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« Il faut en finir avec les mesures d’âge »

Enjeux | publié le : 31.05.2011 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Il faut en finir avec les mesures d’âge »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Alors que désormais il faudra travailler plus longtemps, les grandes entreprises n’ont pas rompu avec les pratiques de départs anticipés. S’engager sur la fin des mesures d’âge serait un signal fort donné à l’ensemble des salariés et améliorerait la prise en compte des seniors dans l’entreprise.

E & C : Le report de l’âge légal de la retraite, l’obligation de conclure des accords seniors : ces mesures ont-elles changé le regard et les pratiques vis-à-vis des seniors dans l’entreprise ?

Serge Guérin : Cela a permis de réinscrire dans l’agenda des DRH une problématique déjà ancienne, mais qui n’a presque jamais été traitée autrement que par des mesures d’âge. Les DRH ont pu ainsi alerter leur direction sur la nécessité de traiter ce sujet avec davantage d’anticipation. Voilà pour l’aspect positif. Mais, pour le moment, les pratiques n’ont guère changé, et le recours aux mesures d’âge dans les grandes entreprises est souvent la règle. Dans les petites structures, la rupture conventionnelle ou l’arrêt maladie de longue durée jouent de plus en plus souvent ce rôle. Il faut peut-être travailler deux ans de plus, mais la réalité, c’est que 60 % des 55-64 ans ne sont plus en emploi. Au fur et à mesure que l’espérance de vie a augmenté, l’espérance professionnelle s’est réduite… En notant que les disparités sociales influent sur l’espérance de vie.

E & C : Pas d’innovations non plus dans les accords seniors ?

S. G. : Majoritairement conclus sans négociations, parfois à la hâte à cause de la menace de l’amende s’ils n’étaient pas signés à temps, ces plans seniors sont souvent un packaging de ce qui se faisait déjà : bilans de compétences, attention à la santé, développement des compétences. Il y a eu beaucoup de “greywashing” ! Pratiquement aucun plan ne s’engage sur le recrutement de seniors. Dans le meilleur des cas, c’est du maintien. Et on retrouve aussi des mesures avançant la sortie de l’emploi comme l’utilisation des comptes épargne temps ou le regroupement des heures supplémentaires pour partir trois ou six mois avant l’âge légal. J’ajouterais que ces plans ont officialisé le fait que l’on commence à être senior à 45 ans, ce qui n’a pas toujours été bien vécu. Des personnes ont reçu un courrier les informant, sans préparation, qu’ils étaient seniors et convoqués à un entretien de deuxième partie de carrière. Cela renvoie encore davantage de salariés dans ce no man’s land un peu douloureux de la “senioritude”. Et dans senioritude, il y a solitude ! Le paradoxe, c’est que, lorsqu’on entre à 25 ans dans une entreprise, il reste plus de temps à travailler après 45 ans qu’avant.

E & C : Quels sont les freins au maintien dans l’emploi des seniors et comment les lever ?

S. G. : Au-delà des représentations négatives qui s’attachent encore aux seniors, le problème de fond réside dans la culture de la productivité qui élimine une partie de la population – et pas seulement les seniors – de l’emploi. Quand un système repose sur la culture de la productivité, du rendement à court terme, de la performance, il fragilise nécessairement beaucoup de personnes. Il dévalorise aussi des éléments comme l’expérience et le relationnel. Concrètement, cela renvoie aux conditions de travail et à la pénibilité. Comment agir pour permettre aux personnes de travailler dans de bonnes conditions et plus longtemps ? Dans certaines entreprises, il y a la volonté de créer ou de remobiliser des observatoires des conditions de travail pour mieux qualifier les connaissances, comprendre quelles sont les pénibilités. La prévention devient un sujet clé, qui commence à être intégré, en sachant que la prévention doit commencer le plus tôt possible. J’observe que, plus l’entreprise, est sur des domaines d’expertise, plus elle a besoin de fidéliser les seniors compétents et plus elle est intelligente sur ce sujet. La question peut être cruciale aussi dans les PME qui se posent la question du remplacement des personnes qui partiront à la retraite.

E & C : Quelles sont vos préconisations pour manager les seniors ?

S. G. : Cela passe par l’anticipation et l’innovation. L’anticipation nécessite d’avoir un regard intergénérationnel. À quoi sert-il d’investir énormément sur des hauts potentiels et de leur offrir des postes élevés dès 30 ans, s’ils constatent qu’ils n’auront plus d’opportunités après 45 ans ? Ils quitteront l’entreprise. Si on veut adresser un bon signal aux trentenaires, il faut offrir des perspectives aux quinquagénaires.

Autre aspect : travailler sur la notion de prévention des compétences. La meilleure façon d’accélérer le vieillissement d’un salarié dans l’entreprise, c’est de ne pas le former. Mais il ne s’agit pas seulement de le former aux gestes techniques de son emploi. Il faut aussi le former à une compréhension du monde. Il est frappant de constater l’absence de vision de beaucoup de cadres de leur environnement économique, social, démographique, culturel… Or l’environnement, c’est aussi la rupture démographique, le vieillissement de la population. Cette évolution culturelle majeure n’est pas suffisamment analysée dans l’entreprise. Pourtant, si on réfléchit à 35 ans au fait qu’il y aura de plus en plus de gens âgés, cela force à se projeter aussi soi-même dans cet avenir.

Je pense aussi qu’une entreprise doit s’engager à ne pas prendre de mesures d’âge en cas de difficultés. Elle pourra prendre d’autres mesures comme, par exemple, une réduction de la durée du travail pour l’ensemble des salariés. D’un seul coup, ceux de 45 ans augmentent de dix ans leur espérance de vie dans l’entreprise et ne se projettent pas de la même façon. Le message qui leur est adressé est : « On compte sur vous ».

E & C : Les DRH sont-ils mobilisés sur ce sujet ?

S. G. : Certains responsables RH ont bien compris l’enjeu qu’il y a à mobiliser le corps social de l’entreprise sur ce sujet. Ils sont sans doute les principaux vecteurs de sa transformation et de sa meilleure compréhension de l’environnement.

L’entreprise n’est pas toute seule. Pendant longtemps, mettre les seniors dehors en le faisant payer par la collectivité, c’était la solution de facilité. Aujourd’hui, les collectivités refusent plus fortement qu’avant cette situation d’éviction.

L’entreprise doit comprendre qu’elle est un des éléments de la solution.

PARCOURS

• Sociologue, Serge Guérin est professeur à l’École supérieure de gestion.

• Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Manager les quinquas (publié en 2005 et réédité en 2009, Ed. d’Organisation), De l’État providence à l’État accompagnant (Ed. Michalon, 2010). Il vient de publier, avec Thierry Calvat, Le Droit à la vulnérabilité. Manager les fragilités en entreprise (Ed. Michalon). Il est l’un des 50 chercheurs ayant participé à l’ouvrage collectif préfacé par Martine Aubry : Pour changer de civilisation (Odile Jacob, 2011).

• Serge Guérin animera les 15, 29 juin et 6 juillet 2011, des groupes de travail de l’association Anvie sur le thème “Manager les seniors : anticiper et innover”.

LECTURES

• Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, Ed. Liber, 2011.

• Les Grandes Figures du management, Marc Mousli, Ed. Les Petits Matins, 2010.

• La Femme rompue, Simone de Beauvoir, Gallimard, 1967 (édition de poche Folio, 2000).

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET