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Enquête

COMMENT NÉGOCIER AVEC UN SYNDICAT CATÉGORIEL

Enquête | publié le : 28.06.2011 | EMMANUEL FRANCK

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COMMENT NÉGOCIER AVEC UN SYNDICAT CATÉGORIEL

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

La négociation d’un accord qui ne concerne qu’une catégorie de salariés et/ou qui se discute avec un syndicat ne représentant qu’une catégorie de salariés obéit à des règles particulières. Issues de la réforme de la représentativité du 20 août 2008, elles sont en cours de constitution.

Le 29 juin, la Cour de cassation doit se prononcer sur la légalité du forfait-jours des cadres. Selon sa réponse, des entreprises pourraient être amenées à renégocier cette disposition. Dans cette hypothèse, les directions RH devraient-elles convier à la négociation tous les syndicats représentatifs dans l’entreprise ou seulement ceux dans le collège cadres ? Il n’y a pas de réponse légale ou juridique à cette question. C’est une conséquence peu soulignée de la réforme de la représentativité syndicale. Quels syndicats convier à la négociation d’un accord catégoriel ? Faut-il inviter un syndicat catégoriel à négocier un accord intercatégoriel ? Comment calculer la validité de ces accords ?

“Négociation collective et syndicats catégoriels : le début des ennuis”, titrait un article de Paul-Henri Antonmattei, professeur à l’université de Montpellier 1, dans la revue Droit social du mois de janvier.Les entreprises que nous avons interrogées (Eurocopter, RATP, Les Dernières nouvelles d’Alsace, Air France) tâtonnent encore sur la conduite à tenir vis-à-vis d’un syndicat catégoriel ou lorsqu’elles négocient un accord ne concernant qu’une catégorie de salariés.

Des situations particulières… très répandues

La réforme de la représentativité du 20 août 2008 dit qu’un syndicat d’entreprise est représentatif s’il a recueilli 10 % des suffrages aux élections, lui donnant ainsi notamment le droit de signer des accords. Ces accords sont valides s’ils sont signés par des syndicats ayant recueilli en tout au moins 30 % des suffrages et si des syndicats majoritaires (50 %) ne s’y opposent pas.

C’est simple, mais il existe de très nombreux syndicats dont la vocation est de ne représenter que certaines populations (les cadres, les journalistes, les conducteurs de train de la SNCF, de métro…), dont les droits conventionnels découlent d’accords les concernant eux seuls. Comment les nouvelles règles de représentativité et de validité des accords s’appliquent-elles à ces situations particulières mais finalement très répandues ? La CFE-CGC, par exemple, est implantée dans 15 % des établissements du secteur privé, selon une étude de la Dares de 2008.

La nouvelle loi a deux conséquences : d’une part, elle lamine les syndicats catégoriels, sauf trois d’entre eux, ce qui simplifie le paysage. Mais, d’autre part, elle crée de l’insécurité juridique, le temps que de nouvelles règles adaptées à la négociation catégorielle se mettent en place.

Rares sont en effet les syndicats catégoriels qui atteignent les 10 % d’audience nécessaires pour être représentatifs. Pour ne pas disparaître, ils choisissent généralement de faire liste commune aux élections. À la SNCF, la Fgaac (agents de conduite) est désormais alliée à la CFDT. À la RATP, les 9 syndicats professionnels rattachés à la CGT, à l’Unsa et à FO font désormais liste commune avec leur syndicat de tutelle (lire p. 28).

Des syndicats représentant trois populations spécifiques bénéficient cependant d’une dérogation légale et parfaitement constitutionnelle : la CFE-CGC, les syndicats de journalistes et les syndicats de pilotes de ligne (lire p. 22). Pour ceux-là seulement, l’audience se calcule dans les seuls collèges où ils ont vocation à présenter des candidats. De ce fait, ils peuvent conserver plus facilement leur indépendance. C’est la raison pour laquelle le paysage syndical des secteurs de la presse et de l’aviation est encore si morcellé (lire pp. 25 et 27).

Paul-Henri Antonmattei y voit une inégalité devant la loi, qu’il n’explique « que par des rapports de force bien connus ». Le législateur a tenu compte de l’existant, lui rétorque en substance Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail (lire son interview p. 29).

Stratégie de survie

La stratégie de survie de ces syndicats-là est de constituer des collèges spécifiques, de faire en sorte que leur composition soit la plus “pure” possible, puis d’y présenter des candidats. S’ils en présentent dans d’autres collèges, leur audience est alors calculée sur ces collèges, donc diluée. « On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre en étant généraliste quand ça nous arrange ; nous devons donc nous interdire de nous présenter en dehors des collèges qui nous concernent, explique Bernard Valette, secrétaire national de la CFE-CGC, en charge du dialogue social. Si nous jouons sur plusieurs tableaux, nous perdrons. La CGT a prévenu que partout où nous nous présenterions dans le premier collège, elle irait au tribunal. » Cette contrainte vaut également pour les syndicats de journalistes et de pilotes.

Les règles de la négociation catégorielle commencent à se constituer. Elles ne concernent que ces trois syndicats. Ainsi, depuis le 31 mai, un syndicat catégoriel représentatif dans son collège a le droit de négocier un accord intercatégoriel même s’il a obtenu moins de 10 % des suffrages tous collèges confondus.

En revanche, on ne sait toujours pas s’il peut signer seul. Oui, estime le TGI de Nanterre dans un jugement du 20 mai dernier. La CGT de la société Yara contestait que la CFE-CGC, qui avait pourtant obtenu 35 % des suffrages au niveau de l’entreprise, puisse signer seule un accord sur les seniors, au motif que cet accord ne concernait pas uniquement les cadres. Déboutée, la CGT fait appel. Il est possible que ce dossier, examiné de près par la confédération CFE-CGC, aille en cassation. Mais la Cour de cassation, dans son arrêt du 31 mai, semble indiquer au contraire qu’un syndicat catégoriel ne peut signer seul.

Certains points restent flous

D’autres points sont encore flous. Par exemple, un syndicat catégoriel affilié à une organisation intercatégorielle, comme par exemple le SNJ-CGT (journalistes) calcule-t-il son audience dans le seul collège journalistes ou tous collèges confondus ? Les tableaux ci-contre recensent les différentes situations et les règles de droit qui s’appliquent, lorsqu’elles existent. Il faudra attendre la jurisprudence pour que les choses se stabilisent, Jean-Denis Combrexelle ayant exclu qu’une loi ad hoc soit votée (lire p. 29).

La négociation catégorielle est finalement moins compliquée qu’il n’y paraît, à condition de faire attention au champ d’application de l’accord. C’est la clé, comme le rappelle le directeur général du travail. Ainsi, la validité de l’accord (30 %, 50 %) se calcule dans les collèges couverts par l’accord. Ce qui ne répond pas à la question : quels syndicats inviter à négocier ? Si le doute subsiste, le mieux est alors peut-être d’en inviter trop que pas assez.

* Retrouvez l’arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 2011 sur < www.wk-rh.fr >, rubrique Entreprise & Carrières, docuthèque.

L’ESSENTIEL

1 La loi du 20 août 2008, qui réforme la représentativité syndicale et la négociation collective, a créé des règles particulières, encore instables, pour certains syndicats catégoriels et professionnels.

2 La représentativité de la CFE-CGC, des syndicats de journalistes et de pilotes de ligne se calcule dans les seuls collèges dans lesquels ces syndicats présentent des candidats aux élections professionnelles.

3 Cette dérogation au droit commun entraîne des conséquences en cascade sur la négociation collective et sur les stratégies électorales des syndicats.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK