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À NOUVELLES RÈGLES, NOUVELLES PRATIQUES ?

Enquête | publié le : 12.07.2011 | CAROLINE FORNIELES

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À NOUVELLES RÈGLES, NOUVELLES PRATIQUES ?

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

Les nouvelles règles en matière de retraite sont complexes et contraignent les entreprises à adapter leurs pratiques : mise en place d’outils donnant une meilleure visibilité sur les départs à la retraite ; dispositif de maintien dans l’emploi et de prévention de la pénibilité.

Vendredi 1er juillet, l’enterrement de la retraite à 60 ans s’est fait sans bruit. Et pourtant, dans les entreprises, directeurs de ressources humaines et personnel se sont quand même arraché quelques cheveux : « Les DRH ont constaté que les salariés étaient dans le flou sur leur situation du fait de délais importants de réponse de la Cnav, témoigne ainsi Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH. Il a fallu parfois attendre six à huit mois pour une réponse. Or se passer de l’examen personnalisé de son dossier est difficile, car chaque situation est particulière. »

Pour sortir du flou, les sociétés qui assurent des formations et des bilans retraites individualisés (BRI) ont été fortement sollicitées depuis un an (lire Entreprise & Carrières n° 1048). Françoise Kleinbauer, directrice générale de France Retraite (groupe Adding), confirme que la loi du 9 novembre 2010 est difficile à appréhender : « Elle modifie en effet tous les paramètres avec des rythmes différents : l’âge du départ qui passe de 60 à 62 ans, la durée de cotisation qui va être portée à 41 ans et 3 mois en 2013. Enfin, il faut aussi avoir en ligne de mire l’âge du taux plein, qui permet de partir sans décote, qui s’élève à partir de 2016. »

Une nouvelle relation se construit avec le DRH

Mais la complexité ne s’arrête pas là : la réforme de la retraite complémentaire Agirc-Arrco, issue de l’accord du 18 mars 2010, entrera en vigueur au 1er janvier 2012. Elle provoquera une moindre revalorisation des retraites des salariés ayant cotisé à l’Agirc, mais surtout une forte baisse de revenus pour ceux ayant plus de trois enfants, du fait du plafonnement à 1 000 euros par an de la majoration pour enfants.

Ce plafonnement de la majoration enfants est d’ailleurs la mesure la plus contestée de l’accord du 18 mars. Deux syndicats, l’Ugict-CGT et la CFE-CGC, s’apprêtent à engager des recours « pour rupture de l’égalité de traitement » devant le tribunal de grande instance (TGI) contre l’accord et ses avenants mais aussi devant le Conseil d’État contre le futur arrêté d’extension. Des décisions de justice qui seront longues à aboutir. Et, en attendant, l’accord s’appliquera.

Cette complexité amène le personnel à solliciter la DRH pour tenter d’optimiser son départ à la retraite. « Une nouvelle relation se construit. Assuré qu’on ne pourra pas l’obliger à partir avant 70 ans, le salarié parle plus facilement à son DRH des dates et des conditions de son départ”, assure Françoise Kleinbauer. Il peut même lui demander conseil sur les conditions financières de sa future retraite en évaluant par exemple les effets d’une surcote, s’il envisage de rester plus longtemps à son poste.

Une tendance que confirme Jean-Christophe Sciberras, qui constate que « les DRH sont désormais bien formés sur les questions de retraite et capables d’accompagner le salarié ». Reste que les conditions de la réforme de 2010 n’étaient pas totalement prévisibles. « Il y a par exemple eu un problème avec les salariés qui avaient racheté des trimestres pour partir à 60 ans et qui se retrouvent aujourd’hui obligés de rester jusqu’au nouvel âge légal. La question du remboursement se pose », commente-t-il.

Départs anticipés pour pénibilité

Une autre inconnue attend certains DRH : celle des départs anticipés à 60 ans au titre de la pénibilité. Il ne sera pas évident d’accompagner efficacement les volontaires. La Cnav fait état d’environ 400 demandes déposées, ce qui est peu par rapport à l’estimation initiale du gouvernement, qui tablait sur 30 000 salariés concernés, même si le dispositif monte forcément progressivement en charge. Les salariés n’ont pas été clairement informés des conditions financières. « Certes, aucune décote ne leur sera appliquée, mais le calcul final de la retraite est proratisé en fonction de la durée d’assurance », indique Philippe Caré, responsable accompagnement RH et formation chez Siaci Saint-Honoré. Un salarié né en 1952 disposant de 158 trimestres subira ainsi une perte de 150 euros par mois avec un salaire annuel moyen de 30 000 euros sur ses vingt-cinq dernières années. Et les entreprises qui vont reverser les montants des années accordées au titre de la pénibilité aux salariés à la branche AT-MP « n’auront pas forcément intérêt à les pousser vers un dispositif qui va peser sur leurs cotisations AT-MP », ajoute-t-il.

Les syndicats dénoncent pour leur part ce dispositif trop complexe. Henri Forest, de la CFDT, s’inquiète de la transmission des documents entre les caisses primaires d’assurance maladie et les caisses de retraite. « Le cheminement administratif est complexe, même pour ceux qui sont dans la situation la plus “favorable”, avec 20 % de taux d’incapacité permanente partielle. S’il a été victime d’un accident du travail, sa notification ne fait pas le lien entre sa lésion et la liste des maladies professionnelles. Il faudra passer par le médecin conseil, ce qui promet des délais. »

Embûches administratives

Les embûches s’annoncent encore plus nombreuses pour ceux dont le taux d’invalidité est compris entre 10 % et 20 %. « Il sera difficile de rassembler tous les éléments démontrant à la commission régionale que leur invalidité est liée à une situation de travail. On imagine bien que les documents vont manquer pour établir les dix-sept ans d’exposition », souligne Henri Forest.

Pour Éric Aubin (CGT) « pouvoir présenter des fiches de postes précises à la commission relèvera de l’exploit, vu la rareté de cette pratique dans les entreprises ». « Par ailleurs, les témoignages de tiers ne seraient pas reconnus », rappelle Me Maryline Steenkiste du cabinet Michel Ledoux & associés.

Autre problème : la commission est souveraine et aucun recours amiable n’est possible. En cas de contestation, pas de commission d’appel, il faudra passer par les tribunaux des affaires de sécurité sociale (Tass). Me Steenkiste s’attend aussi à une hausse des contentieux pour les taux d’invalidité proches de 20 % ou 10 %. Les médecins conseils devraient en tenir compte dans leurs évaluations, en évitant désormais d’attribuer des taux légèrement en dessous de 20 % ou de 10 %. « Il est dommage qu’on ait créé un parcours du combattant pour un dispositif qui va concerner peu de salariés : la masse des salariés ayant une invalidité sont en dessous de 10 % », s’énerve Henri Forest.

Mais le souci majeur du report de l’âge de la retraite et de l’allongement de la durée de cotisation est qu’ils surviennent alors que les entreprises ne savent toujours pas comment maintenir en emploi leurs salariés âgés. Certains accords prévoient toujours des départs plus ou moins anticipés au nom de la pénibilité, comme chez Renault, Arkema, Rhodia ou plus récemment Electrolux. D’autres aménagent des temps partiels financés ou prévoient le rachat des trimestres comme chez Thales ou Safran. Et les plans sociaux s’accompagnent souvent de mesures d’âge. L’Insee estime que 60 % des 55-64 ans ne sont plus dans l’emploi. Et le phénomène s’accentue. Le dernier bilan du gouvernement du 26 juin faisait état d’une hausse de 1,3 % du chômage des plus de 50 ans en mai, et depuis le début de l’année leur nombre a progressé de 14,1 %.

La suppression de l’allocation équivalent retraite (AER) annoncée par le ministre du Travail, semble une solution bien fragile pour régler cette vaste question. L’aménagement des fins de carrière ou la retraite progressive, qui apparaissent comme des voies possibles pour maintenir plus longtemps les salariés âgés dans l’entreprise, peinent encore à séduire. Ces solutions butent en effet sur des problèmes de pouvoir d’achat. « Les salariés n’acceptent pas de baisses de salaire, remarque Jean-Christophe Sciberras. Ils doivent de plus en plus souvent aider financièrement leurs enfants et ont parfois la charge de leurs parents âgés. »

Ruptures conventionnelles

« Un virage à 180 degrés est impossible pour les entreprises. Et les salariés n’ont pas plus envie que les employeurs de cette prolongation, comme le démontre le nombre élevé de ruptures conventionnelles qui les concernent », commente l’avocat Sylvain Niel, président du Cercle des DRH. Une étude de la Dares du 17 juin montrait que la part des ruptures conventionnelles parmi les fins de contrat est plus forte chez les seniors. Au second semestre 2010, elle n’est que de 8 % pour les moins de 30 ans, tandis qu’elle atteint 16 % pour les 55 ans et plus, et 23 % pour les seniors de 58 ou 59 ans.

Cette tendance des salariés à vouloir partir a été confirmée par une étude de l’Anact publiée fin mai : une large majorité d’entre eux estimant que leur travail actuel ne favorisera ni leurs compétences ni leur implication à long terme. À l’inverse, les salariés estimaient que la formation professionnelle, une meilleure gestion des générations s’appuyant sur l’expérience des seniors et la prévention de la pénibilité étaient la clé pour réussir. Un avis que partage le sociologue Serge Guérin, qui invite « les entreprises à prévenir la pénibilité, à améliorer la formation et à valoriser l’expérience des seniors pour permettre à ces personnes de travailler dans de bonnes conditions plus longtemps ». Henri Forest rappelle qu’il y a urgence, « car, du fait de la pyramide des âges, les 45-50 ans seront bientôt majoritaires dans les entreprises ».

L’ESSENTIEL

1 La réforme des retraites de 2010 est complexe, parce qu’elle modifie tous les paramètres. Cela incite les salariés à solliciter les DRH pour optimiser les conditions de leur départ.

2 Les DRH affrontent l’allongement des carrières alors que peu de solutions efficaces émergent pour maintenir les seniors dans l’emploi. La prévention de la pénibilité doit être renforcée.

3 L’obligation de conclure un accord sur la prévention de la pénibilité concernera un nombre limité d’entreprises. Mais il sera dans l’intérêt de toutes d’y travailler.

LES NOUVELLES RÈGLES

→ Recul de l’âge de départ à la retraite

Les salariés nés entre le 1er juillet et le 31 décembre 1951 ont dû reporter leur pot de départ de quatre mois. La génération 1952 rempile pour huit mois et celle de 1953 pour une année. Et ainsi de suite, de quatre mois en quatre mois, jusqu’à la génération 56 qui liquidera à 62 ans en 2018. Dans les régimes spéciaux, cet âge augmentera de la même façon à compter du 1er juillet 2017.

→ Augmentation de la durée de cotisation

Cette année, la génération née en 1951 pourra partir sans décote avec 40 ans et neuf mois (163 trimestres). En 2012, la génération 1952 aura besoin de 41 ans (164 trimestres). Puis, ce sera 41 ans et trois mois (165 trimestres) pour les personnes nées en 1953 et 1954. Pour les générations suivantes, la durée sera fixée avant la fin de l’année de leur 56e anniversaire (exemple : pour les personnes nées en 1955, la durée d’assurance sera connue avant fin 2011) mais le ministre du Travail vient d’annoncer le passage à 41 ans et six mois (166 trimestres) pour la génération née en 1955.

→ Recul de l’âge du taux plein

Cela concerne les salariés nés après le 1er juillet 1951 qui n’auraient pas le nombre de trimestres suffisant. Ils partiraient alors en 2016 à 65 ans et quatre mois. L’âge du taux plein est en effet décalé de quatre mois jusqu’à atteindre 67 ans pour ceux nés après le 1er janvier 1956. Quatre catégories de salariés conservent néanmoins le droit de partir sans décote à 65 ans : les assurés handicapés et les parents d’enfants handicapés, les aidants familiaux ou les parents de trois enfants, nés entre 1951 et 1955 et qui ont interrompu leur activité professionnelle.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES