 par ce biais, pour une centaine de métiers : intervenant à domicile, téléconseiller, soudeur, vendeur spécialisé, préparateur de commandes… « La MRS évolue depuis deux ou trois ans vers des postes plus qualifiés », précise Thomas Capelier, consultant au cabinet Amnyos et coauteur d’une étude d’évaluation de la MRS publiée par Pôle emploi.

Ainsi, PSA Peugeot Citroën a expérimenté la MRS sur quelques sites il y a dix ans et l’a étendue progressivement à l’ensemble de ses recrutements d’opérateurs en production. « Nous sommes en train de travailler avec Pôle emploi pour l’adapter à des postes d’agents de maîtrise d’ici à la fin de l’année », précise Pierre-Henri Lachouque, responsable emploi mobilité du groupe.

Au départ poussé par des objectifs de non-discrimination, PSA Peugeot Citroën y a vu une opportunité pour « objectiver les compétences » et élargir le sourcing pour des postes difficiles à pourvoir. « En restreignant nos recherches aux personnes issues du seul secteur industriel, nous risquons d’appauvrir le vivier de candidats. L’enjeu est donc de repérer les aptitudes managériales, que l’on peut très bien retrouver chez un chef d’équipe de n’importe quel autre secteur. Même si une qualification minimale est nécessaire pour ces postes, et donc un minimum de filtrage que nous sommes en train de déterminer avec Pôle emploi, nous ne demanderons pas systématiquement des bac + 2 de la métallurgie. »

Quels sont les résultats de toutes ces méthodes alternatives ? Positif, côté sourcing. Ainsi, remarque Thomas Capelier, la MRS « entraîne une diversification des choix professionnels, puisque la moitié des candidats n’ont jamais eu d’expérience sur le métier pour lequel ils sont évalués. C’est donc un verrou important qui saute. » Environ la moitié des personnes évaluées positivement par la MRS sont ensuite recrutées, d’après les estimations de Pôle emploi. À l’Apec, Jean-Paul Roucau remarque que le volume des candidatures engendrées par un questionnaire est « deux à trois fois plus important que par une offre d’emploi ».

Pour autant, hormis la MRS, adaptée aux recrutements en nombres, pour le reste, les volumes d’embauches sont limités. En quatre ans, Phénix n’a permis l’embauche que de 126 “littéraires“. Chez Danone, le recrutement sans CV de commerciaux par la méthode de l’Apec « n’a pas rencontré beaucoup de succès, regrette Guita Moussazadeh, puisque, sur 200 candidats ayant répondu au questionnaire, nous n’en avons qualifié que 20 et finalement embauché 4, dont 2 issus d’une formation universitaire. Globalement, les réponses des candidats n’ont pas convaincu les recruteurs. »

Un retour sur investissement moindre qu’avec un processus de recrutement avec CV chez Danone, mais meilleur dans le groupe O2 qui a pourtant enregistré des résultats comparables (une douzaine de recrutements de chefs d’agence sur 600 réponses). Seul bémol, pour Jean-François Auclair, le DRH, « le temps passé à traiter les candidatures, environ 10 minutes par dossier ». Mais pour lui, l’expérience a surtout servi à « questionner nos pratiques de recrutement ».

Dans la foulée de l’expérience, le DRH a d’ailleurs organisé un séminaire interne sur le sujet. De son côté, Danone est en train de déployer une formation à destination des managers recruteurs, comportant un module sur la diversité, notamment des profils. Il s’agit d’apprendre « à objectiver son regard, comprendre les stéréotypes et s’attacher davantage aux compétences du candidat et à sa personnalité », précise Guita Moussazadeh.

Implication des opérationnels dans la définition du poste

Jean-Paul Roucau souligne d’ailleurs que l’utilisation de ces autres formes de recrutement contribue à faire évoluer le regard en interne sur ces profils sortant de l’ordinaire, notamment parce qu’elles impliquent les opérationnels dans la définition des compétences du poste. Pour autant, elles ne bouleversent pas les pratiques : ainsi, la MRS « s’ajoute, mais ne se substitue pas aux autres méthodes de recrutement auxquelles les employeurs ont besoin de se raccrocher, remarque Thierry Capelier. Bien souvent, elles réintroduisent la notion d’expérience et le CV comme support à l’entretien ». Pas de révolution, mais une brèche ouverte dans des habitudes bien rodées, et des opportunités pour des candidats qui apportent tout autant à l’entreprise.

La jeune commerciale de Danone recrutée via Phénix est aussi performante que ses collègues, constate Guita Moussazadeh : « De plus, nous avons pu miser sur ses capacités et son talent, puisqu’elle anime tous les mois un journal interne pour son équipe. »

L’ESSENTIEL

1 Les employeurs recourent très majoritairement à des profils normés en matière de formation et d’expérience professionnelle.

2 Quelques entreprises tentent de s’ouvrir à des profils différents, en adoptant des méthodes de recrutement sans CV ou en puisant dans des viviers atypiques.

3 Hormis la méthode de recrutement par simulation de Pôle emploi, les méthodes alternatives concernent de faibles volumes d’embauche.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI