logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actualités

La France regarde vers le nord

Actualités | publié le : 28.06.2011 | EMMANUEL FRANCK

Image

La France regarde vers le nord

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Alors qu’un rapport de l’Igas préconise une réforme des congés parentaux pour les rapprocher du modèle scandinave, Roselyne Bachelot organise une table ronde sur le sujet. Les syndicats ne veulent pas perdre de vue l’objectif d’égalité salariale.

La ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale Roselyne Bachelot-Narquin organise, ce 28 juin, une série de tables rondes sur le « partage des responsabilités professionnelles et familiales ». Il devrait y être beaucoup question d’un rapport qui lui a été remis le 7 juin, contenant une série de propositions pour inciter les pères à s’investir davantage dans la sphère familiale.

Un congé d’accueil de huit semaines

Ce rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) préconise notamment de créer un congé d’accueil de l’enfant d’une durée de huit semaines, dont quatre réservées au père. Ceci reviendrait à remplacer l’actuel congé paternité de onze jours par un congé de quatre semaines. Afin d’inciter le père à le prendre en totalité, l’un des membres du couple bénéficierait d’une semaine de congé supplémentaire. Le congé maternité serait, lui, ramené de 16 à 12 semaines, auxquelles s’ajouteraient les quatre semaines du congé d’accueil de l’enfant réservées à la mère.

Le coût d’une telle mesure s’élèverait à 250 millions d’euros, financés notamment par un moindre recours aux congés pathologiques – utilisés dans 45 % des grossesses –, et par un moindre recours à la garde d’enfants.

Selon Brigitte Grésy, auteure du rapport, l’« inégal partage du temps parental et des tâches domestiques est le noyau dur de l’inégalité professionnelle » entre les hommes et les femmes. Car les tâches parentales et domestiques incombent très majoritairement aux femmes.

L’idée du rapport est donc qu’en transférant une partie des tâches parentales aux pères, on favorise l’égalité professionnelle. Si les pères s’investissent plus largement dans la parentalité, les femmes peuvent rester davantage dans l’entreprise. Ce cercle vertueux repose cependant sur le pari d’une négociation conjugale plus favorable aux femmes au sein du couple.

Dans le même but, le rapport Grésy préconise un congé parental raccourci à un an pour le deuxième enfant et mieux rémunéré (60 % du salaire antérieur brut), dont deux mois seraient destinés au père. Ces deux préconisations constituent un début de basculement du “modèle maternel” vers le “modèle parental” caractéristique de certains pays du nord de l’Europe. Un modèle qui a ses avantages mais qui est loin d’être la panacée (lire le texte ci-contre).

Abandon de l’égalité salariale

Les syndicats sont plutôt favorables à ces deux propositions du rapport Grésy. En revanche, ils sont critiques sur la méthode du gouvernement et sur son nouvel agenda, réorienté depuis quelques mois de l’égalité salariale vers la conciliation des temps de vie.

« Ces thèmes ont déjà été abordés au cours de la conférence sur l’égalité professionnelle fin 2007 ; le processus a été interrompu, il faut maintenant le relancer », rappelle Laurence Laigo, secrétaire nationale de la CFDT, qui participe à la table ronde du 28 juin. Ghyslaine Richard, en charge du dossier femmes-mixité à la CGT, organisation qui ne sera pas à la table ronde, remarque : « Nous n’avons rien contre le partage des tâches, mais nous ne sommes pas dupes ; depuis que les cercles gouvernementaux ont admis qu’ils ne feraient rien en faveur de l’égalité salariale, ils cherchent à allumer des contre-feux. »

Le législateur a en effet remplacé l’objectif de suppression des écarts de salaires entre les hommes et les femmes au 31 décembre 2010 par une obligation, pour les entreprises, d’être couvertes par un accord ou un plan unilatéral en faveur de l’égalité professionnelle sous peine de sanctions financières. Le décret est en cours de rédaction. Il fait bondir Marie-Line Brugidou, déléguée nationale en charge de l’égalité à la CFE-CGC, inscrite à la table ronde : « La sanction est graduable de 0,1 % à 1 % de la masse salariale selon ce que décidera l’inspection du travail. Il n’y a pas d’échéances ni d’obligations légales ; on a lâché la proie pour l’ombre. » Pour elle comme pour Ghyslaine Richard, l’essentiel reste la réalisation de l’égalité salariale (27 % d’écart en moyenne selon la Dares) et, partant, la lutte contre le temps partiel subi, féminin à 80 %.

Ni enthousiasme, ni opposition de fond

Les propositions du rapport Grésy pour un plus fort investissement du père dans la parentalité ne suscitent en revanche ni enthousiasme excessif ni opposition de fond. « D’accord pour qu’une partie du congé soit partageable entre le père et la mère au titre de l’accueil de l’enfant, mais il ne faut pas oublier que le congé remplit également une fonction médicale ; la question de la santé de la mère doit être mieux affirmée et la partie “médicale” du congé sanctuarisée », met en garde Laurence Laigo, qui attend la directive européenne de 2012 pour se prononcer sur la juste proportion entre ce qui relève du médical et de l’éducatif.

Ghyslaine Richard a déjà tranché : « Le congé d’accueil vient en déduction du congé maternité, or nous sommes favorables à l’allongement du congé maternité. » Elle aussi rappelle que celui-ci a pour fonction de permettre à la mère de se reposer.

La réforme du congé parental est plutôt bien accueillie : « Un congé parental trop long et mal rémunéré est préjudiciable aux femmes ; c’est pourquoi nous préférons qu’il soit plus court, mieux payé et qu’une partie soit dévolue aux pères », expose Laurence Laigo. Ghyslaine Richard est également intéressée. Mais « si l’on réduit le congé parental sans augmenter le nombre de places en crèche, les couples seront obligés de prendre un congé non rémunéré », prévient-elle. Selon elle, il manque 500 000 places d’accueil pour la petite enfance.

Rien sur les modes de garde

C’est là que le rapport pèche, selon Rachel Silvera, chercheuse au Mage (Marché du travail et genre) du CNRS : « Le rapport ne dit pratiquement rien sur les modes d’accueil, or l’offre de services collectifs est la meilleure garantie pour l’égalité. Si le choix se fait seulement au sein de la famille, les arbitrages risquent d’être en défaveur des femmes. »

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK