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« Le métier de DRH est un travail d’équilibriste »

Enjeux | publié le : 28.06.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« Le métier de DRH est un travail d’équilibriste »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Responsable notamment de l’évolution des salariés de l’entreprise, la fonction RH est aujourd’hui prise en tenaille entre des exigences contradictoires qu’il lui faut arbitrer dans un souci constant d’équité.

E & C : La fonction RH est l’un des métiers de l’entreprise qui évolue le plus. Pour quelles raisons ?

Alexandre Léné : Les exigences de performance dans une économie globalisée et instable ont entraîné de profonds changements dans la fonction RH. L’entreprise taylorienne était très hiérarchisée et structurée par les différentes fonctions de la production. L’entreprise post-taylorienne, fondée sur la flexibilité et la polyvalence, doit aujourd’hui gérer non des classes de salariés mais des individus. Le changement est devenu une donnée permanente de l’entreprise, qui doit réagir à très court terme à l’évolution des marchés. Les changements affectent principalement la mobilisation des équipes, c’est-à-dire leur engagement et leur motivation, l’organisation du travail en incessantes reconfigurations, la formation et les relations entre employeurs et salariés. Ce contexte hautement évolutif génère de nombreuses tensions pour la fonction RH.

E & C : Quelles sont ces tensions ?

A. L. : L’individualisation des conditions de travail et de rémunération est la principale source de tension entre les salariés et les services ressources humaines confrontés à l’épineuse question de la mobilisation des individualités – qui suppose un traitement différentiel des personnes en fonction de leur performance et de leur potentiel – et le maintien de règles collectives suffisamment lisibles et équitables pour que les salariés n’aient pas l’impression que les rémunérations ou les évolutions de carrière se font à la tête du client. La fonction RH se doit de maintenir un équilibre toujours précaire entre le collectif et l’individuel. Entre les aspirations des personnes à être reconnues et une dynamique collective qui garantit à la fois la paix sociale et le travail en équipe. De même en ce qui concerne l’organisation du travail : la fonction RH est en tension entre les exigences des directions générales de voir rapidement déclinées les nouvelles orientations stratégiques et l’exigence de repères des salariés. La temporalité des marchés est à très court terme quand la temporalité du management des hommes ne peut avoir de sens qu’à moyen et long termes. Les directions des RH sont confrontées au paradoxe de devoir gérer du mouvement et de l’instabilité par des dispositifs d’évolution de carrière et de formation qui, par définition, prennent du temps. Elles se doivent aussi de gérer au mieux le dilemme qui surgit entre l’obligation de faire confiance à un salarié autonome dans son travail et la nécessité de contrôler a minima le travail fourni.

E & C : Quels problèmes concrets ces évolutions posent-elles ?

A. L. : La mission première des DRH est de mobiliser les salariés quel que soit le contexte, ce qui veut dire aujourd’hui organiser une entreprise flexible et dynamique adaptée aux besoins émergents. Cependant, changer en permanence le périmètre de la contribution des personnes peut provoquer de la protestation et aussi des formes insidieuses de désengagement se manifestant par de l’absentéisme ou un présentéisme sans travail tout aussi problématique. En matière de motivation, le mieux est souvent l’ennemi du bien. Mettre en place des dispositifs incitatifs dans le but de favoriser la performance peut, au lieu de la loyauté, contribuer à développer des comportements opportunistes. A défaut d’avoir des certitudes sur l’avenir de son travail, la tentation est forte pour le salarié de ne considérer que son intérêt à court terme. De même, la valorisation du changement et le transfert sur le salarié de la responsabilité de son employabilité peut induire des demandes de formations pléthoriques, qui risquent bien de prendre de court l’entreprise et de produire des frustrations ; d’autant plus que les organigrammes, aujourd’hui aplatis, ne permettent pas une évolution de carrière ascendante pour tout le monde.

La rétribution au mérite peut poser des problèmes analogues. Comment l’entreprise peut-elle rétribuer l’effort de chacun si tous deviennent méritants ? Comment le salarié pourrait-il se distinguer alors que tout le monde est supposé le faire, sinon en “surperformant” et en tirant vers le haut les exigences de performance, voire, malheureusement assez souvent, par du stress au travail avec les conséquences que l’on sait en termes de risques psychosociaux ?

E & C : Comment les responsables RH font-ils face ?

A. L. : A défaut d’avoir soi-même rodé certains dispositifs nouveaux, on se fie à des recettes expérimentées par d’autres et censées résoudre tous les problèmes. Or de telles recettes n’existent pas. Efficaces dans une entreprise, elles risquent de se révéler contre-productives dans une autre. Si cela a du sens, par exemple, de rémunérer les salariés selon leur rendement individuel dans certains secteurs, cela peut pénaliser le travail d’équipe dans d’autres secteurs où la collaboration est un des facteurs décisifs de réussite. Au surplus, les modes passent et rien n’est plus déstabilisant pour l’entreprise que de devoir changer de stratégie managériale quand déjà tant de choses bougent par ailleurs. La relation de confiance, si utile pour assurer l’engagement au long cours malgré les évolutions conjoncturelles, risque de s’en trouver détruite. Plutôt que des solutions clés en main, je crois que les directions RH doivent aujourd’hui savoir mettre sur pied et analyser différents scénarios pour les comparer et les adapter à des changements qui sont de toute façon difficiles à anticiper à coup sûr. Au lieu de sans cesse changer de cap en matière d’emploi et de compétences, on peut, par exemple, comme le propose François Stankiewicz, modéliser les différentes solutions possibles à partir de matrices de mobilité. On dispose ainsi d’un éventail de solutions permettant d’ajuster en douceur sans tout révolutionner et devoir ensuite remettre en cause dans l’urgence de prétendues solutions miracles. Dans un contexte de forte tension, le métier de DRH est un travail d’équilibriste tout en finesse.

E & C : A quoi faut-il être particulièrement vigilant ?

A. L. : Le DRH, diplomate par obligation puisqu’il doit arbitrer entre différents problèmes, différentes fonctions et personnalités, est aussi le gardien de l’éthique en matière de rémunération, de traitement des personnes et de construction d’outils RH. En effet, plus on introduit d’hétérogénéité pour obtenir de la flexibilité, plus on génère d’injustices potentielles ou, en tout cas, de sentiment d’injustice. Le défi des ressources humaines, c’est d’être un arbitre le plus équitable possible entre différents jeux d’acteurs et temporalités.

Notes

• Post-taylorisme : organisation de travail qui met en œuvre diverses formes de participation des travailleurs aux décisions concernant la production, par opposition au taylorisme qui reposait sur la spécialisation stricte des fonctions.

• François Stankiewicz : professeur à l’université de Lille 1, membre du Clersé-CNRS (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques) et consultant. Il enseigne la GPEC et l’audit social dans le Master 2 MRH (lire Entreprise & Carrières n° 1020).

PARCOURS

• Alexandre Léné est maître de conférences en sciences économiques et management RH à Lille 1 et enseignant à Telecom Lille 1. Il est également membre du Clersé-CNRS.

• Ses travaux de recherche actuels portent sur l’engagement et la motivation. Il étudie ce qui détermine la mobilité et les trajectoires professionnelles des ingénieurs en apprentissage.

• Il est coauteur avec François Stankiewicz d’Économie des ressources humaines (réédition mise à jour, la Découverte, 2011) et auteur de Formation, compétences et adaptabilité (L’Harmattan, 2002). Ses articles les plus récents (Revue française de gestion, Formation-Emploi, Labour Economics) ont porté sur la gestion du capital humain et des compétences.

LECTURES

• Comportement organisationnel. Contrat psychologique, émotions au travail, socialisation organisationnelle, N. Delobbe, O. Herrbach, D. Lacaze et K. Mignonac, De Boeck, 2005.

• Gérer les compétences. Des instruments aux processus, Alain Klarsfeld et Ewan Oiry, Vuibert, Paris, 2003.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX