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LA GÉNÉRATION Y BOUSCULE LES PRATIQUES RH

enquête | publié le : 10.05.2011 | ELODIE SARFATI

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LA GÉNÉRATION Y BOUSCULE LES PRATIQUES RH

Crédit photo ELODIE SARFATI

Donnant-donnant : c’est ainsi que les 20-30 ans concevraient leur rapport aux entreprises. Certaines adaptent leurs politiques de recrutement, d’intégration ou de gestion des carrières pour mieux répondre à ces nouveaux comportements et attentes.

Une pièce de théâtre d’entreprise mettant en scène le décalage entre le jeune Kevin, 26 ans, et son collègue quinqua*, de nombreux ouvrages avec leurs blogs dédiés, des tribunes et articles de presse, une multitude de conférences RH, comme le forum “18-32 ans, comment agir dans nos entreprises ?” organisé l’automne dernier par l’Aract Centre, l’IAE de Tours, le CJD, l’ANDRH et DCF (Dirigeants commerciaux de France) en réponse aux préoccupations exprimées par les adhérents de ces réseaux… : pas de doute, après être un peu retombée pendant la crise, la question du management des jeunes – l’incontournable génération Y – revient en force et continue d’interroger les DRH.

Existerait-il un “péril jeune” dans les entreprises ? « Plutôt une opportunité à saisir pour repenser son attractivité, sa gestion des carrières et ses modes de management, corrige Julien Pouget, consultant et formateur. Car, si on peut parler d’effet de mode autour de la génération Y, celle-ci est tout de même sous-tendue par un phénomène réel : l’arrivée massive des jeunes dans l’entreprise – c’est la génération la plus nombreuse après celle des baby-boomers –, et un chassé-croisé générationnel d’ampleur dans les prochaines années. »

Concurrence féroce

D’ici à 2015 par exemple, 25 % à 30 % des effectifs d’EDF devraient partir à la retraite, faisant du renouvellement des compétences un enjeu stratégique de l’entreprise, et du management des jeunes une question désormais posée en interne (lire p. 29). D’autant que la concurrence pour attirer les jeunes pourrait redevenir féroce dans certains secteurs et pour les plus diplômés. D’après les projections de l’Apec, les recrutements de cadres devraient dépasser en 2014 leur niveau de 2008. Et, en 2011, les jeunes de moins de cinq ans d’expérience devraient déjà constituer 50 % des embauches de cadres.

Les employeurs ont donc intérêt à se mettre dès maintenant au diapason des aspirations d’une jeunesse qui, d’après les observateurs, rompt ouvertement avec certains codes de l’entreprise. Envie d’apprendre mais aussi d’évoluer rapidement, remise en question de l’autorité hiérarchique traditionnelle et besoin de reconnaissance, implication forte dans le travail et revendication d’un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle… feraient, entre autres, partie des déterminants de cette génération, par ailleurs biberonnée à l’Internet et connectée en permanence.

Au-delà de ces caractéristiques, c’est le rapport à l’entreprise qui a changé, schématise Daniel Ollivier, directeur associé du cabinet Thera Conseil : « Les jeunes sont dans une relation gagnant-gagnant. Ils ne sont plus dans la course au statut comme leurs aînés, mais veulent vivre des expériences intéressantes, apprendre de nouvelles choses et éviter la routine. » La mobilité devient alors une « valeur clé », comme le montrait une étude de l’Apec de fin 2009 sur la génération Y.

La fidélité n’est plus acquise

« Ils ont inversé le paradigme, insiste Julien Pouget. Alors qu’il y a encore dix, quinze ans, on intégrait une entreprise pour y rester, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La fidélité n’est plus acquise, elle se gagne. » Et vite : « Au bout de douze ou dix-huit mois d’activité, les jeunes cadres vont faire un premier bilan et, s’ils ne s’estiment pas satisfaits, chercheront un autre emploi sans états d’âme », constate Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec. Dans les entretiens de recrutement, « la question : combien de temps pensez-vous rester chez moi ?, est devenue cruciale », note de son côté Christian Darantière, directeur délégué de l’Afij (Association pour faciliter l’insertion des jeunes diplômés).

Bien sûr, ces comportements ne sont pas généralisables à l’ensemble d’une classe d’âge, concernent surtout les diplômés et sont ressentis à des degrés divers par les DRH. Mais certaines entreprises, interpellées, ont revu leurs pratiques. Ainsi, pour le recrutement, « l’hyper-utilisation par les jeunes des réseaux sociaux nous a incités à nous adapter, confie Jean-Noël Thiollier, directeur de l’emploi à Disneyland Paris. Nous avons notamment ouvert une page Facebook pour relayer nos événements de recrutement, et formé tous les chargés de recrutement à la gestion des médias sociaux. Cela nous oblige à encore plus de rigueur : si vous dites à un candidat que vous le contacterez dans trois jours et que, deux semaines après, il n’a pas de nouvelles, cela se sait tout de suite. »

Chez HSBC, un job dating a pour la première fois été organisé l’an dernier. Plus de 200 candidats ont été reçus. « La jeune génération se mobilise sur des temps courts et est demandeuse de retours rapides. C’était pour nous une façon d’y répondre et un bon moyen pour accrocher les jeunes avec deux ou trois ans d’expérience », relate Pascale Martin-Sauty, directrice du développement RH.

Mettre en place une véritable intégration

HSBC a également refondu son processus d’intégration des nouveaux embauchés, tout comme Auchan, qui a même construit un parcours sur quatre ans (lire p. 28 et 29). « Il faut que les entreprises soient attentives à mettre en place une véritable intégration, qu’elles montrent dès les premiers jours ce qu’elles peuvent apporter aux jeunes », estime Isabelle Freundlieb, chargée de mission à l’Aract Centre. Autre politique RH que la génération Y invite à redynamiser, la mobilité interne, comme le fait Kiabi (lire p. 27). « Dès l’entretien d’embauche, les ingénieurs et cadres nous demandent quelle sera la prochaine étape dans leur carrière, confie Paule Viallon, la DRH du groupe Fives (lire encadré ci-après). C’est une génération qui a besoin de perspectives. Les jeunes sont prêts à attendre, mais il faut être capable de leur expliquer pourquoi, de leur dire comment ils pourront évoluer ensuite et accepter de les faire bouger plus vite. » Une politique plus difficile à mener pour une PME. Avec 70 salariés, IDTGV mise donc sur l’ambiance de travail et le développement des compétences (lire p. 30).

Enfin, note Julien Pouget, « les formations sur les relations intergénérationnelles à destination des managers se développent ». Disneyland Paris organise ainsi des conférences pour les cadres sur les nouvelles attentes des jeunes, pour les aider à « adapter leurs pratiques managériales, explique Jean-Noël Thiollier. Nous invitons tous les mois un manager et un jeune de son équipe à parler de leur relation au travail et à échanger avec les autres participants ».

Mais peut-on voir derrière ces évolutions un véritable chamboulement à l’œuvre dans les entreprises ? Rien n’est moins sûr, car il s’agit bien souvent de remettre au goût du jour des pratiques qui, ces dernières années, « étaient passées au second plan », constate Isabelle Freunlieb. Comme les plans d’intégration : une étude de l’Apec réalisée en 2010 montre que, si globalement les cadres débutants se sentent bien accueillis, un tiers affirment tout de même que leur poste (bureau, ordinateur) n’était pas préparé le jour de leur arrivée.

Pour Jean Pralong, professeur en GRH à Rouen Business School, « il ne faut pas imaginer que des hordes de jeunes déferlent dans les bureaux, où ils pourraient imposer de nouveaux modes de travail ! Les entreprises ont une capacité forte à normaliser les comportements. Et, lorsqu’elles mettent en place des actions RH pour fidéliser les jeunes, cela s’adresse en général à une petite partie des salariés qu’elles jugent stratégiques. Pour les autres, elles sont plutôt à la recherche de flexibilité ». Catherine Glée, directrice du master RH et organisation de l’IAE de Lyon, constate de son côté un fort décalage entre les intentions et les pratiques : « 70 % des DRH jugent nécessaire de mettre en place des réponses adaptées aux attentes des jeunes, mais un quart seulement le font. Et, lorsqu’elles existent, les actions restent sur des modèles classiques, top down et individualisés, comme le tutorat pour les nouveaux entrants, l’aide aux démarches administratives personnelles, etc. Mais elles laissent de côté ce qui pourrait renforcer le collectif de travail, l’enrichissement de tâches ou la quête de sens auxquels les jeunes aspirent. Or je suis persuadée que cette génération ne se coulera pas dans le moule de l’entreprise comme l’a fait la génération post-68, car ses attentes sont en phase avec l’évolution de la société. Au contraire, c’est l’entreprise qui va devoir adapter son moule. » Pour la plus grande satisfaction des jeunes… mais aussi de leurs aînés.

* Là où y’a de la Gen Y, y’a parfois du plaisir, de Frédéric Levy.

L’ESSENTIEL

1 Alors que dans les prochaines années beaucoup d’entreprises vont devoir renouveler leurs effectifs, les DRH s’interrogent sur les attentes et le rapport au travail de la jeune génération.

2 Celle-ci se caractérise notamment par une plus forte mobilité, en particulier chez les cadres, qui, dans un marché de l’emploi favorable, changent plus facilement d’employeur pour construire leur parcours.

3 L’aspiration des 20-30 ans à évoluer rapidement pousse certaines entreprises à revoir leurs politiques d’intégration et de gestion des carrières pour mieux les fidéliser.

FIVES ENTRETIENT LA FLAMME DE LA MOBILITÉ

Dans le groupe d’ingénierie Fives (3 000 salariés en France), la DRH maintient le lien avec ses jeunes salariés. Chaque nouvel embauché bénéficie ainsi d’un entretien avec un membre de l’équipe RH six à dix-huit mois après son intégration. Mais Fives est allé plus loin et a conçu, il y a trois ans, “l’accélérateur de carrière”. Des rendez-vous, à la demande des salariés, mais aussi à l’initiative de la RH : « Nous rencontrons les professionnels prometteurs – autrement dit, des salariés dont le potentiel a été repéré lors des comités de carrière annuels que mènent les différentes sociétés du groupe – pour évoquer avec eux leurs éventuels souhaits de mobilité, explique la DRH, Paule Viallon. Ces entretiens – nous en avons mené 60 à 80 en 2010 – se font sans que la hiérarchie directe soit impliquée (seule la DG de la filiale est informée), voire en toute confidentialité, lorsque les salariés nous sollicitent, ou lorsque nous voulons leur proposer une mobilité sur un poste que nous avons identifié. »

Ce processus a fait grincer les dents de certains managers, confie Paule Viallon. Mais, pour elle, il est indispensable de montrer aux hauts potentiels que la mobilité est permise et encouragée, afin que, « s’ils ont envie de bouger, ils aient d’abord le réflexe de chercher des opportunités dans le groupe ».

Auteur

  • ELODIE SARFATI

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