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Enquête

PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ : LE DÉCRET APPORTE DE LA SOUPLESSE

Enquête | publié le : 12.07.2011 | C. F.

La loi sur les retraites imposait aux entreprises de conclure un accord de prévention de la pénibilité au 1er janvier 2012 et le paiement d’une pénalité de 1 % pour celles qui ne seraient pas au rendez-vous. Le décret, qui devait être publié en ce début de semaine, se montre beaucoup plus souple sur les délais, les entreprises concernées et l’application de la pénalité.

En pratique, l’obligation de conclure un accord sur la prévention de la pénibilité va concerner moins d’entreprises que la loi du 9 novembre 2010 le laissait penser. Le lobbying du patronat a permis de poser une condition essentielle. Ne seront soumises à cette obligation que les entreprises ayant au moins 50 % des salariés exposés aux facteurs de risques de pénibilité : travail de nuit, équipes alternantes, travail répétitif, bruit, température extrême, poussière, postures pénibles, transport de charges lourdes, vibration mécanique, risque chimique, milieu hyperbare. Une grosse entreprise qui aura un pôle administratif et commercial important pourra être exclue du dispositif parce qu’elle n’atteindra pas forcément le seuil de 50 % de salariés exposés.

Autre condition pour être soumis à l’obligation : avoir plus de 50 salariés (sauf si on appartient à un groupe de plus de 50 salariés). De plus, les accords de branche pourront couvrir les entreprises ayant de 50 à 299 salariés. Seules celles de plus de 300 personnes devant conclure leur propre accord.

L’accord syndical n’est pas nécessaire

Par ailleurs, la pénalité de 1 % ne concerne que la masse des salariés exposés au risque et ne s’appliquera pas à une entreprise qui pourra justifier d’une défaillance financière, d’une restructuration ou d’une fusion en cours. Mais surtout, il n’y a pas d’obligation de conclure un accord avec les organisations syndicales : le chef d’entreprise pourra adopter unilatéralement un plan d’actions.

Choix de trois thèmes parmi les six proposés

Pour l’accord ou le plan d’actions, qui devra être déposé à la Direccte, les entreprises pourront choisir trois thèmes parmi les six proposés. Seul un de ces deux items est obligatoire : “réduction de l’exposition aux facteurs de pénibilité” ou “adaptation et aménagement des postes de travail”. Les autres rubriques sont l’amélioration des conditions de travail, notamment d’ordre organisationnel, le développement des compétences et des qualifications, l’accès à la formation, l’aménagement des fins de carrière, ainsi que le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle.

« Enfin, les accords – GEPC, seniors, conditions de travail – qui existent dans une entreprise au moment de la parution du décret et qui ont des contenus conformes pourront couvrir les entreprises sur la prévention de la pénibilité jusqu’à leur expiration », précise Hervé Lanouzière, conseiller technique à la Direction générale du travail. De plus, si l’inspection du travail constate un problème, elle accordera six mois à l’entreprise pour se mettre en conformité. En clair, le délai pour conclure est reporté jusqu’en juin 2012.

L’obligation de créer des fiches de suivi personnalisé des salariés exposés aux risques, initialement fixée au 1er janvier 2012, a été reportée d’un an. Le temps de réfléchir sereinement au contenu du décret. Ces fiches doivent consigner les conditions de pénibilité, la période d’exposition et les mesures de prévention prises par l’employeur. La DGT espère, pour éviter un empilement inutile de dispositifs, pouvoir englober avec ces nouvelles fiches les dispositifs de suivi déjà obligatoires, comme celui en vigueur dans la chimie, par exemple.

Depuis quelques années, les DRH ont pris l’habitude des textes réglementaires qui sortent juste avant la date butoir des négociations. Certains ont déjà commencé à travailler à partir du projet de décret. C’est par exemple le cas de Nestlé, Thales ou Vinci, où des groupes de travail ont été mis en place. Vinci a formé ses DRH sur la question. Certaines branches, comme la métallurgie, ont lancé le processus de négociation (lire ci-contre).

Pour Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH, le maintien de la date du 1er janvier 2012 « obligera les DRH à travailler encore une fois dans la précipitation. Toutes les entreprises n’ont pas la chance d’avoir de grosses équipes bien informées et capables de se mobiliser avant la sortie des textes ». Mais surtout, il considère qu’il sera très difficile de définir les conditions de la pénibilité et d’établir le seuil des salariés concernés. « Il y aura une part d’incertitude », commente-t-il. La mise en place de fiches de suivi individuel inquiète également beaucoup les DRH, car elle engage la responsabilité de l’entreprise. « Ces fiches devront être réalisées avec soin car, en cas de contentieux, elles seront examinées avec attention par la justice », rappelle le président de l’ANDRH.

Critiques sur les seuils

Les syndicats, encore plus sévères, s’estiment trahis. Outre la possibilité laissée aux chefs d’entreprise d’adopter des plans d’actions, ils critiquent les seuils de plus de 50 salariés et de plus de 50 % des travailleurs exposés, « qui vont exclure de la prévention 80 % à 90 % des salariés », commente Éric Aubin, de la CGT. La CFDT ajoute que le taux de 50 % de salariés exposés, fruit d’un compromis politique, n’est fondé sur aucun objectif de prévention : « Quitte à retenir un seuil, on aurait pu prendre celui d’au moins 30 % de salariés exposés, commente Henri Forest. C’est le seuil qui impose actuellement une surveillance médicale renforcée. »

Ce dernier déplore aussi qu’on ait laissé aux entreprises la possibilité de picorer des items au lieu de rechercher une démarche globale : « Aménager les postes de travail, adopter des dispositifs pour le travail pénible ne suffit pas si on n’envisage pas une évolution des parcours professionnels. » Pour Henri Forest, un vrai travail sur la prévention de la pénibilité est aussi dans l’intérêt des entreprises : « On voit bien que les branches qui n’ont pas assez œuvré sur ce dossier ont du mal à recruter des jeunes. C’est le cas du bâtiment, notamment. »

Un diagnostic partagé avec le CHSCT

Hervé Lanouzière admet qu’il faudra beaucoup de mauvaise volonté pour se retrouver à payer la pénalité. Il compte néanmoins sur les effets pédagogiques du décret : « Évaluer le nombre de salariés exposés nécessitera un diagnostic partagé avec le CHSCT. S’il est simple de considérer que le travail de nuit est pénible, évaluer à partir de quand la manutention manuelle, les vibrations mécaniques ou les postures pénibles deviennent un facteur de risque sera compliqué. » Ne pas faire sérieusement ce diagnostic ni consulter les syndicats, « c’est aller au-devant de problèmes, car les contrôles surviennent souvent lorsqu’il y a des conflits sociaux ».

Pièce essentielle pour la justice : la qualité d’un accord

Le risque juridique pourrait aussi convaincre les employeurs de s’investir. C’est en tout cas l’avis de Me Maryline Steenkiste, du cabinet Michel Ledoux & associés, qui considère que la non-consultation des syndicats peut affaiblir considérablement une entreprise en cas de contentieux : « Un salarié qui s’est vu reconnaître 10 % d’incapacité permanente partielle (IPP) peut attaquer son employeur pour faute inexcusable. Devant le juge, un plan d’actions rédigé à la va-vite risque de faire désordre. Il voudra vérifier que les objectifs affichés ont bien été traduits dans la réalité. » De même, en cas d’enquête sur un accident, la qualité d’un accord pénibilité constituera une pièce essentielle pour la justice.

Auteur

  • C. F.