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Prime de partage des profits : un cautère sur une jambe de bois

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 30.08.2011 |

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Prime de partage des profits : un cautère sur une jambe de bois

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Ainsi donc, au nom de « la justice sociale », ou de « l’amélioration du partage des profits entre le capital et le travail », la « prime exceptionnelle » pour les salariés des entreprises qui versent des dividendes en augmentation par rapport aux deux derniers exercices écoulés est entrée en vigueur malgré les nombreuses oppositions dont elle a fait l’objet.

En effet, les partenaires sociaux, si souvent en désaccord sur d’autres questions, se sont retrouvés pour condamner avec une belle unanimité ce dispositif destiné à instiller une nouvelle dose homéopathique de pouvoir d’achat dans le portefeuille des ménages français et à apporter un peu d’égalité de traitement entre les salariés et les actionnaires.

Les juristes que nous sommes regrettent l’instauration d’une mesure qui n’est ni pertinente ni cohérente avec la politique du législateur en matière de négociation collective sur les salaires, d’épargne salariale et d’épargne retraite, comme de prélèvements sociaux.

En définitive, avec cette nouvelle prime, le gouvernement veut-il favoriser le pouvoir d’achat immédiat ou encourager l’épargne à moyen et long termes ? En la reliant à l’augmentation du dividende versé aux actionnaires, on voit bien qu’il s’agit en réalité d’un élément supplémentaire à l’édifice pourtant bien fourni de l’épargne salariale que le législateur a modifié et retouché, peu ou prou, chaque année depuis le 19 février 2001, entre réformes de fond, déblocages exceptionnels et lois de circonstances.

Ces mécanismes, déjà complexes dans leur conception, s’avèrent de moins en mois lisibles, non seulement pour les entreprises mais aussi, ce qui est encore beaucoup plus problématique, pour les salariés bénéficiaires. Quiconque essaie de résumer, pour les rendre intelligibles, les multiples possibilités d’utilisation et d’arbitrage des différents éléments de l’épargne salariale se rend bien compte de l’extraordinaire complexité de l’édifice. Cette complexité croissante n’est pas seulement déroutante pour l’utilisateur, mais elle génère aussi beaucoup d’incompréhension, à laquelle s’ajoute l’inégalité devant le système du fait des effets de seuil que cette nouvelle touche ne manquera pas, en fait, et comme l’ont souligné à juste titre les syndicats, d’aggraver.

Le législateur laissera-t-il aux juges le soin de remédier à ces inégalités de traitement ?

Et comment expliquer que la nouvelle “prime” soit assortie d’exonération de charges sociales ? N’est-ce pas a priori assez singulier par rapport aux principes fondamentaux du droit de la sécurité sociale et à la volonté de réduire les “niches” ? Et comment ne pas y lire l’aveu d’une certaine incompatibilité entre une politique de prélèvements sociaux assis majoritairement sur les revenus du travail et l’amélioration du pouvoir d’achat ?

Assimiler la performance de l’employeur à l’augmentation du dividende versé à ses actionnaires est déjà critiquable en soi. En déduire qu’il faut verser une prime aux salariés l’est encore plus, eux qui bénéficient d’une rémunération mensuelle, contrepartie de leur travail, et qui peuvent aussi et souvent bénéficier d’autres outils pour percevoir des revenus complémentaires assis sur la mesure de la performance de l’employeur, tels que la participation, l’intéressement, la rémunération variable… Sans oublier que, de plus en plus souvent, ils sont aussi associés à l’augmentation du dividende par leur qualité d’actionnaires via les multiples outils juridiques proposés, malgré l’imposition de plus en plus forte des mécanismes pourtant fortement incitatifs des actions gratuites et autres stock-options…

En d’autres termes, nous demandons un “Grenelle” de la protection sociale, des salaires et de l’épargne salariale. Il faut repenser l’ensemble des mécanismes de participation, d’intéressement et d’actionnariat salarié qui se superposent et se contredisent, plutôt que de renchérir le coût du travail pour l’employeur qui n’avait pas prévu ce “surcoût” dans l’édification de son budget 2011. Ce faisant, on ne fait que dégrader le climat social en interne et poser, une fois de plus, un cautère sur une jambe de bois de plus en plus usée et fatiguée.

Étienne Pujol, Francois Vergne et Gérard Kesztenbaum, avocats, membres d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.