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COMMENT TRAVAILLER MIEUX ?

Enquête | publié le : 30.08.2011 | VIOLETTE QUEUNIET

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COMMENT TRAVAILLER MIEUX ?

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

De plus en plus de salariés expriment le sentiment de mal faire leur travail. La frustration et la souffrance que cela induit les rendraient moins performants. Certains DRH ont choisi de réagir en leur donnant plus d’autonomie et en les impliquant dans l’organisation du travail.

Au fil des enquêtes et des sondages, une constante se dégage : les salariés aiment leur travail mais souhaiteraient l’accomplir dans de meilleures conditions. Le dernier baromètre Ipsos sur le moral des salariés(1) n’échappe pas à la règle : la très grande majorité d’entre eux se déclarent intéressés par leur travail mais le stress et la démotivation les gagnent (51 %). En cause : en priorité l’absence de perspectives professionnelles mais aussi, pour près de la moitié d’entre eux, une insatisfaction quant à l’organisation du travail au sein de leur équipe et à la répartition de la charge de travail. Par ailleurs, un tiers ne comprend pas les enjeux de son entreprise ou de son administration.

Savoir pourquoi on fait son travail et bien le faire, cette aspiration simple est souvent contrariée par la complexité des organisations. « On pourrait penser qu’au XXIe siècle, on est largement sorti du taylorisme et de la bureaucratisation, mais on se rend compte au contraire d’un retour extrêmement fort de la technocratie et du pouvoir des experts, qui conçoivent le travail loin de son lieu et de sa temporalité d’exercice. D’où l’impression que ce qui est de plus en plus attendu des individus, c’est la capacité à mettre en branle un système conçu en dehors d’eux », explique Mathieu Detchessahar, professeur de gestion à l’université de Nantes, qui a piloté une étude sur le lien entre santé et organisation du travail(2).

Manque d’autonomie et de marges de manœuvre

Les spécialistes de la santé au travail ont démontré depuis longtemps le lien entre une organisation du travail qui laisse peu de marges de manœuvre et le stress ou la souffrance. Un constat encore peu pris en compte dans les entreprises : 35 % seulement des accords sur la prévention des risques psychosociaux (RPS) signés en 2010 par les entreprises de plus de 1 000 salariés abordent le manque d’autonomie et de marges de manœuvre. Quant à la liste des facteurs de RPS, elle est, dans la plupart des accords, dressée indépendamment de l’activité de l’entreprise. « Les entreprises développent plus facilement les approches de prévention secondaire et tertiaire, organisant des cellules d’écoute, du coaching, mais elles ont plus de difficultés à s’intéresser à la question de la prévention primaire, c’est-à-dire : que faut-il bouger dans l’organisation de manière à mieux prendre en charge les enjeux de conditions de travail et à fabriquer des environnements de travail favorisant la santé mentale ? », confirme Pascale Levet, directrice technique et scientifique de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Il aura fallu la vague de suicides chez France Télécom pour que l’entreprise, suite à un travail mené avec l’Anact, signe, en juillet 2011, avec trois syndicats, la mise en place d’expérimentations destinées à améliorer les conditions de travail.

Concilier économique et social

Pourtant, indépendamment de l’approche par les RPS, certaines entreprises s’efforcent d’agir sur le travail, conscientes du lien entre son organisation et la performance économique. « J’ai la simplicité d’esprit de croire qu’en donnant de bonnes conditions de travail aux salariés, ils donneront le meilleur d’eux-mêmes », estime Philippe de Gibon, directeur général de Convers, un centre d’appels où les salariés disposent de marges de liberté inhabituelles dans ce secteur (lire p. 25). De fait, le pari de concilier économique et social fonctionne dans cette société qui affiche 13 bilans financiers successifs positifs.

Améliorer le travail et la performance, c’est aussi favoriser les remontées du terrain, libérer l’initiative des salariés. « Qui est mieux placé que le salarié pour résoudre le problème qu’il rencontre à son poste ? » demande Odile De Nantes, RRH de la société Lippi, dont l’organisation du travail est fondée sur l’amélioration continue (lire p. 26). La méthode, d’origine japonaise et largement répandue dans l’industrie, présente l’intérêt de rendre les salariés acteurs de leur travail. Elle permet aussi de « débattre du travail », dans des temps d’échanges entre l’équipe et le manager. Mais tout repose sur son mode d’application.

« Les procédures de qualité et de sécurité qui se sont développées ont été l’occasion de parler du travail le temps de la mise au point de ces procédures. Par la suite, elles ont fonctionné comme un effacement de tout problème », regrette Solange Lapeyrière, ergonome et psychologue du travail(3).

L’implication des salariés et les démarches participatives bien souvent mises en place au moment de la conception des outils ne doivent pas disparaître une fois qu’ils fonctionnent. « C’est au contraire à ce moment-là que vont se développer les dynamiques d’appropriation et d’usage. Il faut donc impérativement laisser vivants les espaces de discussion qui ont été ouverts lors de la phase d’innovation et organiser leur pilotage par les managers de proximité », soutient Mathieu Detchessahar.

Espaces de discussion

« Restaurer des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail », c’est aussi ce que recommandent Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, Muriel Pénicaud, DRH de Danone, et Christian Larose, vice-président du CESE, dans un rapport sur le bien-être au travail remis en 2010 au Premier ministre(4).

Ces espaces peuvent prendre la forme de « groupes de travail sur le métier » ou s’inspirer du « modèle des anciens cercles de qualité, afin de créer des lieux où développer un retour collectif sur le travail et la qualité du métier », indique le rapport. L’entreprise y a tout intérêt. « L’objectif n’est pas que chacun s’arc-boute sur sa conception du travail bien fait. Les moments d’échange sur le travail servent, au contraire, à fabriquer un jugement partagé sur ce qu’est un travail de qualité du point de vue collectif », indique Pascale Levet.

La Banque populaire Atlantique a choisi de créer ces espaces à l’attention de ses managers, sous la forme d’ateliers de codéveloppement, sans regard hiérarchique, avec un retour très positif des collaborateurs (lire p. 23). Plus modestement, car cela ne concerne que l’environnement et non l’organisation du travail, SGS France, entreprise de 2 500 salariés spécialisée dans la certification, a invité les managers à organiser des « causeries », au cours desquelles les collaborateurs peuvent dire ce qu’ils aimeraient changer : les cloisons de l’open space, la photocopieuse trop éloignée, le micro-ondes à remplacer. Dans un des établissements, le taux de satisfaction des salariés a grimpé de 15 % dans le baromètre interne grâce à de menus changements. « Même si les managers sont vite débordés par leur quotidien, je veille à ce qu’ils maintiennent ces espaces d’expression des salariés », indique Florence Charles, DRH de SGS France.

Manager le travail va-t-il devenir une compétence clé du DRH ? Pour Pascale Fotius, directrice de projets à Entreprise & Personnel, il est en tout cas urgent pour la fonction RH de s’intéresser à nouveau à l’organisation du travail, un champ qu’elle a déserté au profit d’un rôle de business partner (lire l’interview p. 27). « Il y a aujourd’hui des prises de conscience fortes, assure-t-elle, mais c’est encore un parcours du combattant. Au fond, le sujet du travail est ingrat et difficile, pas très marketing. Les responsables RH ne pourront en tout cas le faire qu’en coopération avec d’autres fonctions, mais ils peuvent constituer une vraie force pour aider les managers à repenser les modes d’organisation », indique-t-elle.

RRH de GGB France, Magali Eyraud a piloté en binôme avec le directeur de la production un changement d’organisation du travail important, impliquant la création d’une nouvelle ligne managériale (lire p. 24): « J’ai la conviction que la valeur ajoutée de la fonction RH se trouve dans l’analyse du business et des besoins du terrain. C’est là où elle peut faire la différence. »

Un nouveau sujet pour le dialogue social

D’autant plus que d’autres champs RH pourraient être revisités à l’aune de l’organisation du travail. Celui du dialogue social, par exemple. Car les DRH retrouvent aujourd’hui des partenaires sur ce sujet : les syndicats, qui, mobilisés sur la défense de l’emploi, avaient relégué au second plan les conditions de travail. À la CFDT, les rencontres avec les militants au moment de la crise financière ont provoqué un déclic. « Paradoxalement, ils nous parlaient de conditions de travail avant même de sauvegarde de l’emploi. Par ailleurs, toute la réflexion autour des RPS a éclairé les acteurs sur les causes organisationnelles du stress », indique Philippe Maussion, secrétaire confédéral chargé de la vie au travail.

L’organisation syndicale a donc lancé une campagne baptisée « Agir sur le travail », qui comprendra notamment la formation de 500 militants pour leur apporter les compétences et les connaissances nécessaires à une négociation sur les questions du travail. Des expérimentations vont aussi être lancées à partir de fin septembre dans des entreprises pour entamer un dialogue ou une négociation ayant comme entrée l’organisation du travail.

Travailler plus longtemps

L’allongement de la vie professionnelle devrait pousser aux négociations : comment travailler plus longtemps quand les conditions deviennent trop difficiles ? Le dernier sondage de l’Anact, mené à l’occasion de la 8e édition de la Semaine de la qualité de vie au travail, est, à cet égard, éclairant : 94 % des salariés satisfaits de leurs conditions de travail envisagent sereinement de travailler plus longtemps, contre 53 % pour ceux qui ne le sont pas. Alors, qu’attend-on pour travailler mieux ?

(1) Baromètre Ipsos-Logica Business Consulting, février 2011.

(2) Voir son interview dans Entreprise & Carrières n° 1041. Enquête SORG (santé, organisation et gestion des RH) financée par l’Agence nationale de la recherche.

(3) in Le travail, un défi pour la GRH, coordonné par Rachel Beaujolin-Bellet, Pierre Louart et Michel Parlier, Ed. de l’Anact, 2008.

(4) “Bien-être et efficacité au travail – 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail”, février 2010. Téléchargeable sur le site <www.ladocumentationfrancaise.fr>

L’ESSENTIEL

1 Les salariés aiment leur travail mais ne disposent pas toujours des moyens pour bien le faire. Ces freins ont un impact sur leur santé psychologique.

2 Agir sur les conditions et l’organisation du travail est un levier majeur pour accroître à la fois le bien-être des salariés et la performance de l’entreprise. L’amélioration des pratiques repose aussi sur la possibilité d’en débattre dans l’entreprise.

3 Les DRH ont devant eux un chantier important : réinvestir le champ du travail. Le nouvel intérêt des partenaires sociaux pour le sujet ainsi que l’allongement de la vie professionnelle devraient les y inciter.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET