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LES DÉRIVES SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Dossier | publié le : 14.06.2011 | VIRGINIE LEBLANC

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LES DÉRIVES SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Face à l’accroissement continu de leurs budgets dédiés aux frais de santé, les entreprises font feu de tout bois, avec pour leitmotiv l’analyse fine des besoins des salariés couverts et l’encadrement des dépenses. Cette année, elles doivent en plus absorber l’inflation des tarifs des contrats de prévoyance.

Depuis plusieurs années, l’inflation des budgets de frais de santé revient comme une rengaine. Et en 2011, une nouvelle mauvaise surprise a été annoncée aux DRH : l’accroissement des taux de cotisation de leurs contrats de prévoyance, conséquence de la réforme des retraites votée en novembre dernier (lire p. 26). « Au 1er janvier 2011, les complémentaires collectives ont affiché des hausses de tarifs de l’ordre de 7 % à 8 % et, ces dix dernières années, leur coût a augmenté de 40 % à 50 % », constate Yves Trupin, associé au cabinet d’actuaires Winter & associés. Selon lui, cet accroissement perdure pour trois raisons : l’instauration d’une taxe spéciale sur les conventions d’assurance de 3,5 % au 1er janvier 2011 sur tous les contrats responsables ; la poursuite du désengagement du régime de base, qui provoque mécaniquement un transfert vers les complémentaires ; et la dérive des dépenses, inéluctable avec l’accroissement du volume d’actes et des tarifs – la consultation du généraliste est passée à 23 euros au 1er janvier 2011 –, les dépassements d’honoraires et le vieillissement de la population.

Logique de budget limité

Pour autant, « les entreprises s’inscrivent dans une logique de budget limité, et elles regardent les prestations qu’elles peuvent proposer à leurs salariés dans une enveloppe prédéfinie », observe Frédérique Schmidt, actuaire manager au sein d’Optimind, société de conseil en actuariat et gestion des risques. Selon une enquête du premier observatoire de la protection sociale complémentaire de Lowendalmasaï, dont l’intégralité sera publiée à la fin de ce mois (100 entreprises répondantes), 90 % estiment que le coût des régimes frais de santé est le premier critère de choix du prestataire, 97 % considèrent que le fait de pouvoir proposer une couverture santé à leurs salariés est indispensable, et elle fait partie d’un package rémunération, 80 % considèrent que les contrats frais de santé ne sont pas optimisés, donc que l’on peut faire des économies et, enfin, moins de 40 % favorisent les prestataires historiques.

« Nous calibrons les régimes par rapport aux vrais besoins des populations couvertes », indique Jean-Michel Girardon, directeur général adjoint de Novalis Taitbout, en charge de l’assurance des personnes. « Nous travaillons sur des garanties sur mesure et, année après année, cela implique de bons systèmes de gestion, de bons reportings, des tableaux de bord et une visibilité sur les postes pour analyser ce qui se consomme, ajoute Pascal Broussoux, directeur des assurances de risques du groupe AG2R La Mondiale. Dans nos formules standards, afin d’éviter de surgarantir certains soins dont les coûts varient sensiblement d’une région à l’autre, nous avons même régionalisé les couvertures en fonction des coûts moyens de soins identifiés. »

Laurent Poyeton, directeur du pôle assurances chez Leyton, constate une « tendance de plus en plus importante à la mise en place de régimes avec options de garanties, dont le tronc commun est financé pour partie par l’employeur, l’option restant à la charge du salarié ». « Ce type de formule risque de se développer, mais les partenaires sociaux n’y sont pas toujours favorables », reconnaît Marie-Christine Darcas, consultante santé-prévoyance chez Mercer.

Aux dires des experts, il n’existe aucune solution miracle pour endiguer l’inflation des coûts, mais la première action à entreprendre est de s’assurer d’un pilotage fin des régimes, « avec des statistiques sur la consommation médicale produites deux fois par an, au premier semestre et sur l’année complète, afin d’observer si des dérives apparaissent », recommande Marie-Christine Darcas. Un levier indissociable de l’encadrement des dépenses. « Une tendance que nous constatons, notamment sur l’optique, complète Olivier Jonckheere, directeur prévoyance santé collectives d’Aon Hewitt France. Nous construisons des garanties médicalisées, et nous ciblons ainsi le niveau de remboursement en fonction du niveau de correction nécessaire. » « Nous limitons le nombre de montures remboursées à une paire par an et par adulte, deux pour les enfants sur les contrats collectifs standards actuellement commercialisés », illustre de son côté Charlotte Douaud, chef de produit offre collective chez Apicil.

Forfaits “responsables”

Dans la même logique de responsabilisation, Apicil propose un bonus de fidélité en optique si l’assuré ne consomme pas son forfait pendant deux ans ; il voit alors sa prestation augmenter, par exemple, de 20 % la troisième année. Chez Axa aussi, avec l’offre Adaptalia santé, des forfaits responsables permettent aux assurés de disposer d’enveloppes augmentées de 20 % supplémentaires pendant deux ans sur chaque forfait s’il n’y a pas eu de consommation dans l’année, en optique, dentaire et appareillage. Les postes optique et dentaire composant à eux seuls près de la moitié des dépenses des complémentaires, les initiatives tendant à proposer des devis, et le recours à des réseaux de soins se développent. Objectif : agir sur les coûts facturés par les professionnels de santé.

Mise en place d’un “filtre optique”

À Apicil, les devis sont obligatoires en dentaire et en optique, et le seuil pour exiger un devis en dentaire a même été abaissé de 2 500 à 2 000 euros. Autre solution proposée par exemple par Malakoff Médéric, par l’intermédiaire du système Viamédis, le « filtre optique »: « Il s’agit de vérifier que les prestations optiques conformes aux prix du marché et, si le praticien affiche des tarifs hors norme, nos services lui téléphonent, affirme Isabelle Hébert, directrice stratégie marketing santé et prévoyance Malakoff Médéric. Dans 75 % des cas, l’opticien qui est appelé consent à une prise en charge conforme au prix du marché et l’économie peut atteindre environ 10 %. » C’est l’option qu’a prise l’école de commerce Escem (lire ci-dessous).

L’étape supérieure dans le contrôle des prix est le recours aux réseaux de soins. Le groupe AG2R La Mondiale propose une plate-forme de santé dite « ouverte », Terciane : le contrôle sur les écarts éventuels entre les niveaux de remboursements attendus et la facture présentée se faisant a posteriori (en optique et chirurgie dentaire).

Tarifs prénégociés

Autre formule : des tarifs prénégociés au sein d’un réseau. Malakoff Médéric, en partenariat avec Harmonie Mutuelles, donne accès à ses 2 millions d’assurés à plus de 2 300 opticiens conventionnés. Une démarche qui permet de diminuer le reste à charge de ses assurés et de contenir l’évolution des cotisations. Pour les verres et lentilles, les tarifs y sont par exemple inférieurs de 30 % à 40 % en moyenne à ceux du marché et, pour les montures, la réduction minimale est de 10 %.

Sévéane, née d’un accord de partenariat entre Groupama et Pro BTP, adopte le même type d’approche pour ses 6 millions de bénéficiaires : « Il est trop tôt pour faire un bilan précis depuis le lancement de cette plate-forme début 2010, mais nous constatons dès à présent une réelle diminution du reste à charge des adhérents qui fréquentent le réseau », souligne Sidoine Delteil, chargé de mission santé à la direction institutionnelle et stratégique prévoyance-assurance de Pro BTP.

Du côté de Santéclair, société spécialisée dans la gestion du risque santé (6 millions d’assurés) qui, elle, a plus de dix années d’ancienneté dans le domaine, on observe que « les mentalités changent », car « l’utilisation du réseau sur les soins dentaires décolle depuis un an, avec une croissance de 40 % à 50 % de la fréquentation », se réjouit Marianne Binst, sa directrice générale.

Solution spécifique

Axa, qui travaille aussi avec un réseau de professionnels de santé, Itelis, a lancé une initiative dans le champ du médicament. L’assureur a mené avec la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurances) une expérimentation dénommée Inédit Santé, visant à rembourser différemment les médicaments selon des engagements contractuels, tout en préservant la confidentialité médicale. La Cnil a reconnu ces procédures, ce qui permettra à Axa France d’étendre son offre de remboursements adaptés à la consommation et aux besoins de ses assurés. « Nous serons par exemple en mesure de proposer des offres de remboursement de médicaments au prix du générique ou de prendre en charge des veinotoniques, déremboursés aujourd’hui, dans une entreprise employant des femmes travaillant debout », explique Patricia Delaux, directrice santé et prévoyance collective d’Axa France.

Une solution spécifique de maîtrise des dépenses peut exister dans le cadre de contrats couvrant des branches professionnelles : « La loi du grand nombre permet une solidarité inter­générationnelle et une mutualisation entre grandes et petites entreprises, souligne Philippe Rancé, directeur des marchés et accords nationaux à la direction assurance de personnes de Vauban Humanis. Les régimes, négociés avec les partenaires sociaux, peuvent bénéficier de cotisations bloquées sur deux ou trois ans. C’est le cas pour les conventions collectives de la poissonnerie, des architectes et des géomètres. L’équilibre des régimes y a été constaté, et cette stabilité a été obtenue par la non-dérive des prestations, notamment parce que tous les forfaits prévus n’ont pas été consommés en totalité. »

Prévention

Avec des effets sur le plus long terme, les initiatives en matière de prévention foisonnent. Malakoff Médéric, Vauban Humanis et D & O se sont par exemple associés pour lancer le programme de télémédecine Vigisanté, destiné à dépister, accompagner et suivre les personnes atteintes d’hypertension artérielle. L’objectif étant, à moyen terme, une réduction des dépenses prises en charge par l’assurance maladie et par les complémentaires. Vigisanté est déployé sur deux ans à compter de 2011, d’abord dans la région Nord-Pas-de-Calais, et il sera proposé à environ 13 500 salariés.

Pascal Ronzon, responsable grands comptes du groupe Apicil, signale de son côté que « 43 % des maladies sont liées à des styles de vie. Agir sur le mode de vie est donc un levier important de la prévention ». Un bus Apicil sillonne l’Hexagone afin de sensibiliser les assurés à différents thèmes : la grippe, la vaccination, la nutrition, les conduites addictives, la vue, etc.

L’ESSENTIEL

1 Les complémentaires santé affichent une hausse de 7 % à 8 % de leurs tarifs cette année.

2 Les enveloppes budgétaires limitées des employeurs les poussent à identifier finement les besoins des salariés et à recourir à divers outils de maîtrise des dépenses.

3 En 2011, les entreprises vont voir également leur facture prévoyance s’alourdir du fait de la réforme des retraites. Une raison supplémentaire d’être vigilantes sur leurs budgets protection sociale.

La réforme des retraites impacte les tarifs des contrats de prévoyance collective

→ La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites reporte l’âge d’ouverture des droits. En conséquence, la durée de versement des prestations des régimes de prévoyance collective s’allonge, car celles-ci sont versées jusqu’au jour de la liquidation de la pension vieillesse pour les arrêts de travail qui sont toujours en cours à cette date. Les salariés, qui vont certes cotiser plus longtemps (jusqu’à 62 ans au lieu de 60), vont aussi représenter une charge instantanée potentiellement supérieure à celle du reste du groupe.

→ La hausse de l’âge moyen des assurés multiplie la fréquence de tous les risques, y compris le risque décès ; et les prestations sont versées plus longtemps.

→ « La moyenne d’âge des salariés en arrêt de travail est de 50 ans. Par exemple, s’il fallait financer dix ans de prestations auparavant, à l’avenir ce sera douze ans, soit un montant accru de 20 % », illustre Pascal Broussoux, directeur des assurances de risques du Groupe AG2R La Mondiale.

→ Les assureurs ont estimé à 15 % en moyenne l’augmentation des cotisations “arrêts de travail”, les cotisations globales (arrêts de travail et décès) s’accroissant de 7 % environ. Le calendrier d’application peut varier d’un assureur à l’autre. Par exemple, le groupe AG2R La Mondiale a choisi de majorer ses tarifs à compter de la deuxième échéance trimestrielle de 2011. Novalis Taitbout répercutera cette hausse seulement à compter de l’exercice 2012.

→ « Les grandes entreprises font l’objet d’un suivi spécifique et disposent de détails sur le coût de leurs risques. Si leurs résultats sont excédentaires, elles ont intérêt à se faire conseiller pour ne pas subir d’augmentations tarifaires indues », prévient Yves Trupin, associé au cabinet d’actuariat conseil Winter & associés.

→ La loi a également prévu un provisionnement des prestations sur six ans, jusqu’en 2015. Pendant cette période, si une entreprise veut quitter son assureur, elle devra lui verser une indemnité correspondant à la différence entre le montant des provisions à constituer et celui des provisions effectivement constituées.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC