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Mise à disposition de personnel intragroupe : quelles nouvelles règles ?

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 12.07.2011 |

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Mise à disposition de personnel intragroupe : quelles nouvelles règles ?

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Les mises à disposition de salariés entre sociétés d’un même groupe sont très fréquentes et les employeurs ne sont pas toujours conscients des risques qu’ils prennent, sachant qu’un prêt de main-d’œuvre illicite, comme le “marchandage”, est un délit pénal. Dans un arrêt récent (Cass. soc. 18 mai 2011, n° 09-69175), la Cour de cassation avait mis un frein important à la pratique de la mise à disposition “intragroupe”.

Si la mise à disposition de personnel est licite dans le cadre de la prestation de services, où l’entreprise "prêteuse" apporte une valeur ajoutée indépendante du prêt de salariés, l’article L. 8241-1 du Code du travail prohibe « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre », cette interdiction étant pénalement sanctionnée (le représentant légal : deux ans de prison et 30 000 euros d’amende au plus ; la personne morale : amende de 150 000 euros et peines accessoires).

C’est le caractère lucratif de l’opération de prêt de main-d’œuvre qui caractérise une situation illicite. Lorsque la facturation de la prestation de fourniture de main-d’œuvre par l’entreprise prêteuse à l’entreprise utilisatrice excède le coût du salaire et des charges sociales du salarié mis à disposition, l’opération est jugée à but lucratif et donc illicite.

Le prêt de main-d’œuvre “à titre gratuit”, c’est-à-dire dans lequel l’employeur se contente de se faire rembourser par l’entreprise utilisatrice uniquement les salaires et les charges du salarié mis à disposition (à l’exclusion de toute participation aux frais de gestion), n’emportant aucun profit pour l’entreprise “prêteuse” ou pour l’entreprise utilisatrice, a de longue date été autorisé. Cependant, dans son arrêt du 18 mai, la Cour considère qu’une opération est à but lucratif et donc illicite lorsqu’elle permet à l’entreprise utilisatrice de ne supporter aucun frais de gestion de personnel ; il suffit donc que l’une des sociétés fasse une économie quelconque, accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel, économie de charges, etc. Une interprétation semblable avait déjà été retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui avait relevé une situation de prêt de main-d’œuvre illicite pour une société utilisatrice ayant bénéficié d’une meilleure flexibilité dans la gestion de son personnel et ayant fait l’économie des charges induites par l’embauche de salariés supplémentaires. Cette décision semblait donc signifier la fin du prêt de main-d’œuvre à titre gratuit intragroupe. Une fois n’est pas coutume, le législateur a immédiatement réagi face aux difficultés qu’une telle décision allait entraîner.

Une proposition de loi, discutée devant la commission mixte paritaire le 4 juillet et devant le Sénat le 13 juillet, prévoit de compléter l’article L. 8241-1 du Code du travail, en précisant qu’« une opération de prêt de main-d’œuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ». L’adoption d’une telle disposition, qui vient contrecarrer l’arrêt du 18 mai, est la bienvenue en ce qu’elle permettra de sécuriser le recours au prêt de main-d’œuvre intragroupe.

En outre, la proposition de loi vient encadrer le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif : nécessité d’un accord du salarié par avenant à son contrat définissant notamment le travail confié, les horaires et le lieu d’exécution du travail et les caractéristiques particulières du poste, possibilité d’une période probatoire obligatoire si la mise à disposition entraîne la modification d’un élément essentiel du contrat de travail, l’obligation d’une consultation préalable du CE, la rédaction d’une convention de mise à disposition entre les deux entreprises précisant notamment la durée, le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais qui seront refacturés. Le projet de loi précise également les droits du salarié pendant et à l’issue de la mise à disposition et notamment l’interdiction de le sanctionner ou de le licencier pour avoir refusé une proposition de mise à disposition.

Si l’arrêt du 18 mai avait créé un vent de panique dans certains groupes, ces propositions – assez contraignantes – sont les bienvenues, et on ne peut qu’espérer qu’elles entrent en vigueur en l’état.

Viviane Stulz et Jérémie Paubel, avocats à la Cour, du cabinet Actance, membres d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.