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Enquête

INQUIÉTUDES AUTOUR DE LA PRIME SUR LES DIVIDENDES

Enquête | publié le : 31.05.2011 | C. F.

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INQUIÉTUDES AUTOUR DE LA PRIME SUR LES DIVIDENDES

Crédit photo C. F.

Appelée à être mise en œuvre dès 2011, la prime sur les dividendes déstabilise les employeurs par son calendrier serré, ses modalités peu adaptées à l’international et l’absence de prise en compte des efforts de redistribution déjà réalisés. Les syndicats craignent, pour leur part, des effets néfastes sur les politiques de rémunération.

La prime sur les dividendes est sur les rails. Les critiques nourries des partenaires sociaux n’ont pas freiné ce projet, dont l’objectif affiché est de mieux répartir les profits entre le capital et le travail. Moins d’un mois après les annonces de Nicolas Sarkozy, un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR) a été mis sur pied. Examiné en urgence par le Parlement, il sera adopté au plus tard début juillet pour une promulgation dans la foulée, vraisemblablement courant août.

Une prime non budgétée

Les entreprises concernées sont celles qui sont déjà tenues de verser la participation, c’est-à-dire celles de plus de 50 salariés. Si le montant par action est en augmentation par rapport à la moyenne des deux exercices précédents, il faudra négocier une prime dans les trois mois suivant l’assemblée générale des actionnaires. En cas de désaccord avec les syndicats, le chef d’entreprise fixera unilatéralement le montant de la prime. Le projet de loi impose de tenir compte des dividendes de 2011 qui concernent l’exercice désormais clos de 2010 et oblige les entreprises à négocier dans les trois mois suivant la promulgation de la loi.

Les chefs d’entreprise, qui voient dans ce dispositif une entorse à leur liberté contractuelle, s’inquiètent aussi de sa faisabilité. « Ce sera complexe d’aller aussi vite, s’énerve Henri Lachmann, président du directoire de Schneider Electric, d’autant que cette prime n’a pas été budgétée par les entreprises pour 2011. »

Pour tenir les délais, certaines sont tentées d’anticiper le dispositif, sans être sûres pour autant de se situer dans les clous. C’est le cas d’Airbus, qui a décidé de verser une prime de 800 euros à tous ses salariés en 2011. Le DRH, Thierry Baril, considère que cette prime pourrait correspondre au dispositif gouvernemental, mais se dit prêt à négocier si tel n’était pas le cas. Bref, il faudra clarifier la situation après la promulgation de la loi. Les syndicats lui ont d’ores et déjà signifié qu’ils demanderaient une nouvelle négociation pour 2011 si les dividendes d’EADS sont bien en hausse sur deux ans.

Les employeurs critiquent également sa pertinence. D’abord parce qu’ils estiment que la croissance des dividendes n’est pas un indicateur fiable des résultats : « Une croissance des dividendes n’est pas toujours synonyme de croissance des profits. Les dividendes peuvent varier parce qu’un groupe a voulu antérieurement consolider son capital propre ou parce qu’il les avaient gelés précédemment du fait de la crise par exemple », rappelle Gilles Briens, avocat associé du cabinet Froment Briens (lire l’interview p. 27). « L’autre problème de taille est que les entreprises ne font pas leur résultat uniquement en France, souligne Henri Lachmann. Ainsi, dans notre groupe, seuls 15 % de nos salariés sont français. Comment justifier qu’ils puissent bénéficier d’une prime qui ne sera pas accordée aux étrangers ? Et que dire si les bénéfices émanent justement des sites étrangers ? »

Conditions de redistribution ignorées

Les dirigeants d’entreprise et leurs DRH considèrent que le dispositif ne tient pas véritablement compte des efforts de redistribution déjà réalisés vis-à-vis des salariés.

« Chez nous, la participation et l’intéressement sont souvent supérieurs à un mois de salaire. Et nous avons 5 % d’actionnariat salarié, indique ainsi Henri Lachmann. Est-ce qu’on tiendra compte de ces efforts Ou serons-nous logés à la même enseigne que ceux qui ne font rien ? » Même réaction chez Rhodia, où l’on a accordé en 2011 un peu plus de 3 % de hausse de salaires et versé 2 500 euros d’intéressement en moyenne aux salariés français. De même, Patrick Lenancker, président de la Confédération générale des sociétés coopératives et participatives (Scop) estime que « cette prime, qui ne règle rien sur le long terme, pourrait pénaliser les coopératives, qui offrent déjà les conditions les plus avantageuses en termes de redistribution ».

Un projet déstabilisant

Le projet de loi prévoit que ne seront pas soumises à l’obligation de négocier la prime les entreprises qui auront versé, au cours de l’année, « un autre avantage pécuniaire non obligatoire », mais il devra avoir été accordé en contrepartie de « l’augmentation des dividendes ». Un argument qui est rarement présent dans les accords de participation dérogatoire, d’intéressement ou dans les plans de distribution gratuite d’actions.

« Des entreprises qui redistribuent déjà correctement les bénéfices via la participation, l’intéressement et l’actionnariat salarié sont effectivement déstabilisées par cette prime, témoigne Hubert Clerbois, président d’EPS Partenaires. Un de mes clients, soucieux du coût futur de la prime, a renoncé à conclure l’accord d’intéressement initialement prévu. »

L’inquiétude est partagée côté syndical. Le gouvernement ayant fait miroiter un montant de 1 000 euros, ils anticipent des déceptions quant au montant de la prime finalement allouée, d’autant qu’elle pourra ne pas être versée sous forme de cash. Ils craignent également qu’elle vienne interférer avec les négociations salariales : « Même si le texte l’exclut sur le principe, la prime pourrait limiter les hausses de salaire, car les moyens sont restreints dans les entreprises. Cette forme de rémunération exemptée de charges sociales jusqu’à 1 200 euros pourrait susciter des convoitises », estime Mohammed Oussedik de la CGT. De ce fait, toutes les organisations syndicales dénoncent le risque d’appauvrissement des comptes sociaux : « C’est une nouvelle initiative qui appauvrit notre protection sociale », ajoute Marcel Grignard de la CFDT. Pour cette raison essentielle, les conseils d’administration des caisses de sécurité sociale ont donné un avis négatif au projet de loi courant mai.

Une nouvelle niche sociale

Sans cacher « qu’on crée encore une nouvelle niche sociale », le rapporteur de ce projet de loi, Yves Bur, député UMP du Bas-Rhin, précise que 375 millions d’euros de ressources nouvelles annuelles sont tout de même attendues pour la Sécurité sociale, puisque la prime est soumise au forfait social et à la CSG. « Ne soyons pas naïfs, il y aura des effets d’aubaine, relève Marie Saunier, experte CE du cabinet Tandem. Il aurait été plus intéressant pour la Sécurité sociale et les salariés d’augmenter les rémunérations qui sont soumises à cotisations sociales. »

Pour les syndicats, la seule bonne réponse au problème du pouvoir d’achat aurait été de donner un coup de pouce au smic. « Malheureusement, c’est exclu, déplore Stéphane Lardy de FO. Cela nous aurait pourtant permis de négocier avec les branches des grilles de salaires supérieurs au smic, mais aussi d’augmenter par contagion les salaires intermédiaires qui sont aujourd’hui très contraints. » N’est attendue en juillet que l’augmentation mécanique du smic pour compenser l’inflation, comme le prévoit la loi.

Auteur

  • C. F.