Alors que la médecine et les attentes de la société civile en matière de santé progressent, la santé au travail semble aujourd’hui davantage menacée. Certes, les éventuels effets pathogènes de certaines activités et environnements de travail sont mieux connus et contribuent à alerter l’opinion publique. Mais la problématique de santé au travail ne transcende pas les intérêts socio-économiques. Elle est au contraire prise dans la dynamique plus large des rapports de forces s’exerçant dans le champ du travail.

Quatre enseignants en histoire reviennent sur ces enjeux de pouvoirs dans lesquels elle a été prise au cours des 19^e et 20^e siècles. Cette rétrospective permet de mettre en tension la progression des savoirs, d’une part, les intérêts en jeu du côté des entreprises et des travailleurs de l’autre. Que des chercheurs envisagent un problème qui, de prime abord, peut paraître médical ou technique comme un objet historique permet de comprendre les enjeux idéologiques du débat. Au passage est égratignée la logique assurantielle en vigueur dans les sociétés anglo-saxonnes, qui tend à diluer la responsabilité des patrons sur le long terme et permet trop souvent de se débarrasser des questions de santé en se débarrassant des travailleurs eux-mêmes.

Les auteurs rappellent que, non seulement tous les travailleurs ne sont pas égaux devant la santé, mais que le constat de leur état de santé est lui-même traversé de part en part par les inégalités sociales : l’appréciation de ce qui est un danger pour la santé dépend du genre, de l’origine, du statut et même de la taille des entreprises. Un ouvrage qui devrait contribuer à clarifier les enjeux actuels.

La Santé au travail, entre savoirs et pouvoirs

Sous la direction d’Anne-Sophie Bruno, Éric Geerkens, Nicolas Hatzfeld, Catherine Omnès, Presses universitaires de Rennes, 310 pages, 18 euros.