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La charge de travail des cadres au forfait jours est à suivre scrupuleusement

Actualités | publié le : 05.07.2011 | MARIETTE KAMMERER, ÉLODIE SARFATI

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La charge de travail des cadres au forfait jours est à suivre scrupuleusement

Crédit photo MARIETTE KAMMERER, ÉLODIE SARFATI

Dans son arrêt du 29 juin, la Cour de cassation ne remet pas en cause le principe du forfait jours, mais en impose un encadrement plus strict. Le défaut de suivi d’un cadre au forfait pourrait coûter à l’employeur le paiement d’heures supplémentaires sur les cinq dernières années.

Ceux qui redoutaient la fin du forfait jours peuvent être rassurés : la Cour de cassation, dans son arrêt du 29 juin, n’a pas invalidé le dispositif, dont la légalité était fortement mise en doute depuis sa condamnation par le Comité européen des droits sociaux (lire ci-contre). Néanmoins, l’arrêt a donné raison au cadre commercial en forfait jours, débouté aux prud’hommes puis en appel, qui réclamait le paiement d’heures supplémentaires.

Insuffisance du contrôle

Les juges ont reconnu « les insuffisances de l’employeur quant au contrôle du nombre de jours travaillés, au suivi de son organisation et de sa charge de travail », invoquées par le salarié. Ils ont estimé que l’employeur n’avait pas respecté l’accord de branche de la métallurgie, qui prévoit notamment un « suivi régulier » par le supérieur hiérarchique, un entretien annuel et un « document de contrôle faisant apparaître les dates et le nombre de jours travaillés ». L’accord de branche n’étant pas respecté, « la convention de forfait jours est privée d’effet », et le salarié peut ansi prétendre au paiement d’heures supplémentaires. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris, qui devra « vérifier l’existence et le nombre » de ces heures supplémentaires.

Point important : l’arrêt mentionne que le forfait jours doit être impérativement encadré par un accord collectif garantissant « le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires ».

Les réactions sont positives de part et d’autre. Les syndicats, dont la plupart ne souhaitent pas voir disparaître ce dispositif auquel de nombreux cadres sont attachés, sont satisfaits qu’il soit mieux encadré. « L’arrêt devrait canaliser la propension de certains employeurs à s’affranchir des obligations légales de contrôle de l’activité et des heures supplémentaires en cas de surcharge de travail », se félicite Bernard Van Craeynest, président de la CFE-CGC. Son syndicat réclame pour les salariés en forfait jours un repos journalier de 13 heures, une durée maximale hebdomadaire de 48 heures et un salaire minimum correspondant au salaire charnière de l’Agirc (3 262 euros par mois).

La Cour « réaffirme le droit au repos quotidien et hebdomadaire pour préserver la santé et la sécurité des salariés », ajoute Mohammed Oussedik, secrétaire confédéral CGT ; « et oblige l’employeur à réaliser un réel suivi de la charge de travail », pointe Simon Denis secrétaire national de la CFTC Cadres.

Les DRH rassurés

Les DRH sont également rassurés : « C’est une sage décision, qui conforte la valeur de l’accord collectif et consolide le forfait jours », constate Yves Barou, président du Cercle des DRH européens. « Que le juge dise que le non-respect d’un accord puisse être sanctionné semble assez logique, il n’y a pas lieu de s’en inquiéter », estime Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH.

Pourtant, cet arrêt ouvre une brèche qui devrait appeler les DRH à la vigilance. Car, désormais, le défaut de suivi d’un cadre au forfait peut coûter à l’employeur le paiement d’heures supplémentaires sur les cinq dernières années, alors qu’avant cet arrêt, un tel manquement ne lui aurait valu que le versement de dommages et intérêts. « Or, sur le terrain, rares sont les entreprises qui procèdent à une réelle évaluation de la charge de travail des cadres », observe Simon Denis.

Le spectre des contentieux n’a donc pas totalement disparu, loin de là. Y compris pour les entreprises qui respectent scrupuleusement l’accord collectif instituant le forfait jours. « Car, selon la Cour de cassation, cet accord doit prévoir des garde-fous suffisants pour limiter la durée du travail et protéger le salarié, ce qui n’est peut-être pas le cas de tous les accords, notamment ceux postérieurs à août 2008 », souligne Eric Peres, secrétaire général de FO Cadres. En effet, la loi du 20 août 2008 a assoupli singulièrement le forfait jours (lire ci-dessous).

Les entreprises et les branches devront-elles renégocier des avenants aux accords RTT pour mieux les encadrer ? C’est ce que souhaite la CGT.

Yves Barou, pour sa part, estime que ça ne sera pas nécessaire, « car les accords d’entreprise sont plus précis que ne l’est l’accord métallurgie : ils contiennent pour la plupart des mécanismes de contrôle et des codes de bonne conduite concernant les cadres au forfait ».

Les experts conseillent aux DRH d’être prudents : « Ils ont intérêt à revenir aux modalités d’origine du forfait jours, limité à 218 jours, à fixer une amplitude horaire maximale et un salaire à la hauteur de la charge de travail », prévient Michel Miné, professeur de droit du travail au Cnam.

« Cet arrêt incite les employeurs à protéger la santé de leurs salariés, ajoute Bénédicte Querenet-Hahn, avocate associée employeur au cabinet GGV.? Or il existe des outils simples pour évaluer la charge de travail, comme un reporting hebdomadaire des tâches réalisées, également utile au management. »

Pour les syndicats, les entreprises doivent avant tout mettre un terme à certaines pratiques : « Le forfait jours ne devrait pas être appliqué aux salariés non cadres, ce que la loi, malheureusement, permet, déplore Patrick Pierron, secrétaire national CFDT. Dans certaines entreprises, il est même inscrit directement dans le contrat de travail hors de tout accord collectif. Et, bien souvent, l’entretien sur le suivi de la charge de travail et le bilan annuel au CE sont passés à la trappe. » Pour Eric Peres, le forfait jours « est devenu un outil de flexibilisation qui évite aux employeurs de payer des heures supplémentaires ». Mais un outil « qu’il faut veiller à ne pas détruire à force d’utilisation abusive », prévient Bernard Van Craeynest.

Éviter les procès

Et pour éviter les dérives comme les procès, les organisations syndicales appellent le gouvernement à réviser la loi d’août 2008 à l’origine de ces soubresauts juridiques, et à encadrer la durée maximale de travail des salariés au forfait. « La Cour n’a pas statué sur cette loi, puisque l’affaire concernait un salarié embauché entre 2001 et 2006, mais la condamnation du Comité européen des droits sociaux, qui vise précisément la loi d’août 2008, est toujours d’actualité », souligne Simon Denis. Cela n’aura pas échappé aux salariés ou aux syndicats, qui veulent saisir la justice. Michel Miné s’attend à voir les contentieux autour du forfait jours se multiplier.

REPÈRES JURIDIQUES

→ Mis en place par les lois Aubry en 2000, le forfait jours a évolué au fil des années. La loi du 2 août 2005 l’a étendu aux salariés non cadres, « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps » (L 3121-43). Un accord collectif détermine les catégories de salariés concernées et la durée du forfait, dans la limite de 218 jours par an. Depuis la loi du 20 août 2008, toutefois, ce plafond peut être dépassé en contrepartie d’une majoration de salaire d’au moins 10 %. Un accord collectif peut prévoir ce dépassement, sans que le Code du travail ne fixe de limite : « En théorie, le forfait jours peut alors atteindre 282 jours travaillés par an, mais cette hypothèse est peu réaliste. Toutefois, des forfaits supérieurs à 270 jours travaillés par an sont possibles », note Michel Miné, professeur de droit du travail au Cnam. A défaut d’accord, le Code du travail fixe la limite du dépassement à 235 jours.

Quant aux modalités de suivi de la charge de travail du salarié en forfait jours, la loi de 2008 les a également assouplies : elles ne sont plus discutées dans le cadre de l’accord collectif mais au cours d’un entretien annuel entre le salarié et l’employeur. Enfin, elles doivent faire l’objet d’une consultation annuelle du CE.

→ Depuis 2001, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) pointe l’incompatibilité du forfait jours avec la Charte sociale européenne. Cette position a été réitérée le 23 juin 2010 et motivée par deux arguments : d’une part, la durée maximale du travail (potentiellement 78 heures hebdomadaires) est « excessive » et les garanties (entretien annuel individuel) insuffisantes ; d’autre part, elle estime que la majoration de rémunération de 10 % correspondant aux jours supplémentaires travaillés par le salarié est insuffisante au regard du nombre « anormalement élevé » d’heures que le celui-ci peut être amené à effectuer.

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER, ÉLODIE SARFATI