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« Concilier les vies professionnelle et personnelle est une urgence »

Enjeux | publié le : 14.06.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« Concilier les vies professionnelle et personnelle est une urgence »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Assez délicate à organiser, l’articulation vie professionnelle-vie personnelle est une solution « gagnant gagnant » pour l’entreprise et ses salariés. Répondant à des règles claires, elle fournit l’occasion de repenser l’organisation du travail. Le soutien par la RH doit être assuré non seulement au moment de la mise en place mais aussi dans la durée.

E & C : Qu’entend-on exactement par articulation de la vie personnelle et de la vie professionnelle ?

Ariane Ollier-Malaterre : Plusieurs choses qui peuvent s’inscrire dans deux domaines : celui qui a trait à l’organisation du travail – flexibilité des horaires et des trajectoires professionnelles, télétravail quelques jours par semaine, partages de poste, horaires des réunions, etc. – et, d’autre part, l’assistance des entreprises aux salariés sous forme d’information, d’infrastructures – crèches, par exemple – ou d’aide financière. Le concept d’articulation vie professionnelle-vie privée a émergé dans les pays anglo-saxons, où la part prise par l’État dans les questions sociales est faible, voire inexistante. En France, où les congés maternité, les crèches, la couverture maladie du salarié et de sa famille sont prises en charge pour beaucoup par l’État, ces aspects sont bien évidemment secondaires. Les innovations de l’entreprise y ont davantage porté sur des sujets plus mineurs, de confort, comme par exemple les conciergeries et l’assistance juridique, psychologique, financière, logistique… Mais ce côté un peu superficiel cède le pas depuis quelques années à ce qui me semble le plus important : l’organisation de la flexibilité du travail pour offrir aux salariés davantage de souplesse et leur permettre de mieux concilier les domaines de vie.

E & C : Quel est l’intérêt pour les entreprises de s’occuper de ces aspects ?

A. O.-M. : Elles ont tout à y gagner. En termes d’image, tant en interne qu’en externe, l’employeur à l’écoute a évidemment meilleure réputation. En termes juridiques, l’employeur doit prévenir les risques psychosociaux et, à l’évidence, tout ce qui favorise une meilleure intégration des vies professionnelle et personnelle va dans ce sens. En termes sociaux, la reconnaissance de la personne au travail dans tous les aspects de sa vie participe à la responsabilité sociale de l’entreprise. Mais l’argument le plus convaincant pour elle est certainement le point de vue économique. Loin de pénaliser l’entreprise, tous les efforts d’aménagement des horaires, des carrières et de partage de postes vont dans le sens de l’implication et de la loyauté du salarié vis-à-vis de son employeur, et donc de la fidélisation et de la performance.

E & C : Si cela s’avère si payant, pourquoi toutes les entreprises ne s’engagent-elles pas dans cette voie ? Quelles difficultés la mise en œuvre de tels programmes présente-t-elle ?

A. O.-M. : Tout d’abord, en France, contrairement à ce qui se passe par exemple dans les pays anglo-saxons, la méfiance est souvent présente entre l’employeur et le salarié. Ce dernier craint que son patron ne cherche à l’exploiter. L’entreprise, quant à elle, soupçonne parfois le salarié d’essayer d’en faire le moins possible. La tradition hiérarchique est fortement ancrée et les managers aiment contrôler leurs équipes. Or accepter que le salarié travaille depuis son domicile et module ses horaires est une révolution culturelle qui suppose la collaboration.

Côté salarié, toutes les personnalités ne s’accommodent pas du télétravail : certains ont besoin d’un environnement social qui constitue pour eux l’essentiel de l’attrait du travail. L’expérience montre cependant que le danger n’est paradoxalement pas tant que le salarié tire au flanc mais plutôt qu’il ne sache pas mettre de limites entre son temps de travail et son temps hors travail. Le risque tout à fait réel étant l’épuisement professionnel. Il est donc nécessaire que les salariés y soient préparés par de la formation.

De même, le passage d’un travail à heures fixes en un lieu fixe à une activité flexible partiellement hors des murs de l’entreprise suppose d’organiser autrement le travail. Les managers doivent apprendre à remplacer la logique du contrôle par une logique du résultat, qui suppose à la fois de faire confiance au salarié et d’être beaucoup plus explicite dans ce qu’on attend de lui.

E & C : De quelles précautions convient-il de s’entourer ?

A. O.-M. : Il faut pouvoir sérier les exigences du service, faire la part de ce qui peut être traité à l’extérieur et de ce qui doit être géré dans les murs de l’entreprise, les réunions urgentes et celles qui peuvent avoir lieu sur la plage horaire commune à tous. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le télétravail n’est pas réservé aux “travailleurs du savoir”. Un travail aussi contraint que celui réalisé en centre d’appels peut assez facilement être effectué depuis le domicile du salarié grâce aux transferts d’appels, c’est même un travail plus aisément mesurable que celui des cadres.

Dans tous les cas, il convient de mettre à disposition du manager une hotline pour lui permettre de comprendre et de résoudre les problèmes posés par le télétravail, les horaires décalés ou le partage de postes. L’évaluation des pratiques est aussi incontournable, à la fois pour mesurer les gains de productivité réalisés et pour optimiser le fonctionnement de ces modes de travail dans la durée. Enfin, l’équité est une règle d’or. Il faut que les procédures soient claires et équitables. Pas question de gérer à la tête du client et d’autoriser à certains ce que l’on n’accepte pas de la part des autres, ni d’imposer à tous ce qui ne convient qu’à certains. La transparence est d’autant plus importante que le travail devient en partie invisible.

E & C : Cette conciliation est-elle de nature à refonder le management des salariés ?

A. O.-M. : Cette articulation vie professionnelle-vie personnelle est urgente à mettre en place, dans la mesure où elle contribue à l’intérêt de tous. Elle répond largement aux attentes actuelles de l’entreprise en termes de flexibilité et obéit aussi à la nécessité de lâcher du lest du côté des salariés, dont le malaise au travail grandit. Le management par la confiance est de nature à combler le fossé entre l’entreprise et ses collaborateurs. Il est en phase avec les modes de management à distance nécessaires dans le cadre de la mondialisation et de l’avancée des technologies.

PARCOURS

• Ariane Ollier-Malaterre est professeure de management à Rouen Business School, après un post-doctorat au Boston College. Elle est responsable du pôle de recherche Tr@jectoires.

• Diplômée de Sciences Po et en finances, elle a réalisé une thèse Essec-Cnam sur l’articulation de la vie professionnelle et de la vie personnelle.

• Elle est l’auteure de nombreux articles, dont “Les pratiques work-life des employeurs anglo-saxons favorisent-elles l’implication ?” (in Revue de GRH, 2010) ; “Conciliation vie professionnelle-vie personnelle : l’éthique en pratique” (in Entreprise éthique, n° 32, 2010).

LECTURES

• Concilier travail et famille. Le rôle des acteurs. France-Québec, Marie-Agnès Barrère-Maurisson, Diane-Gabrielle Tremblay, Presses de l’Université du Québec, 2009.

• Vie personnelle et vie professionnelle – Vers un nouvel équilibre dans l’entreprise ?, Marc Dumas, Éditions EMS, 2008.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX