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Négociations transnationales cherchent négociateurs

Pratiques | publié le : 17.05.2011 | MARIETTE KAMMERER

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Négociations transnationales cherchent négociateurs

Crédit photo MARIETTE KAMMERER

La nouvelle directive de Bruxelles sur les comités d’entreprise européens (CEE) entrera en vigueur au mois de juin. Elle ne prévoit pas de donner un pouvoir de négociation à ces instances. Les entreprises qui veulent signer des accords-cadres internationaux identifient néanmoins des négociateurs, notamment en impliquant les CEE.

Les accords-cadres internationaux (ACI) ou européens (ACE) signés par des entreprises multinationales existent depuis une dizaine d’années. Leur nombre est en progression régulière, et on compte actuellement 80 ACI signés par au moins une fédération syndicale internationale et un nombre équivalent d’ACE. « Généralement, les entreprises engagées dans une démarche de négociation transnationale n’en restent pas à un seul accord, elles les renouvellent, les étendent et les approfondissent », note Isabel da Costa, économiste à l’IDHE-ENS Cachan. Par exemple, en 2009, EDF a étendu la portée de son accord mondial RSE à ses filiales minoritaires, après l’avoir appliqué à ses filiales majoritaires.

Si le contenu des accords était au départ très général, il tend aujourd’hui à être davantage concret (lire encadré). Mais reste une question essentielle : avec qui négocier ? Les entreprises ont acquis un savoir-faire, mais leurs avis et leurs pratiques divergent quant aux choix des interlocuteurs. Car il n’y a aucune règle de droit en la matière. Les entreprises peuvent négocier avec, au choix, une ou plusieurs fédérations syndicales internationales et/ou européennes de branche, le comité de groupe ou le comité d’entreprise européen (CEE) et enfin des syndicats nationaux de différents pays.

Or on constate que le CEE est associé à la signature d’une majorité d’accords européens, et qu’il est, dans la plupart des cas, le seul signataire avec la direction. « C’est une facilité pour les entreprises, explique Isabelle Beauvais, directrice de projets à Entreprise et Personnel, car le CEE est un interlocuteur bien connu de la DRH et très au fait des activités et des enjeux du groupe. »

Il faut cependant rappeler que le CEE n’a pas de mandat pour négocier des accords, mais seulement un droit d’information-consultation, comme l’a confirmé la nouvelle directive CEE adoptée en mai 2009 et qui entre en vigueur en juin prochain. « Pourtant, les CEE ont acquis une expérience et une compétence en matière de négociation transnationale, qui leur donne une certaine légitimité, indique élodie Béthoux, chercheur à l’ENS Cachan. Ils sont souvent à l’origine des accords et en assurent également le suivi. »

Une prérogative des syndicats

Certaines organisations, comme la Fiom (Fédération internationale des travailleurs de la métallurgie), la CGT et la CES (Confédération européenne des syndicats) sont réservées sur ce rôle croissant des CEE, estimant que la signature d’accords est une prérogative des syndicats. Des fédérations européennes, désireuses de reprendre la main, ont même instauré des règles internes de mandatement par leurs syndicats affiliés. C’est le cas de la Fédération européenne des métallurgistes (FEM). « A GDF Suez, les trois fédérations européennes (EPSU – services publics –, FEM, EMCEF – mines, chimie, énergie) ont retenu une règle commune : n’ouvrir une négociation sur un sujet, puis ne signer l’accord que si au moins les deux tiers des organisations affiliées dans chaque pays concerné y sont favorables, explique Robert Textoris, négociateur FNME-CGT pour GDF Suez. Des négociateurs sont proposés par les OS affiliées et désignés par les fédérations. » Les fédérations syndicales ne sont pas les seules à s’organiser. Les directions d’entreprise aussi instaurent des règles pour encadrer la négociation d’accords européens et la désignation des négociateurs. C’est le cas du groupe EADS, qui a conclu en septembre 2010 un accord de méthode sur le sujet.

Certaines entreprises, enfin, choisissent de négocier directement avec les syndicats nationaux des différents pays concernés, en plus des fédérations européennes ou internationales. C’est le cas d’EDF, dont l’accord mondial sur la RSE a été signé par 17 organisations. « C’était une condition : on voulait que les OS nationales gardent la main sur le contenu de l’accord et se l’approprient ; c’est très important pour qu’elles puissent ensuite le mettre en œuvre localement », insiste Pascal Lambolez, membre CGT du comité de suivi de l’accord.

Difficultés de mise en œuvre et de suivi

« Or la mise en œuvre et le suivi des engagements sur le terrain demeurent la principale difficulté de ces accords », rappelle François Fatoux, délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Peu connu, le contenu de ces accords est souvent mal appliqué. « On s’est aperçu lors de visites dans des filiales en Europe que les salariés et même les représentants locaux ne connaissaient pas l’existence de l’accord sur la santé et la sécurité », rapporte Robert Textoris, à GDF Suez.

Là aussi, des progrès existent. PSA a traduit son accord RSE en 21 langues pour en faciliter la diffusion. Thales a même associé la fonction RH à la préparation d’un de ses derniers accords européens et au recensement des bonnes pratiques dans différents pays. « C’est le meilleur moyen de faciliter ensuite son déploiement sur le terrain », note Isabelle Beauvais. EDF prévoit des comités de suivi dans chaque pays, un bilan annuel des actions menées réalisé par chaque filiale, puis soumis à l’appréciation des syndicats.

La plupart des accords récents prévoient des indicateurs chiffrés de suivi : « Le problème est que ces indicateurs sont ceux qui intéressent la direction pour son reporting social, regrette Robert Textoris. à GDF Suez, le comité de suivi n’a pas les moyens de conduire des expertises indépendantes sur des indicateurs qui l’intéressent. » à EDF, justement, le comité de suivi a obtenu des moyens pour exercer son rôle : possibilité de mandater un militant pour conduire une enquête chez un sous-traitant, déplacements payés, ce qui lui a permis récemment de suivre le chantier d’un barrage au Laos et celui de l’EPR à Flamanville. Certes, des progrès restent à faire, les entreprises tâtonnent encore, mais les effets de ces accords ne sont pas nuls : « Même si cela reste discret, ces accords fonctionnent, ils enrichissent le dialogue social et permettent le règlement en interne des conflits, constate Isabel da Costa. Les entreprises qui les signent y sont très attachées. »

L’ESSENTIEL

1 Les entreprises signent de plus en plus d’accords-cadres internationaux ou européens.

2 Le contenu de ces accords est davantage opérationnel qu’auparavant.

3 Il manque toujours un cadre juridique pour fixer un lieu de dialogue social et le choix des interlocuteurs.

CONTENU DES ACCORDS
Des grandes intentions à l’opérationnel

Les accords-cadres internationaux ou européens les plus récents englobent souvent les fournisseurs et sous-traitants, faisant du respect des engagements un critère de sélection (EDF), le non-respect pouvant entraîner la rupture des relations commerciales (Rhodia, EDF, Arcelor).

Les thèmes des ACI demeurent très larges : responsabilité sociale, droits sociaux fondamentaux, protection sociale, santé-sécurité, protection de l’environnement. « En revanche, les accords-cadres européens traitent de questions plus concrètes et relativement nouvelles », note Jean-Jacques Paris, consultant du cabinet Secafi : l’anticipation du changement (Alstom, février 2011), la GPEC (Areva, mars 2011), l’entretien annuel d’évaluation (Thales, 2010), l’égalité professionnelle (en cours à GDF-Suez).

Et le CEE de France Télécom a mandaté le cabinet Secafi pour examiner la question des risques psychosociaux à l’échelle européenne.

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER