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« Le métier est un facteur déterminant de l’engagement des plus jeunes »

Enjeux | publié le : 12.07.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« Le métier est un facteur déterminant de l’engagement des plus jeunes »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

La gestion des RH a privilégié la notion rationnelle d’implication du salarié plutôt que son engagement émotionnel. La génération Y ne trouve cependant sa place dans l’entreprise qu’à condition de parvenir à y réconcilier ses exigences narcissiques avec le sens de son travail. Développer l’engagement représente donc aujourd’hui un vrai défi pour les ressources humaines.

E & C : Vous distinguez les notions d’implication au travail et d’engagement, pourquoi ?

David Moriez : Deux formes de motivation ont traditionnellement dominé la littérature et mobilisé la recherche : l’implication au travail et l’engagement vis-à-vis de l’organisation. Or le concept d’engagement ne se limite pas aux rapports à l’organisation. L’engagement traduit le degré d’attachement psychologique ou émotionnel d’une personne vis-à-vis d’une multitude d’aspects du travail. C’est un concept qui dépasse la seule dimension organisationnelle. A l’origine, les recherches anglo-saxonnes, dans le double cadre d’une idéologie économique libérale et d’une éthique protestante du travail, ont mis l’employeur au centre de la réflexion managériale. Elles ont privilégié le rapport rationnel au travail et à l’organisation en multipliant les attentes en termes de comportements. Tout s’est passé comme si l’entreprise n’avait le droit de s’intéresser qu’à la dimension immédiate et quantifiable de la performance, l’implication objective du salarié vis-à-vis de l’entreprise. L’affect a été écarté. Or, si l’implication suppose de pouvoir satisfaire des besoins – le cognitif – et d’adopter des comportements qui permettent de déclencher ou de favoriser l’action – le conatif –, l’engagement repose surtout sur la conjugaison et l’adéquation d’attentes et de besoins principalement affectifs, qui ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise. Tous ces aspects sont fondamentaux dans le devenir professionnel, et l’échec actuel à manager la génération Y oblige à se pencher sur la question.

E & C : Quels sont les enjeux de ces notions en termes de GRH ?

D. M. : La dimension affective positive du travail dans un contexte de transformation démographique radicale du marché de l’emploi, où la main-d’œuvre est plus rare, plus exigeante et mieux informée, est fondamentale. Paradoxalement, c’est la piste la moins explorée. Or, la génération Y est méfiante et inquiète vis-à-vis de l’entreprise avec laquelle elle prend ses distances. Les jeunes nés au tournant des années 1980 souhaitent que l’entreprise s’adapte à leurs attentes, alors que l’entreprise propose exactement le contraire. À mesure que la relation employé-employeur semble s’inverser, les outils de pilotage et de gestion de la performance, bien que manifestement inadaptés, se multiplient et se concentrent sur l’implication pour résonner comme un aveu d’impuissance à générer et à évaluer l’engagement. Alors que la rémunération est le principal facteur d’attraction pour environ 60 % de la génération Y, il devient urgent de réfléchir aux composantes hors salaire de l’engagement professionnel pour évoluer d’une logique d’adhésion calculée vers une logique de contribution plus collaborative, prenant davantage en compte l’individu et les rapports interpersonnels.

E & C : Qu’entendez-vous par “contribution collaborative” ?

D. M. : On a pu dire que la notion de métier était dépassée dans une société où les tâches se complexifient. Pourtant, le métier reste un facteur déterminant de l’engagement des plus jeunes, en ce qu’il fait et donne sens. Le poste de travail est une notion cloisonnée et technique, tandis que le métier, la fonction exercée, permet au salarié Y de s’inscrire dans la communauté de travail. L’important, par exemple, n’est pas d’être responsable des ressources humaines, mais de travailler dans les ressources humaines. Ce n’est pas le grade qui compte mais le sens de l’action. En ce qui concerne la carrière, si les plus jeunes ne se font pas d’illusions sur la perspective d’un emploi à vie, ils appréhendent la carrière sur le mode de la vocation. Faire carrière, c’est d’abord pour eux s’engager à plein régime dans l’action présente et avoir comme perspective d’avenir de pouvoir continuer à le faire en multipliant et en complexifiant les missions. À défaut d’engagement moral au long cours, les Y cherchent à développer leur employabilité. Les jeunes s’impliquent moins dans le travail, mais s’engagent davantage dans le sens du travail.

E & C : Les jeunes n’ont-ils pas tendance à exiger une meilleure conciliation des temps de vie ?

D. M. : Certes, ils privilégient la sphère personnelle à la sphère professionnelle, dans la mesure où la première est plus en phase avec leurs attentes narcissiques. On a pu parler à leur propos de génération “moi”. Néanmoins, le travail reste fortement investi, de manière conditionnelle : si je fais quelque chose qui a du sens pour la communauté au sein de laquelle je m’identifie et me reconnais, alors le travail devient un lieu d’expression de ma personnalité au même titre que ma vie personnelle. C’est à cette condition que le jeune se déclare prêt à privilégier la mobilité interne plutôt que de zapper vers un autre poste en externe. À cet égard d’ailleurs, l’attachement au groupe est une notion déterminante pour une génération “tribale”, pour qui la notion d’amitié est essentielle. L’espace d’investissement professionnel s’est donc élargi et recentré. Il s’est élargi parce que la génération Y investit et travaille pour être à la hauteur des attentes de la communauté interne – l’équipe – et externe – le réseau, l’environnement – plutôt que des seuls supérieurs hiérarchiques. Il s’est recentré parce qu’elle ne travaille pas pour l’entreprise ou l’employeur, mais pour le projet qui lui est confié dans le cadre immédiat d’interactions et d’échanges avec les autres collaborateurs et le management direct.

E & C : Quelles pistes d’actions privilégier pour manager ces jeunes ?

D. M. : Les deux ingrédients fondamentaux dont se nourrit la génération Y sont la reconnaissance et la réassurance où se nouent les différents aspects déjà évoqués. Ces deux leviers principaux permettent de joindre les aspects matériels, comme la rémunération, et les aspects plus symboliques et relationnels, comme le besoin d’autonomie et de rapport à la communauté. La DRH doit évoluer vers une vision intégrée de la nouvelle relation employeur-salarié, qui sera garante des individualités et créera la proximité relationnelle sécurisante à laquelle sont attachés les Y. Un juste équilibre est notamment à trouver entre la démarche d’intégration dans l’entreprise, qui doit impliquer les managers immédiats et les futurs collègues, et la capacité de retrait du manager – retrait fondé sur la confiance –, une fois cette phase passée, pour laisser l’espace nécessaire à l’expression des individualités. Le tout dans le but de créer une ambiance où le travail se vit comme une expérience motivante et où s’engendre la loyauté à des valeurs humaines et aux personnes plus qu’à l’organisation.

PARCOURS

• David Moriez est enseignant chercheur à l’ISC, responsable du département développement personnel et professionnel.

• Doctorant (Cnam, Lipsor), David Moriez est diplômé d’Anglia Polytechnique à Cambridge (UK). Il est membre de la Conférence des grandes écoles, de l’AGRH, de la SHRM (Society for Human Resource & Management) et de la Fondation Europa-Education pour l’accréditation des écoles et la certification des diplômes européens RH.

• Il est auteur de l’article “Génération Y-pour une démarche d’engagement” au sein de l’ouvrage collectif La Gestion des ressources humaines en devenir (sous la direction de Françoise Dupuich, L’Harmattan, 2011)

LECTURES

• Manager la génération Y avec les neurosciences, A. Fustec et D. Sappey-Marinier, Eyrolles, 2011.

• Generation Me, J. M. Twenge, éd. Simon and Schuster, New York, 2007.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX