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LA PERFORMANCE EN PRIMES ?

Enquête | publié le : 31.05.2011 | CAROLINE FORNIELES

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LA PERFORMANCE EN PRIMES ?

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

Sans convaincre, la prime sur les dividendes a relancé le débat sur un meilleur partage des profits. Peu d’employeurs se sont engagés sur ce terrain. Et pourtant, ceux qui le font en tirent un réel bénéfice.

La question du partage plus équitable des profits dans les entreprises a ressurgi dans l’actualité. Contraint d’afficher des résultats en matière de pouvoir d’achat avant la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy a décidé d’imposer dès 2011 le versement d’une prime aux salariés des entreprises qui augmentent les dividendes versés aux actionnaires. Le projet de loi doit être voté avant début juillet par le Parlement. Il s’agit pour le président de la République de présenter un résultat concret sur le problème du partage des bénéfices. Une question qu’il n’a pas réussi à faire aboutir avec les partenaires sociaux en 2009, ni même en 2010, ne parvenant ni à fléchir le Medef, ni à convaincre les syndicats.

Un contexte social difficile

Cette réforme tient compte d’un contexte social difficile. La reprise ne bénéficie pas encore aux salariés, qui ont souffert pendant la crise. Au sortir des négociations annuelles obligatoires de 2011, l’évolution des rémunérations reste modérée (inférieure à 2,5 %). Et cette progression risque d’être absorbée par la hausse de l’inflation (+ 2,1 % depuis avril 2010). Le gouvernement exclut par ailleurs de donner un coup de pouce au smic pour ne pas casser une croissance encore timide.

« À l’inverse, on a vu les actionnaires recevoir des dividendes importants lors des assemblées générales des grands groupes qui viennent de se tenir, rappelle Philippe Portier, avocat au cabinet Jeantet Associés. Cela a donné le sentiment que la productivité bénéficie plus au capital qu’au travail. Ce malaise est aggravé par les écarts entre les salaires. Les rémunérations de plus en plus élevées du top management accentuent l’impression de déclassement des plus modestes. »

Cette “prime dividendes” apparaît comme une tentative de réconciliation entre le capital et le travail, dans la plus pure tradition gaulliste. Mais pourra-t-elle changer véritablement la donne ? Les représentants syndicaux en doutent ; comme le souligne Marcel Grignard de la CFDT, « aucun montant minimum n’a été affiché ». Et pour Mohammed Oussedik, de la CGT, cette prime, « qui pourra être décidée unilatéralement par le chef d’entreprise en cas d’échec des négociations, relève plutôt de l’aumône que du partage des richesses ». Il ajoute que « son caractère incertain est renforcé par le fait qu’elle pourra être versée sous une autre forme que du numéraire ».

Autre limite du dispositif pour les syndicats : le nombre de salariés concernés. Seuls 4 millions en seraient potentiellement bénéficiaires. Les PME de moins de 50 salariés ne seront tenues à aucune obligation, alors qu’elles emploient 2,3 millions de personnes. La prime devrait surtout concerner les salariés des grands groupes cotés au CAC 40. Et encore : seuls 25 d’entre eux, employant 720 000 salariés, entrent dans les critères du versement de la prime en 2011.

De même, les chefs d’entreprise doutent de l’intérêt d’un dispositif qu’ils jugent contestable sur le fond : « Ils supportent mal l’ingérence de la puissance publique dans leur liberté contractuelle, constate Philippe Portier. S’il est concevable de se voir imposer une hausse du smic au nom d’une politique sociale, être forcé de faire une sortie d’argent parce qu’on a décidé de bien rémunérer ses actionnaires leur apparaît douteux sur le principe. »

Les entreprises jugent la réforme superflue, puisque les outils du partage des profits existent déjà. Aux salaires peuvent en effet s’ajouter la participation, l’intéressement, l’épargne salariale, l’actionnariat salarié. Sauf qu’en 2011, ces dispositifs ne bénéficient toujours qu’à une minorité de salariés. Le rapport de Jean-Philippe Cotis, publié en juillet 2009, montrait déjà le chemin qu’il reste à parcourir : 57 % des profits sont redistribués en investissement et 36 % aux actionnaires. Restent 7 % aux salariés, via la participation et l’intéressement. Par ailleurs, l’accès à ces dispositifs et à l’épargne salariale reste l’apanage des grandes entreprises. Rebutées par la complexité de ces dispositifs et les modifications juridiques constantes auxquelles elles sont soumises, les PME de moins de 50 salariés les utilisent peu : 90 % des salariés en sont toujours exclus.

L’intérêt du partage équitable

Et pourtant, certaines entreprises donnent l’exemple. Et, si elles s’attachent à mieux partager la valeur ajoutée que d’autres, ce n’est pas seulement pour le « beau geste », elles y trouvent aussi leur intérêt. C’est le cas des 2 000 sociétés coopératives et participatives françaises qui emploient 40 000 salariés. « Le partage équitable des profits, c’est dans notre ADN, rappelle Patrick Lenancker, président de la Confédération générale des Scop. Avec un effectif moyen de 21 personnes, 98 % des Scop ont un accord de participation. Elles reversent 40 % à 45 % des résultats à l’ensemble des salariés. Des montants loin d’être négligeables, puisqu’ils représentent entre un et trois mois de salaire supplémentaire selon les Scop. » Cette redistribution est certes généreuse, mais sert aussi directement à leur développement.

Des salariés motivés et plus performants

« Les crédits de participation versés aux salariés sont bloqués pendant cinq ans. L’entreprise peut ainsi utiliser une partie de ces financements pour conforter ses investissements », explique le président de la Confédération des Scop. Le salarié peut se servir de sa participation pour acquérir des parts sociales de son entreprise. « Après deux ans d’ancienneté, 79 % des salariés des Scop sont associés au capital. On constate que ces salariés sociétaires qui participent aux décisions reçoivent au total 55 % des bénéfices. Résultat, l’entreprise y gagne en stabilité. Les salariés sont motivés et plus performants », résume-t-il. Ce modèle, qui assure aux Scop l’existence de fonds propres confortables, a permis aux coopératives de mieux résister à la crise que les autres PME. Elles peuvent plus facilement s’agrandir et se développer à l’international, à l’image de la SSII lyonnaise Alma (lire p. 26). Ce mode de fonctionnement facilite aussi la reprise d’une entreprise par des salariés. « Au bout de dix ans, une Scop sous-capitalisée peut consolider son capital et ses fonds propres et se développer », remarque Patrick Lenancker, qui invite les PME françaises à méditer sur ce modèle. Un avis que partage Jean-Marc Durand, directeur adjoint de l’exploitation d’Oseo, organisme de soutien aux PME : « Seules 4 % se sont lancées dans la participation. Si elles la développaient à la même hauteur que les Scop, elles pourraient bénéficier de 3 milliards d’euros de capacité d’investissements supplémentaires. Ce serait une aide colossale pour leur développement ! »

Ces arguments ont été moteurs dans la décision de Poclain Hydraulics (1 500 salariés, dont 500 en France) d’assurer un meilleur partage des profits. « C’était aussi une tradition familiale », rappelle son Pdg Laurent Bataille. Outre la participation et l’intéressement, le groupe a développé un plan de Profit Sharing pour ses filiales étrangères : « Nous redistribuons 20 % du résultat net annuel consolidé du groupe en France et à l’étranger, ajoute Alain Everbecq, DRH de l’entreprise. Cela représente en moyenne un mois et demi de salaire. »

Les augmentations de capital ont été également ouvertes aux salariés : « 14 % détiennent désormais des actions de l’entreprise. Une moitié sous forme d’actionnariat direct, l’autre de façon indirecte au travers du fonds commun de placement investi en titres de l’entreprise », précise-t-il. Laurent Bataille constate, de ce fait, une cohésion des salariés autour de l’avenir de l’entreprise : « Au moment où nous étions en très mauvaise posture du fait d’une chute très importante de nos commandes, les salariés ont accepté une baisse momentanée de salaire en 2009. Cela nous a permis de conserver les effectifs. »

Partage des profits chez Dassault

C’est aussi cette recherche d’une plus forte implication des salariés qui avait amené Serge Dassault (lire Entreprise & Carrières n° 995 du 30 mars 2010) à développer son modèle de partage des profits, désormais popularisé par Nicolas Sarkozy : le bénéfice est redistribué à hauteur d’un tiers pour les actionnaires, d’un tiers pour les salariés et d’un tiers pour l’investissement. Le 11 mai, lors du colloque de Fondact organisé au Sénat, il a rappelé le contexte : « Très marqué par 1968, il me semblait important d’assurer une certaine paix sociale dans l’entreprise. Et il m’a paru évident que les salariés devaient avoir l’impression de travailler aussi pour eux. Pour cela, il fallait qu’ils obtiennent autant que les actionnaires. Cela a permis de créer une relation plus directe avec mes salariés et d’être moins soumis à la pression des syndicats. »

À côté de la participation et de l’intéressement, les grands groupes, à l’image d’Axa (lire p. 24), misent aussi de plus en plus sur l’actionnariat salarié : « Outre l’intérêt financier pour les salariés, cela apporte de la stabilité », estime Henri Lachmann, président du directoire de Schneider Electric, où 5 % des salariés sont désormais actionnaires. « Les salariés actionnaires ont en effet un véritable souci de l’avenir de leur entreprise. Une attention que le monde de la finance moderne, qui vend et achète des milliers d’actions en une seconde, ne peut plus garantir. »

Dispositifs exemptés de charges

Les confédérations syndicales ne sont plus radicalement opposées au développement de la participation, de l’intéressement ou de l’épargne salariale. Et, malgré la création de la prime sur les dividendes, elles poursuivent leurs négociations avec le Medef pour trouver des modalités plus pertinentes de partage de la valeur ajoutée. Reste que, pour les syndicats, la meilleure façon de partager les profits reste la juste rémunération des salariés. « Il faut être vigilant sur ces dispositifs, qui ont parfois tendance à se substituer aux salaires, commente ainsi Stéphane Lardy, de FO. Or ces dispositifs sont exemptés de charges sociales, ce qui fragilise la protection sociale. » Enfin, les syndicats se méfient des critères choisis pour l’intéressement : « Des critères de productivité, certes consentis par les salariés, mais qui peuvent aussi accentuer la pression au travail », conclut-il.

L’ESSENTIEL

1 Les employeurs et les syndicats jugent que la prime sur les dividendes répond mal à l’objectif d’un meilleur partage de la valeur ajoutée.

2 Avec les outils existants – participation, intéressement et épargne salariale –, certaines entreprises ont réussi à mieux partager les profits.

3 Loin d’être un acte de générosité, cette politique d’équité renforce l’entreprise. Outre la cohésion des salariés, elle permet de disposer de plus de fonds propres.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES